Comprendre le vote des Français
La grande enquête réalisée par Ipsos pour ses partenaires de l'audiovisuel public auprès de 9000 électeurs détaille les déterminants et les motivations du vote. Dans un climat de forte inquiétude, les enjeux nationaux et le thème de l'immigration ont énormément compté. L'étude nous projette aussi sur l'après-scrutin, avec des Français relativement partagés sur ce qu'il conviendrait de faire. La tentation de "tout changer", par un remaniement ou une dissolution de l'Assemblée, est loin de faire l'unanimité.
Le poids de l'immigration dans les déterminants du vote
Contexte post-Covid, guerre en Ukraine, problématique climat, enjeux environnementaux, immigration… On aurait pu penser que les enjeux européens seraient plus présents cette année qu'ils ne l'étaient pas le passé. Ce n'est pas le cas, la place des questions européennes (55%) a même plutôt reculé par rapport aux questions nationales (45%) dans les motivations du vote, en comparaison de ce que nous mesurions en 2019. La dimension nationale a beaucoup compté, et avec elle la manifestation d'une opposition au président de la République et au gouvernement plus affirmée qu'en 2019, notamment dans les électorats LFI, RN et Reconquête.
Interrogés en détail sur les sujets qui ont le plus compté dans le choix de vote, les électeurs ont hissé l'immigration en haut de la hiérarchie (43% de citations), avec le pouvoir d'achat (45%). Ces deux sujets n'ont pas totalement éclipsé tous les autres – la protection de l'environnement est à 27%, le système de santé à 26%, la place de la France en Europe et dans le monde à 23%, mais ils sont sortis du lot. On tient là une différence importante avec le scrutin de 2019, quand le pouvoir d'achat (38%), l'environnement (38%), la place de la France dans le monde (32%) et l'immigration (32%) étaient presque au même niveau et que les électeurs avaient choisi la liste la plus crédible sur leur préoccupation principale : le RN pour ceux qui privilégiaient l'immigration, LREM quand on votait pour la place de la France en Europe ou la liste EELV quand on ciblait l'écologie. Cette année, Renaissance n'a pas eu ce bonus crédibilité sur un enjeu majeur du scrutin et le sujet écologie était un peu moins présent. D'ailleurs même si cela avait été le cas, les Écologistes ont un peu perdu leur hégémonie sur la thématique. Restait le RN, de loin le plus crédible sur un enjeu dominant, l'immigration. A noter que "la situation à Gaza" n'a été retenue parmi les principaux déterminants du vote que par 6% des électeurs, mais 22% des 18-24 ans, ce qui explique le très bon score de LFI sur cette catégorie.
Des Français particulièrement tourmentés
Inquiétude (52% de citations), incertitude (44%), fatigue (35%), colère (27%), révolte (21%), angoisse (17%) … Le climat était lourd au moment de voter, pour les 85% de Français qui nous ont cité au moins un sentiment négatif pour décrire leur état d'esprit. A ce niveau tous les électorats sont concernés, y compris les partisans de la majorité présidentielle, chez qui l'inquiétude et l'incertitude concernent un électeur sur deux. Aujourd'hui, la moitié des Français se sentent proches de la "France mécontente, pas forcément en colère" (54%), pour quatre sur dix qui se rangeraient carrément du côté de la "France en colère et très contestataire" (39%, 66% dans l'électorat LFI et 60% dans l'électorat RN).
Politiquement, ce mal-être se traduit par une perception très dégradée de l'image du Président de la République : 56% des Français n'apprécient "ni la personnalité, ni l'action d'Emmanuel Macron", 12% "apprécient son action mais pas sa personnalité", 16% "apprécient sa personnalité mais pas son action" (soit en tout, 84% de jugements négatifs). Le rejet intégral – action et personnalité – est massif aux extrêmes et majoritaire dans les électorats écologistes ou socialistes. Pour autant, le pessimisme fait tache d'huile et concerne l'ensemble des formations politiques : selon la grande majorité des Français, aucune ne ferait mieux que le gouvernement actuel.
L'après-scrutin
La défaite est lourde pour la majorité et Emmanuel Macron est fortement contesté. Faut-il pour autant tout changer ? Cela ne fait pas l'unanimité. Plus de trois Français sur quatre seraient certes favorables à la mise en place dans les prochaines semaines "de référendums sur les grandes mesures du quinquennat telles que la fin de vie, la réforme de l'assurance chômage", mais les avis sont partagés quant à l'opportunité d'une dissolution de l'Assemblée Nationale (57% favorables pour 43% d'avis contraire) ou sur le maintien de Gabriel Attal au poste de Premier ministre (54% favorables pour 45% opposés). "Une alliance de gouvernement entre la majorité présidentielle et les Républicains, avec la nomination d'un Premier ministre issu des Républicains" n'est pas non plus souhaitée (37% de jugements favorables pour 63% d'avis contraire).
Rapport complet
A propos de cette enquête
Enquête Ipsos pour France Télévisions, Radio France, France24/RFI, Public Sénat/LCP Assemblée Nationale, menée du 6 au 7 juin 2024 auprès de 8 923 personnes inscrites sur les listes électorales, constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.