Les jeunes Africains et l’émergence d’une nouvelle société de consommation
L’Afrique avec 54 pays compte la population la plus jeune du monde. Plus instruite, travailleuse, connectée et ouverte sur le monde, la génération des 15-24 ans représente des marchés potentiels de nouveaux consommateurs, pour les marques françaises. C’est la première fois qu’Ipsos consacre une étude spécifique aux 15-24 ans sur le continent intitulée Jeunesses Africaines*.
Au sein de la jeunesse de Kinshasa, c’est à qui portera le plus beau dashiki, chemise colorée à motif traditionnel, redevenue très à la mode. Dans les rues d’Abidjan, la génération branchée se parle en nouchi, un argot mêlant français et langues africaines… et difficilement compréhensible par les parents. Au Nigeria, c’est la fureur sur les réseaux sociaux de battles filmées d’azonto et de shoki, deux types de danses populaires parmi les ados et les jeunes adultes.
Il n’y a pas de doute. La culture jeune est en pleine expansion en Afrique, où 60 % de la population a moins de 20 ans. Les 15-24 ans, eux, représentent 220 millions d’individus, soit 20 % de la population. Ils seront 350 millions en 2030, d’après l’Unesco. Avec l’urbanisation galopante, l’émergence des classes moyennes et la diffusion des usages numériques, le dynamisme des jeunes Africains joue un rôle moteur pour le développement d’une société de consommation et l’avenir économique du continent.
UNE GÉNÉRATION QUI VEUT RÉUSSIR
Selon le baromètre Jeunesses Africaines* de Ipsos Africap, les 15-24 ans apparaissent déterminés à se construire des lendemains prospères. Ils se disent travailleurs (31 % des individus interrogés), ambitieux (20,5 %), débrouillards (20 %), dynamiques (16 %).
« Ces jeunes Africains veulent rapidement obtenir leur autonomie financière, ils aspirent à un meilleur avenir que leurs parents. »
Florence de Bigault, directrice de Ipsos Africap
L’Afrique de “papa” miséreuse, assistée et immobile, c’est fini !
Concernant leur situation actuelle, 52,5 % des 15-24 ans participent d’une façon ou d’une autre à la vie active, 22 % d’entre eux étudient à temps plein, 14 % recherchent un emploi. Seuls 11,5 % sont totalement désœuvrés : ils tiennent les murs, comme l’on dit au Maroc. « C’est la première génération où près d’un quart des individus suivent des études », insiste Florence de Bigault.
Travailleurs indépendants, employés précaires du secteur informel, jeunes cadres ou étudiants, tous regardent la réalité en face et les difficultés à surmonter. Ainsi sont-ils 69 % à être préoccupés par le chômage, 63 % par la hausse du coût de la vie, 59 % par la corruption. Cependant, 81 % de ces jeunes restent incroyablement optimistes pour leur avenir personnel et 63 % pour l’avenir de leur pays respectif. En atteste, le succès de l’émission économique Réussite, “le magazine de l’Afrique qui gagne”, diffusé sur Canal+ Afrique.
« Les jeunes ont à cœur de projeter une image positive et valorisante d’eux-mêmes »
Lyna-Laure Amana Priso, directrice des affaires institutionnelles Afrique de Canal+ Overseas
NOUVEAUX MODES DE CONSOMMATION ET BUDGETS CONTRAINTS
Une canette de Score, boisson énergisante sud-africaine, achetée dans un supermarché du Cap, des baskets Nike achetées dans un centre commercial de Casablanca, une carte prépayée Orange pour mobile achetée auprès d’un revendeur de rue à Dakar… autant d’actes d’achat anodins qui reflètent les principaux postes de dépenses des 15-24 ans. Les aliments et boissons représentent 43 % de leur budget, les vêtements 38 %, la communication (téléphone, Internet) 33 %, les produits high tech 26 %. Pour leurs décisions d’achat, les jeunes Africains sont influencés à 51 % par la famille, à 44 % par la religion, à 27 % par les amis et à 22 % par les réseaux sociaux.
« Les sociétés africaines sont fondamentalement collectives, les décisions d’achat sont prises sous le prisme de la famille au sens élargi. Une dimension très importante. »
Stéphanie Chenavier, directrice marketing Afrique Sub Saharienne du groupe Bel (Babybel, La Vache qui rit…)
Dans le même temps, les 15-24 ans tendent à s’émanciper des habitudes de consommation de leurs aînés. « C’est la génération “vagabondage”, précise Nicolas Bricas, directeur de la chaire Unesco Alimentations du monde. Elle fait son propre apprentissage, parfois en rupture avec le modèle des parents. Par exemple, ces jeunes vagabondent dans la rue à la recherche de petits restos proposant une nouvelle cuisine locale. Ils ont donc une multiplicité de référentiels. On est loin du cliché de l’occidentalisation des habitudes alimentaires. » Le téléphone portable occupe une place prépondérante dans la vie sociale de ces jeunes.
« Le smartphone leur sert à tout : communiquer sur les réseaux sociaux bien sûr, mais aussi écouter de la musique, photographier les cours et les échanger par WhatsApp, ou s’envoyer des invitations sous forme de mini-vidéos »,
Lacina Traoré, directeur général de Ipsos Côte d’Ivoire
Les 15-24 ans passent en moyenne 2 h 20 par jour connectés au web et aux réseaux sociaux, contre 1 h 40 par jour à regarder la télévision. Génération mobile first ! Toutefois, la consommation de ces jeunes est freinée par des revenus très modestes. Le budget moyen journalier se situe à moins de 2 euros pour 54 % d’entre eux, entre 2 et 6 euros pour 31 % et dépasse les 6 euros pour seulement 15 %. Le seuil de pauvreté défini par la Banque mondiale est de 1,70 euro par jour. Les marques doivent s’adapter en conséquence avec des produits de qualité accessibles. « Nous proposons des smartphones à moins de 20 000 francs CFA, environ 30 euros, avec des services à coût réduit permettant l’accès à Internet », déclare Bernard Mazetier, directeur broadband chez Orange AMEA.
LA SENSIBILITÉ AUX MARQUES INTERNATIONALES… ET AFRICAINES
Apple, Calvin Klein, Orange, Renault, Samsung… Les 15-24 ans sont attirés par les grandes marques internationales : 30 % préfèrent les enseignes américaines, 18 % les enseignes occidentales, 15 % les enseignes françaises. Mais 21 % apprécient aussi les marques locales.
« Cela illustre une double tendance, sous l’influence d’Internet, les jeunes Africains se réclament citoyens du monde, tout en affirmant leur africanité. »
Nicolas Bricas, directeur de la chaire Unesco Alimentations du monde
Le “made in France” bénéficie d’une excellente image… stéréotypée. C’est le luxe, le chic et la qualité. « Les produits français sont très aspirationnels, ce sont des instruments de valorisation de soi », explique Léa Turquier, directrice de Ipsos Digital & Innovation Center of Excellence. Pour les jeunes Africains, la France est également synonyme de fêtes… alcoolisées au cognac et au champagne. Les clips des rappeurs français comme Booba ou Maître Gims, n’y sont pas étrangers et véhiculent souvent une image festive des marques françaises tout en participant à la diffusion de langue française sur le continent dans un univers musical jeune où l’anglais domine. Dès lors, Hennessy, Chanel, Moët & Chandon, Air France, Renault, Peugeot font partie des marques hexagonales les plus citées dans les conversations sur le net. « On observe un décalage très fort entre les marques françaises volontiers évoquées par les internautes africains et leur réelle consommation de produits français », poursuit Léa Turquier. Ce capital sympathie représente un tremplin pour les entreprises hexagonales souhaitant se développer sur le continent africain.
« Les marques françaises ne doivent pas se limiter à l’Afrique francophone, elles ont aussi des opportunités à saisir en Afrique anglophone »
David Somers, directeur CEO de Ipsos Pan Africa
À l’instar de Danone et de L’Oréal qui viennent d’acquérir des firmes locales au Kenya. Pour les Africains, une marque étrangère qui s’installe chez eux, est encore plus appréciable, quand elle pourvoit des emplois sur place. Ces jeunes sont d’abord “fourmi” avant d’être “cigale”.
*L’enquête Jeunesses Africaines étudie les styles de vie, les modes de consommation et les aspirations des 15-24 ans dans 7 pays africains : Maroc, Sénégal, Côte d’Ivoire, Congo, Nigeria, Kenya et Afrique du Sud. Ce nouveau baromètre de Ipsos Africap sera trimestriel.