Second tour : comprendre le vote des Français
L'enquête réalisée par Ipsos et Sopra Steria pour france•tv et radiofrance revient sur l'état d'esprit dans lequel les électeurs se sont rendus aux urnes pour le second tour des élections législatives. Elle montre aussi que le second quinquennat d'Emmanuel Macron débute dans un climat d'opinion difficile pour la majorité.

L'abstention
Le record pour un second tour d'élections législatives n'a pas été battu, mais l'abstention a de nouveau été exceptionnellement forte ce dimanche : plus d'un électeur sur deux n'a pas voté. Lorsqu'on leur en demande la raison, les abstentionnistes se plaignent le plus souvent de l'offre électorale, forcément nettement plus étroite qu'au premier tour : "aucun des candidats ne correspond à mes idées", 22% de citations, "les candidats ne parlent pas assez des sujets qui me préoccupent", 19%. On s'abrite ensuite derrière un problème d'agenda ("pas disponible le jour du vote", 17%) ou le manque d'enjeu ("les jeux sont faits, on sait qui obtiendra une majorité à l'Assemblée nationale", 15%). "L'absence de campagne électorale" est en revanche moins souvent citée qu'au premier tour, à 14% aujourd'hui pour 24% dimanche dernier. Le rejet global du système, "vous ne vous intéressez pas à la politique de manière générale", ne concerne que 13% des abstentionnistes.
La perception des résultats du premier tour
Les raisons de l'abstention sont peut-être aussi à chercher dans un contexte électoral qui se sera avéré peu enthousiasmant pour la majorité des Français. "De manière générale", les résultats du premier tour auront déçu près d'un Français sur deux (48%), pour 22% de satisfaits et, peut-être le plus marquant, 30% "d'indifférents". La déception a été majoritaire dans tous les électorats, sauf du côté Nupes où la balance penche tout de même vers la satisfaction. Au-delà des jugements d'ensemble, les avis sur la performance de chaque formation divergent fortement d'un camp à l'autre : le résultat obtenu par la Nupes a été jugé "bon" par 81% de ceux qui ont voté pour un de ses candidats (pour 2% "mauvais"), le résultat du RN a été jugé "bon" par 54% de ses électeurs (pour 19% "mauvais"), tandis qu'on tombe sous les 50% de bonnes opinions chez les électeurs de la majorité présidentielle (47% ont jugé "bon" le résultat d'Ensemble!, pour 18% "mauvais"). C'est à droite néanmoins que les jugements sont les plus sévères, plus d'un électeur sur deux (51%) ayant jugé "mauvais" le résultat de l'alliance LR-UDI, pour 8% "bon".
Majorité relative, absolue ou cohabitation
A la veille du second tour, 53% des Français souhaitaient "qu'Emmanuel Macron obtienne une majorité à l'Assemblée nationale et qu'il puisse appliquer sa politique", pour 46% qui jugeaient préférable "que la gauche obtienne la majorité et que Jean-Luc Mélenchon devienne Premier ministre". Le souhait d'une victoire de la majorité présidentielle était partagé par 75% des électeurs de droite et la moitié (51%) des électeurs RN, mais dans l'ensemble, le rapport de force était très équilibrée.
La perspective d'une majorité relative pour Ensemble! était d'ailleurs accueillie favorablement, par 60% des électeurs, qui y voyaient "plutôt une bonne chose, tant elle obligerait Emmanuel Macron à davantage tenir compte de l'avis des oppositions pour gouverner", pour 40% qui s'inquiétaient tout de même "de négociations permanentes entre les partis, susceptibles de ralentir la prise de décision et leur efficacité". En comparaison, l'hypothèse d'une majorité absolue pour Ensemble! ne "plaisait" qu'à un Français sur quatre (27%, 77% dans l'électorat Ensemble! de premier tour), en inquiétait plus d'un sur trois (36%, dont les deux tiers des électeurs des candidats Nupes au premier tour et la moitié des électeurs des candidats RN), pour 37% "ni l'un ni l'autre".
Une confiance écornée
La page des Législatives se tourne, et le second quinquennat d'Emmanuel Macron débute dans un climat d'opinion difficile. En majorité, les Français "ne font pas confiance au gouvernement pour prendre les bonnes décisions" dans aucun des 10 domaines testés dans notre enquête. Le meilleur score concerne le chômage (47% de confiance pour 53% d'avis contraires), mais on tombe ensuite très vite sous les 40% de confiance en ce qui concerne "l'éducation" (38%), "le système de santé" (36%), "l'environnement" (36%), "le pouvoir d'achat" ou "l'immigration" (35%), "les déficits publics et la dette" (34%). Moins d'un Français sur trois fait encore confiance au gouvernement pour traiter le problème de "la délinquance" (32%) ou des "inégalités sociales" (31%). Peut-être le plus inquiétant enfin pour l'action gouvernementale, le moins bon score de la série est obtenu sur la question "des retraites" : 30% de confiance, pour 70% d'avis contraires. A noter que même parmi les Français qui font confiance au gouvernement, on reste tout de même assez réservé, avec une large majorité de "plutôt confiance" et moins de 10% de "tout à fait confiance" pour chacun des domaine.
Pour autant, rares sont ceux qui pensent que la Nupes ferait mieux que la majorité sortante, au-delà de leur base électorale. Sur les questions d'inégalités sociales, sur les retraites, le pouvoir d'achat, le système de santé et l'environnement, la France se partage en plus ou moins trois tiers, entre ceux qui pensent tout de même qu'elle ferait mieux, ceux qui pensent qu'elle ferait moins bien, et ceux pour qui ce serait du pareil au même. La part de ceux qui voient la Nupes faire mieux que le gouvernement se réduit ensuite à un quart sur le sujet éducation, à un cinquième sur le sujet chômage, pour tomber autour des 15% sur les questions d'immigration, de déficits publics et de délinquance. Sur ces trois derniers sujets, ceux qui pensent que la Nupes ferait mieux qu'Ensemble! sont minoritaires, y compris dans leur propre électorat.
L'image dégradée d'Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon
La campagne des Législatives n'aura pas redoré les traits d'image d'Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon, même si en termes de comparatif le chef de l'État s'en sort toujours mieux, notamment sur la présidentialité : 61% des Français pensent qu'Emmanuel Macron est capable de faire face à une crise grave pour seulement 28% de cet avis en ce qui concerne Jean-Luc Mélenchon, 59% jugent que le Président donne une bonne image de la France à l'étranger, pour 21% de cet avis concernant Jean-Luc Mélenchon. Dans la critique, 54% des Français jugent Emmanuel Macron trop autoritaire, ils sont 64% de cet avis concernant Jean-Luc Mélenchon. Le chef d'État "inquiète" 47% des Français, Jean-Luc Mélenchon 60%. Il n'y a guère que sur la proximité que Jean-Luc Mélenchon l'emporte, 41% estimant "qu'il comprend bien les problèmes de gens comme nous", pour seulement 24% en ce qui concerne Emmanuel Macron. A noter que pour les deux hommes, les jugements sur chacun de ces traits d'image se sont dégradés de quelques points par rapport à ce que nous mesurions lors de la campagne Présidentielle.
Au final, la séquence électorale 2022 laissera derrière elle une France profondément divisée, inquiète et en proie au doute. A cet égard, les taux d'abstention records qui auront marqué aussi bien la Présidentielle que les Législatives sont des révélateurs. A présent, près de 40% des Français, surtout les électeurs de la Nupes mais aussi plus du quart (27%) des électeurs d'Ensemble! souhaitent que la politique du second quinquennat d'Emmanuel Macron s'oriente "plus à gauche que le précédent". Un sur quatre, dont près de la moitié des électeurs de droite et d'extrême droite préféreraient au contraire qu'il s'oriente "plus à droite", pour 37% "ni l'un ni l'autre".

Fiche technique : sondage mené par Ipsos et son partenaire Sopra Steria pour France Télévisions et Radio France du 15 au 18 juin 2022. 4 004 personnes interrogées, constituant un échantillon national représentatif de la population française, inscrite sur les listes électorales, âgée de 18 ans et plus.
