Jacques Chirac vu par les siens

Ipsos a analysé pour le Point le discours des électeurs du président de la République. Les 'chiraquiens', qui entretiennent une relation toujours très forte avec leur champion, se montrent à la fois indulgents et exigeants.

Auteur(s)
  • Stéphane Zumsteeg Directeur du Département Opinion et Recherche Sociale, Public Affairs
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Réunies par Ipsos à l'occasion d'une étude qualitative destinée à comprendre les principaux registres de leur mémoire politique et de leur perception de l'issue du septennat, deux générations d'électeurs de Jacques Chirac se sont retrouvées pour parler de "leur" président.

C'est le propre des techniques qualitatives : le discours recueilli y est souvent sans nuances et fait rejaillir les traits parfois caricaturaux de l'objet étudié. Le récit fait par ces électeurs de "l'histoire" du président de la République ressemble à celui d'un aventurier. Plus encore c'est pour beaucoup de ces électeurs interrogés le parcours d'un "héros", humain, attachant qui, par certains côtés, "nous ressemble", capable de digérer les coups durs et repartant toujours de l'avant. Les électeurs de Jacques Chirac décrivent en effet un Chirac "courageux", "tenace", "combatif", ne reculant devant aucun danger, l'homme des batailles impossibles, celui qui ose défier Giscard lorsqu'il était son Premier ministre, qui demande à François Mitterrand de le "regarder droit dans les yeux" lors du célèbre débat télévisé entre les deux tours de l'élection présidentielle de 1988, qui résiste à l'adversité politique au moment de déclarer sa candidature à l'élection présidentielle de 1995.

L'un des enseignements essentiels de cette étude est ce qu'elle nous apprend de la relation "hors norme" du socle chiraquien avec son "héros". Ce lien apparaît presque dépolitisé, dépourvu de mémoire politique majeure. On y voit apparaître des éléments de jugement inhabituels dans les enquêtes de popularité. La base chiraquienne, très attachée au président de la République, fait souvent état dans ses propos de réflexes sentimentaux, nostalgiques. Elle témoigne, à l'égard du président de la dissolution ratée, d'une immense indulgence. La responsabilité de ce fiasco appartient toute entière à ses conseillers, à l'ensemble du "camp" chiraquien, à ces élus incapables de faire face et jugés tout au long de ces conversations de manière extrêmement sévère.

Comme en témoigne le choix des photos qui résument le mieux, à leurs yeux, le profil de Jacques Chirac, ces supporters résolus aiment à jongler avec deux images du président en fonction : acteur des grands rendez-vous internationaux et homme de terrain capable de replonger le même jour dans les bains de foule, "au milieu des siens".

Les échecs, même répétés, font partie de la légende : fragile, maladroit parce qu'humain. Leur description de son environnement politique, désert et dévasté, contribue à renforcer l'image du parcours solitaire et héroïque. A bien des égards, Jacques Chirac leur donne le sentiment d'être le seul aujourd'hui à pouvoir permettre à la droite de renouer avec la victoire. L'étude Ipsos a également tenté de comprendre la psychologie de cette composante de l'électorat de droite, en lui demandant d'imaginer la fin du septennat. L'attente forte des chiraquiens à l'égard du président illustre la marge étroite d'une stratégie : satisfaire les attentes de sa base sans provoquer le rejet ou le scepticisme d'électeurs potentiels moins déterminés dans leur soutien, qu'il faudra également le moment venu rassembler. Ses sympathisants les plus fidèles, parce que d'abord attachés à leurs souvenirs d'avant mai 1995, espèrent le retour du "vrai Chirac", celui des ruptures, celui des conquêtes. Le projet qu'ils souhaitent le voir défendre reste flou et souvent contradictoire, presque secondaire. Les plus jeunes conservent l'espoir de voir le thème de la fracture sociale réinvesti ; les plus âgés semblent plus tentés par un net ancrage à droite, pour mieux rompre avec l'ère de la gauche plurielle. Ils conseillent bien volontiers au président de changer d'entourage, de s'appuyer sur de nouveaux soutiens, jeunes et recrutés sur le terrain. Le président de cohabitation n'est pour eux qu'une parenthèse. Forcé par les circonstances politiques à soutenir un chef jouant un rôle de composition et de compromis, celui de président de cohabitation, l'électorat chiraquien, qui ironise sur son président "au septennat de deux  ans", veut retrouver le combattant de 1995. Derrière cette impatience politique, se profile sans doute la difficulté majeure d'une nouvelle candidature Chirac : prétendre être réélu sans bilan, apparaître non comme le sortant qui défend une position acquise, mais comme le challenger qui prétend retrouver l'esprit de conquête qui a fait rêver ses électeurs.

Auteur(s)
  • Stéphane Zumsteeg Directeur du Département Opinion et Recherche Sociale, Public Affairs

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