Présidentielle 2022 | L’illusoire demande de radicalité
La radicalité serait la marque de l’élection présidentielle modèle 2022 et serait apparemment partout. Dans les propositions qui émergent de la campagne électorale. Dans la tonalité qui se dégage des débats médiatiques. Dans la percée spectaculaire des intentions de vote en faveur d’Éric Zemmour. Enfin et surtout, chez les Français eux-mêmes. Bien mesurer l’humeur du pays : voilà l’une des questions parmi les plus décisives pour qui veut analyser avec justesse une campagne. La deuxième vague du panel électoral permet d’apporter des éléments de réponse et, par des entrées différentes, d’arriver à une même conclusion : cette demande de radicalité est en réalité largement une (dangereuse) illusion d’optique.

Tribune de Gilles Finchelstein, Directeur général de la Fondation Jean Jaurès et Brice Teinturier, Directeur général délégué d’Ipsos en France, publiée sur lemonde.fr
Le positionnement politique des Français est-il plus extrême ?
Pour répondre à cette question, il est utile d’analyser précisément la manière dont les Français se positionnent sur un axe gauche-droite – 0 signifiant « très à gauche » et 10 « très à droite » et comment cet auto-positionnement a évolué. La conclusion est claire. D’un côté, depuis 2015 (date de création du panel) la société française s’est droitisée : 44,9% des Français se situent sur les cases 6 à 10 aujourdhui contre 42,6% en novembre 2015 - soit une progression de 2,3 points. D’un autre côté, par rapport à l’avant-présidentielle précédente, la société française ne s’est pas extrêmisée ou radicalisée : l’extrême-gauche (O-1) représente 4,8% des Français contre 5,9% en mars 2017 et l’extrême-droite (9-10) 10,7% aujourd’hui contre 12,7% en mars 2017 – soit au total un recul de 3,3 points.
L’état d’esprit des Français est-il à la révolte ou à la colère ?
Treize qualificatifs, représentant une large gamme de sentiments, ont été proposés aux Français. Il leur a été demandé de choisir les trois qui correspondaient le mieux à leur état d’esprit.
Que conclure, là encore, de ces données ? Avec 14% chacune, la révolte et la colère se situent au même niveau que le bonheur, derrière la sérénité (18%), le bien-être (19%), la confiance (21%) et, loin derrière l’espoir (25%), très loin derrière la fatigue (37%), l’inquiétude (38%) et l’incertitude (39%). En d’autres termes, la révolte et la colère restent des sentiments secondaires.
Les Français se définissent-ils comme modérés ou comme radicaux ?
C’est une question inédite qui leur a été posée : se positionner sur une échelle modéré-radical (0 signifiant « très modéré » et 10 « très radical »).
Globalement, les Français ne sont qu’une minorité à se positionner comme radicaux (31%), la majorité se situant sur les cases ni modéré ni radical (47%).
Dans le détail, d’un point de vue sociologique, on constate que ni l’âge, ni la profession, ni la catégorie d’agglomération ne constituent des critères discriminants mais que, en revanche, les hommes (36%) sont bien plus nombreux que les femmes (25%) à se positionner comme radicaux.
Dans le détail encore, d’un point de vue politique, la radicalité est davantage revendiquée à droite qu’à gauche. 45% des répondants qui se positionnent très à gauche sur l’échelle gauche droite (note de 0-1) se classent comme des radicaux, contre 81% de ceux qui se positionnent à l’extrême droite (note 9-10). Lorsque l’on analyse les intentions de vote d’aujourd’hui, cette étiquette est revendiquée par 35% des électeurs potentiels de Jean-Luc Mélenchon, 56% de ceux de Marine Le Pen et 67% de ceux d’Éric Zemmour. Là encore, c’est donc davantage un phénomène de droitisation et d’extrémisation, notamment à droite, qui porte la radicalité qu’un phénomène de radicalisation au sens de volonté de rupture.
Les Français veulent-ils des réformes ou une rupture ?
Autre manière de documenter la même problématique, les Français interrogés devaient choisir entre un « changement de modèle de société », des « réformes profondes » et des réformes « à la marge ».
Si les tenants du statu quo n’ont qu’un poids marginal (7%), le plus instructif est que, là encore, la réforme (57%) l’emporte sur la rupture (35%).
Mais les tenants de la rupture ne sont pas exactement les mêmes que les tenants de la radicalité : alors que la droite se revendiquait plus radicale, c’est la gauche qui souhaite davantage la rupture sur le modèle de société. Tel est le choix de 60% de ceux qui se positionnent à l’extrême-gauche (0-1) contre 43% de ceux qui se positionnent à l’extrême-droite (9-10). Tel est le choix également de 58% des électeurs potentiels de Jean-Luc Mélenchon contre 40% de ceux d’Éric Zemmour et 42% de ceux de Marine Le Pen.
Dans un pays fatigué par seize mois de pandémie et qui n’est plus en colère comme il l’était en 2018, a fortiori quand le pouvoir en place ne fait plus de réformes importantes et clivantes, la logique profonde de l’opinion n’est pas d’aller vers toujours plus de radicalité, contrairement à la doxa ambiante. Cela ne veut nullement dire que le pays est apaisé ; il est au contraire mécontent et demande des réformes profondes, dans des directions parfois diamétralement opposées, entre volonté de rupture et volonté de retour à un ordre d’antan.