La traduction électorale de l’enjeu de l’insécurité, clé du scrutin
La dernière vague des intentions de vote réalisées par Ipsos pour Le Figaro et Europe 1 révèle une inversion de tendance en faveur de Jacques Chirac au second tour. Même si le doute qui s'était installé dans l'électorat de droite sur la détermination de Jacques Chirac s'est estompé, si la dynamique favorable à Lionel Jospin a marqué un coup d'arrêt, c'est encore l'incertitude qui caractérise le rapport de force au second tour. Dans l’agenda des dernières semaines de campagne, la pression exercée par l’enjeu de l’insécurité sera décisive : l'analyse de Pierre Giacometti, directeur général d'Ipsos, parue dans Le Figaro, que nous reproduisons.
L'inversion de tendance en faveur de Jacques Chirac au second tour est-elle significative ?
Oui, sur la tendance, non sur la capacité prédictive de ce résultat enregistré à cinq semaines du second tour. Si l’on considère l’ensemble de la séquence engagée il y a quelques semaines après les déclarations du Premier ministre sur la "forme" du président, incontestablement, le doute observé au cœur de l’électorat de droite dans les premières semaines de campagne mettant en cause la détermination de Jacques Chirac s’est estompé.
Le coup d’arrêt à la dynamique favorable à Lionel Jospin, que nous avions noté il y a quinze jours, se confirme. Mais il faudra attendre les prochaines enquêtes pour affirmer qu’une nouvelle tendance, cette fois positive pour le président sortant, est en train de se construire.
En réalité, c’est l ‘incertitude qui continue à caractériser le rapport de forces de second tour. La précaution s’impose plus que jamais sur l’interprétation de cette intention de vote. L’impact électoral et psychologique de plusieurs facteurs ne peuvent pas être pris en compte aujourd’hui. Entre autres, l’écart entre les deux favoris au premier tour, l’équilibre entre les gauches et les droites le 21 avril prochain, les réserves de voix potentielles et l’attitude sans doute décisive des abstentionnistes de premier tour, aujourd’hui difficile à cerner.
Le premier tour ne montre aucune dynamique favorable ni pour Jacques Chirac ni pour Lionel Jospin. A quoi le doit-on alors que nous sommes à trois semaines du premier tour ?
Il n’est pas facile pour Jacques Chirac et Lionel Jospin de provoquer une dynamique d’attraction au premier tour. Il n’y aucune raison objective de se porter à la rescousse de l’un comme de l’autre puisque leur participation au second tour n’est pas en cause. De nombreux électeurs doivent se dire qu’il sera toujours temps de faire le choix essentiel le 5 mai. Le 21 avril, l’embarras du choix peut favoriser la dispersion et inciter à un vote de "contre-pouvoir". Dans les trois semaines de campagnes officielles, la visibilité médiatique de tous les candidats sera beaucoup plus équilibrée, ce qui pourrait accentuer la dispersion des voix déjà exceptionnelle aujourd’hui en terme d’intentions de vote. Le premier tour ressemble de plus en plus à des élections européennes, par son atomisation et son potentiel protestataire. Mais là s’arrête la comparaison… La tentation consistant à vouloir franchement tourner le dos aux deux prétendants au premier tour dépendra de la capacité à faire abstraction du second tour, de faire "comme s’il n’existait pas", comme aux européennes. Ce n’est pas acquis. Certains électeurs pourraient se transformer en "stratèges de la dernière heure". On le voit, l’équilibre politique du 21 avril est décisif pour le second tour.
La tentation du vote protestataire reste-t-elle toujours aussi forte ?
Oui, plus que jamais. Le total des intentions de vote en faveur des candidatures situées aux extrêmes de l’échiquier politique atteint 22,5% ; (Laguiller ,,Besancenot, Le Pen, Mégret). Si l’on y ajoute le score de Jean Saint-Josse, le potentiel de vote de "contre-pouvoir" atteint 26%.
Depuis un mois, cette tendance est particulière nette dans les milieux sociaux modestes, notamment parmi les salariés les plus défavorisés mais aussi chez les jeunes de moins de trente ans. Néanmoins, il demeure un doute sur la traduction de ce potentiel protestataire. Pour jouer à plein, il faudrait que la participation électorale soit élevée dans ces catégories. On sait ainsi que les performances de Jean-Marie Le Pen, toujours meilleures lors des scrutins présidentiels, s’appuient d’abord sur un bon niveau de mobilisation dans les milieux populaires. Or, ces niveaux de mobilisation sont pour l’instant assez faibles pour une élection présidentielle.
Le drame de Nanterre a-t-il une traduction dans les évolutions d’intentions de vote et sur le climat de campagne ?
Il faut toujours se méfier des explications évidentes et de la tendance à croire que les intentions de vote évoluent de manière parfaitement rationnelle par rapport aux événements de l’actualité, au risque d’être démenti une semaine plus tard. Le drame de Nanterre a d’abord contribué à entretenir un climat. Toute la question est de savoir si cette enquête, réalisée vendredi et samedi derniers (donc après la suicide de Richard Durn et l’intervention de Jacques Chirac sur TF1 jeudi soir) mesure à chaud l’impact d’une séquence "atypique" ou si elle recueille une réaction plus profonde, notamment au regard de la gestion de crise opérée par les deux protagonistes de l’exécutif.
L’insécurité et la violence se sont installées comme le thèmes de controverse majeurs de la campagne. Sur ce terrain, le crédit présidentiel, confirmé depuis notre première enquête de janvier, semble s’appuyer sur le doute majoritaire installé dans l’opinion, à l’égard de l’efficacité des choix gouvernementaux. Comme le montre l’enquête Ipsos, Chirac continue à bénéficier d’un capital de crédibilité important sur les terrains régaliens. Quand on cite "L’Etat", la légitimité chiraquienne semble plus aisément s’imposer. En revanche, quand on évoque la sphère économique et sociale, Jospin demeure en tête, même si l’écart se réduit dans le domaine de la réduction ses impôts.
Dans l’agenda des dernières semaines de campagne, la pression exercée par l’enjeu de l’insécurité sera décisive. Comme naguère pour le chômage, l’intensité de sa traduction électorale est bien évidemment un facteur majeur de l’issue finale de l’affrontement Chirac-Jospin.