Le socle électoral de la droite au secours du Oui

A peine un peu plus d’un mois avant le référendum du 29 mai, il semble que l’on soit entré dans une seconde phase de cristallisation du choix électoral. Après une première séquence, initiée à la mi-mars, qui a vu le Non s’installer majoritairement à gauche, ce sont les mouvements au sein de la droite qui contribuent à réduire significativement l’avance du Non en terme d’intentions de vote.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Réalisée les 22 et 23 avril, l'enquête Ipsos s'illustre par une forte poussée du Oui parmi l'électorat UMP-UDF. En progression de 11 points, il atteint 79% chez les électeurs de droite modérée. Cette progression est homogène : de 10 points à l'UMP pour atteindre un record à 77%, de 11 points à l'UDF, soit 82%, au niveau le plus haut depuis la première enquête Ipsos il y a deux mois. C'est bien le cœur de l'électorat de la majorité qui se mobilise de manière significative en faveur du Oui, en hausse de 14 points chez les retraités (66%) et crédité de son meilleur score parmi les électeurs ayant ont voté pour Jacques Chirac lors du premier tour de l'élection présidentielle (80%).

A gauche, les partisans du traité constitutionnel sont un peu plus nombreux qu'il y a une semaine mais le rapport de forces reste stable au sein de l'électorat socialiste, toujours majoritairement tenté par le Non. A quelques de jours de la prestation télévisée de Lionel Jospin sur France 2, l'hypothèse d'un retournement de tendance est plus que jamais entre les mains des électeurs du parti socialiste, et, à un degré moindre, de ceux proches des Verts, aujourd'hui nettement favorables au Non. Sous réserve de voir le Oui de droite se stabiliser au niveau élevé atteint dans cette enquête, et sachant que le Non restera très probablement massif à l'extrême gauche et au Front National, le retour à l'équilibre des intentions de vote entre le Oui et le Non est désormais conditionné par un rééquilibrage à l'intérieur même de l'électorat socialiste. Et pour prétendre redevenir majoritaire, le Oui doit lui-même le redevenir dans cet électorat.

Aujourd'hui c'est l'instabilité du choix électoral d'une partie du " peuple de gauche " qui empêche cette dynamique. A un peu plus d'un mois du scrutin, un électeur de gauche sur deux n'est pas définitivement fixé sur son choix. La forte progression de l'indécision des électeurs de gauche dans cette enquête contraste avec la progression de la détermination des électeurs de la majorité favorables au Oui. Elle est le signe d'une profonde interrogation, au moment de choisir entre abstention et vote d'une part, entre le Oui et le Non d'autre part. Pour nombre de ses électeurs, cette indécision s'explique par la force des questions relatives à l'avenir de l'identité de la gauche.

Le doute est également persistant à gauche lorsque l'on se penche sur l'état d'esprit de ses électeurs. Alors que le pronostic favorable au Oui redevient majoritaire à droite et que le souhait de victoire du Oui progresse très fortement, les électeurs de gauche continuent à anticiper majoritairement la victoire du Non. Qui plus est, le désir de victoire du Non redevient dominant chez les sympathisants du PS.

Si le Oui progresse spectaculairement à droite, il le doit peut-être à la mécanique induite de ce référendum très politique : l'électorat de droite choisit son camp parce qu'il a le sentiment que le gauche est de plus en plus tentée d'endosser le maillot adverse. Mais ce dernier sondage révèle surtout une prise de conscience nouvelle des risques d'une victoire du Non. Cette prise de conscience est sélective. Si l'argument du risque pour l'Europe reste sans efficacité, c'est pour la première fois la position et le rang de la France - cher au Général de Gaulle - qui semble préoccuper une frange croissante des sympathisants de la majorité, notamment son noyau le plus traditionnel et fidèle. Au-delà, il n'est pas exclu que la thématique de la peur du "désordre" puisse également constituer un bon carburant pour la dramatisation.

L'évolution de la hiérarchie des motivations du vote en faveur du Oui confirme l'emprise nouvelle de ces arguments. A droite, deux mois de campagne ont contribué à transformer la grille de lecture des raisons du choix électoral. Avant que le Non ne devienne majoritaire, ses partisans de droite s'appuyaient majoritairement sur le risque de voir entrer la Turquie pour justifier leur choix. Les partisans du Oui privilégiaient quant à eux la dimension historique de la ratification, loin devant le risque d'affaiblissement de la France. Aujourd'hui, le motif visant à préserver la France de l'affaiblissement est en forte progression et s'impose à droite comme le premier motif du choix favorable à la ratification, alors que l'enjeu turc est devenu secondaire pour les partisans du Non, devancé désormais par le motif de la renégociation possible.

A gauche, l'équilibre des motivations a également évolué. Le Oui motivé par la construction de l'Europe politique a pris le dessus sur l'attente de l'Europe sociale, dont la crédibilité est d'autant plus contestée que la déviation vers une Europe trop libérale reste le meilleur argument du Non de gauche.

Au moment où va s'engager la phase la plus active de la campagne électorale, la transformation sensible des motivations en deux mois de pré-campagne et la permanence de la diversité des raisons du choix des Français, qu'ils soient tentés par le Oui ou par le Non, confirment que la nature même du référendum reste le " mélange des genres ", redouté par les partisans du Oui et revendiquée par certains partisans du Non.

Ainsi, même si cela n'est ni facilement avouable ni très valorisant, l'argument du vote sanction, " anti Chirac-Raffarin " est nettement plus présent aujourd'hui qu'hier, lorsque le Oui était encore majoritaire. La progression du Non dans le paysage politique a en quelque sorte activé à gauche la tentation de faire du référendum un duel gauche-droite par procuration.

Pour limiter l'emprise de cette tentation sur l'issue du vote du 29 mai, le Oui doit chercher à protéger le choix référendaire du syndrome du " coup du balai ". Ses partisans doivent faire progresser la crédibilité de leurs arguments. Ce n'est pas aujourd'hui chose faite, bien au contraire. La réduction de l'écart d'intentions de vote au profit du Oui ne va pas de paire avec une amélioration du crédit de ses partisans. A l'inverse, la crédibilité de campagne des partisans du Non progresse une nouvelle fois. Déjà perçue il y a un mois comme nettement plus proche des préoccupations des Français, la campagne des partisans du Non est encore davantage reconnue comme plus claire et plus crédible, particulièrement dans l'électorat de gauche. Nous avons là le signe que l'ancrage du Non à gauche va au-delà du seul réflexe d'humeur économique et sociale et qu'il est également le résultat de la construction d'une conviction politique.

La progression du non depuis un mois

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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