Comprendre le vote - Législatives 2024
L'enquête Ipsos Talan réalisée pour France Télévisions, Radio France et Public Sénat à la veille du premier tour des Législatives révèle l'état d'esprit et les motivations des électeurs au moment de se rendre aux urnes. Dans un contexte de dissolution qui n'a pas été comprise et qui a suscité beaucoup d'inquiétude, le RN et ses alliés sortent vainqueurs de ce premier tour. En gagnant la bataille de la crédibilité, ils ont suscité un vote d'adhésion difficile à contrer hors front républicain.
Les déterminants du vote
L'annonce de la dissolution a sidéré les Français, tout en les plongeant dans une campagne éclair totalement inédite. Ils n'en ont pas pour autant perdu tous leurs repères, et le pouvoir d'achat est resté largement en tête des déterminants du vote (59% de citations). Cette préoccupation majeure et largement partagée dans l'opinion depuis plusieurs années ne doit cependant pas masquer des visions aux antipodes d'un électorat à l'autre, notamment sur l'immigration : sujet n°1 pour ceux qui ont choisi un candidat RN ou allié (77% de citations) et totalement absent des préoccupations des électeurs du Nouveau Front Populaire (4%).
Au-delà des thématiques particulières, le vote stratégique contre les autres formations aura également été un puissant déterminant du vote, particulièrement dans l'électorat des candidats Ensemble : 44% ont voté "pour faire barrage", au Rassemblement National dans deux cas sur trois et au Nouveau Front Populaire pour les autres. Le vote barrage a également été très présent chez les électeurs des candidats LR / Divers droite, dont 40% ont souhaité s'opposer pour moitié au RN, pour moitié au NFP. Dans les autres électorats, c'est l'opposition au Président de la République qui a davantage joué.
Les Français parient sur le RN
Au moment de voter, 60% des Français pronostiquaient une victoire du RN et de ses alliés : ils n'ont pas été surpris. Les électeurs RN étaient particulièrement convaincus : 95% pronostiquaient la victoire, 55% pensaient même obtenir la majorité absolue. Les électeurs NFP y croyaient aussi, mais tout de même moins : 64% pronostiquaient la victoire du NFP pour 32% celle du RN.
Par rapport aux pronostics, les souhaits de victoire étaient plus équilibrés, on retrouve la tripartition du corps électoral : 40% des Français souhaitaient la victoire du RN, 31% celle du NFP, 29% celle d'Ensemble. Mais là encore l'électorat du Rassemblement National se démarquait par sa motivation, avec un souhait de victoire à 98%. On est très loin du temps où certains électeurs votaient pour Jean-Marie Le Pen par protestation, pour exprimer un mécontentement, sans y croire et sans souhaiter qu'il gagne. Aujourd'hui le vote, le souhait et le pronostic de victoire sont parfaitement alignés.
Le second tour
Différentes configurations de second tour ont été proposées aux électeurs pour tenter d'anticiper les comportements électoraux. Pas de souci du côté RN, avec la plupart des électeurs qui souhaitent que tous leurs candidats se maintiennent s'ils le peuvent et dans le cas contraire, qu'il n'y ait pas de consigne de vote. C'est nettement plus partagé dans les électorats NFP et Ensemble, avec un électeur sur deux en faveur du retrait de son candidat en cas de troisième place pour éviter la triangulaire, l'autre moitié pour le maintien avec ou sans consigne de vote. Du côté LR, on penche majoritairement pour ne pas donner de consigne de vote sur les duels RN / NFP, et pour appeler à voter Ensemble si le candidat se qualifie. A noter que l'étiquette politique du candidat du Nouveau Front Populaire joue quand même à la marge. Face au RN, 40% des électeurs voteraient pour un candidat issu du Parti socialiste, 38% s'il venait d'EELV et 32% s'il appartenait à la France Insoumise. L'origine du candidat n'a quasiment pas d'impact pour les proches de la France Insoumise, mais on mesure une différence de plus de dix points dans les électorats écologistes et socialistes.
Les résultats ?
Qu'on ait le 7 juillet une majorité absolue pour le RN et ses alliés, pour le Nouveau Front Populaire ou même pour Ensemble, l'inquiétude sera le sentiment dominant, partagée par un Français sur trois. Cette inquiétude se doublera de peur si c'est le RN ou le NFP qui l'emporte, d'indifférence si c'est Ensemble. Chaque camp redoute la victoire de l'autre, mais la perspective d'une majorité absolue Nouveau Front Populaire est peut-être la plus anxiogène. Plus de 80% des électeurs Ensemble (82%), Républicains (83%) et RN (89%) estiment que si cela arrivait la situation de la France se dégraderait ; 60% des électeurs Ensemble, 70% des électeurs LR et 79% des électeurs RN seraient également de cet avis par rapport à leur situation personnelle. Le doute est partagé dans les rangs NFP, avec un électeur sur deux d'avis qu'une victoire de son camp améliorerait sa situation personnelle (53%), pour presque autant (41%) qui pensent que cela ne changerait rien.
Comparativement, la perspective d'une majorité absolue RN et alliés suscite un peu moins d'appréhension, notamment dans l'électorat LR / divers droite : 63% pensent que la situation de la France se dégraderait pour 22% qui voient plutôt un statu quo et 15% qu'elle s'améliorerait. Moins de la moitié des électeurs de droite pensent que sa situation personnelle en pâtirait (46%), pour 44% d'avis que cela ne changerait rien et 10% qui jugent même qu'elle s'améliorerait.
Le RN a gagné le match de la crédibilité
Dans tous les cas, on ne croit pas totalement aux promesses de campagne : sept personnes sur dix estiment que la coalition gagnante n'appliquera "qu'une partie seulement de son programme et de ses propositions", même en cas de majorité absolue. Et ce serait presque tant mieux du point de vue des Français, si l'on considère les deux tiers d'entre eux rejettent ces propositions ou ne les jugent pas réalistes.
Dans le détail toutefois, la crédibilité comparée des programmes a tourné à l'avantage du RN. Près d'un Français sur deux fait davantage confiance au RN et à ses alliés pour prendre les bonnes décisions en matière d'immigration (46%) et d'insécurité (44%), pour moins de 15% pour Ensemble ou le NFP. L'écart est plus faible mais le RN est aussi en tête sur "la réduction de la dette et des déficits publics" (22% lui font davantage confiance, pour 13% au NFP et 16% à Ensemble), voire sur l'amélioration du pouvoir d'achat (29% vs 24% pour NFP et 14% pour Ensemble). Les choses sont plus équilibrées par rapport aux thématiques sociales, avec 26% des Français qui font davantage confiance au RN pour lutter contre les inégalités pour 29% qui pensent que le NFP est plus légitime. Sur l'amélioration des services publics, RN et NFP sont au même niveau (27% vs 26%).
Pour l'opinion, le RN est donc prêt à gouverner, en tous cas plus que le bloc de gauche. Comparativement à l'époque du Front National, les arguments sur l'incompétence des responsables RN ne portent plus. L'ultra-droite est perçue comme la coalition qui comprend le mieux les préoccupations des Français, celle qui est le plus capable d'améliorer la situation du pays, celle qui a le programme le plus clair. L'écart avec le Nouveau Front Populaire est à chaque fois d'une dizaine de points. On peut le réprouver, mais le vote RN est bien devenu un vote d'adhésion.
Rapport complet
A propos de cette enquête
Enquête Ipsos Talan pour France Télévisions, Radio France et Public Sénat, menée du 27 au 28 juin 2024 auprès de 10 286 personnes, constituant un échantillon représentatif de la population française, inscrites sur les listes électorales âgées de 18 ans et plus.