Second tour : profil des abstentionnistes et sociologie des électorats
Emmanuel Macron a été confortablement réélu, mais le match retour a tout de même été plus serré qu'en 2017. L'enquête réalisée par Ipsos et Sopra Steria pour l'ensemble de ses partenaires quantifie la baisse du vote barrage, avec une abstention très forte notamment dans l'électorat de Jean-Luc Mélenchon, et confirme une certaine "normalisation" du vote Le Pen, qui a progressé par capillarité pour se rapprocher d'Emmanuel Macron au sein des catégories intermédiaires, et séduire une minorité de moins en moins étriquée des couches favorisées.

Reports de voix
Si le scrutin présidentiel reste de loin le scrutin le plus participatif de la Ve République, l'abstention pour un second tour aura de nouveau été très élevée ce dimanche : 28% des électeurs ne se sont allés voter, le taux le plus élevé enregistré pour le second tour de l'élection Présidentielle depuis 1969 (31% à l'époque, à relier à la consigne du Parti Communiste de ne pas choisir entre deux candidats de droite).
L'abstention a été élevée, en partie du fait d'un vote "barrage" qui a baissé en cinq ans, avec 41% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui ne s'est pas exprimé cette année (24% d'abstention, 17% de vote blancs ou nuls), pour un tiers en 2017 (17% d'abstention, 15% de vote blanc et nul). On relève également 16% d'abstention et 13% de blancs ou nuls dans l'électorat de Yannick Jadot, 15% et 14% dans l'électorat de Valérie Pécresse.
Chez ceux qui se sont exprimés, la balance des reports de voix a nettement penché en faveur du Président sortant. Un tiers (42%) des électeurs de Jean-Luc Mélenchon a choisi Emmanuel Macron pour 17% Marine Le Pen, deux tiers (65%) des électeurs de Yannick Jadot ont voté Macron pour 6% Le Pen, plus de la moitié (53%) des électeurs de Valérie Pécresse ont aussi fait le choix du Président sortant, pour 18% Marine Le Pen. Le rapport de force a été largement favorable à la candidate du Rassemblement National dans l'électorat d'Éric Zemmour (73% de vote Le Pen), mais, avec en plus une meilleure mobilisation de l'électorat premier tour d'Emmanuel Macron (98% ont réitéré leur choix pour 91% dans l'électorat de Marine Le Pen), l'écart s'est creusé.
Profil des abstentionnistes
On retrouve dans le profil des abstentionnistes les différences sociologiques habituelles, même si elles semblent cette fois moins marquées et que globalement, l'abstention a été plus homogène sur l'ensemble des catégories d'électeurs. Comme d'habitude, le taux d'abstention est inversement proportionnel à la catégorie d'âge : 41% des 18-24 ans, plus du tiers des 25-34 ans (38%) et des 35-49 ans (35%) se sont abstenus, pour 26% des 50-59 ans, 20% des 60-69 ans et 15% des plus de 70 ans. On est en revanche plus surpris lorsqu'on se focalise sur la profession des interviewés, avec un niveau d'abstention équivalent chez les cadres (33%), les professions intermédiaires (33%), les employés (31%) et les ouvriers (33%). De même, on ne mesure pas cette fois-ci de différentiel de participation selon le niveau d'études : 28% d'abstention chez les non-bacheliers, 28% chez ceux qui ont stoppé leurs études au baccalauréat, 30% chez les bac+2 et 27% chez les bac+3 et plus. La norme d'une abstention décroissante par rapport au niveau de revenus est en revanche mesurée, avec 40% d'abstention au sein des foyers disposant de moins de 1250€ par mois, 32% dans la catégorie 1250€-2000€, 25% dans la catégorie 2000€-3000€, 22% au-delà.
En termes de proximité partisane, les électeurs de la France Insoumise (43%) se sont abstenus presque deux fois plus que tous les autres. Dans l'ensemble, le différentiel de mobilisation a été favorable au Président sortant, avec 9% d'abstention chez les sympathisants LREM-Modem, pour 19% chez les proches du Rassemblement National (et 22% chez les sympathisants de Reconquête). On observe aussi un écart significatif sur des critères plus qualitatifs comme "la satisfaction à l'égard de sa vie", avec 21% d'abstention chez ceux qui se disent "satisfaits", pour 37% chez ceux qui ne le sont pas. C'est en revanche moins net en ce qui concerne le milieu social auto-déclaré (38% d'abstention au sein des catégories populaires ou défavorisées mais quand même 31% dans les milieux aisés ou privilégiés), ou par rapport à la situation financière (35% d'abstention chez ceux "qui arrivent à mettre beaucoup d'argent de côté", pour 34% chez ceux "qui vivent sur leurs économies ou grâce à un ou plusieurs crédits").
Sociologie des électorats
Au-delà de l'abstention, près des trois quarts des personnes inscrites sur les listes électorales sont allées voter, pour asseoir une nette victoire d'Emmanuel Macron. Celle-ci s'est forgée sur le vote des plus âgés, très favorable au Président sortant : 59% des suffrages exprimés dans la catégorie 60-69 ans et jusqu'à 71% chez les électeurs de plus de 70 ans. Même s'ils ont moins voté, le rapport de force est également très favorable à Emmanuel Macron chez les plus jeunes (61% des suffrages exprimés dans la catégorie 18-24 ans), tandis que c'est plus équilibré dans les catégories intermédiaires, de 25 à 60 ans.
Comme on s'y attendait, le clivage a été très net en termes de catégories professionnelles, avec 77% de votes Macron chez les cadres, 59% au sein des professions intermédiaires, pour 67% de vote Le Pen chez les ouvriers et 57% chez les employés. L'assise de Marine Le Pen s'est quand même bien élargie par rapport à 2017, avec 11 points gagnés chez les ouvriers (elle était à 56% en 2017), 11 points chez les employés (46% en 2017), 8 points au sein des professions intermédiaires (33%), 5 points chez les cadres (18% en 2017).
Par rapport au niveau d'études, le rapport de force est équilibré jusqu'aux bacheliers, et s'inverse ensuite pour atteindre 58% de suffrages Macron chez les bac+2, 74% au sein des "bac+3 et plus".
Si Emmanuel Macron avait devancé Marine Le Pen dans toutes les catégories de revenus en 2017, il est devancé cette année dans la catégorie la plus basse, avec un rapport de force à 54% / 44% en faveur de Marine Le Pen au sein des foyers dont le revenu mensuel net est inférieur à 1250€ mensuels (on était à 55% / 45% en faveur d'Emmanuel Macron en 2017). Dans la catégorie la plus élevée - plus de 3000€ par mois - le rapport de force s'est resserré de 75% / 25% en faveur d'Emmanuel Macron en 2017, à 65% / 35% aujourd'hui.
Les écarts sont plus marqués sur des critères subjectifs, quand les électeurs s'auto-positionnent eux-mêmes sur l'échelle sociale. Plus des deux tiers de ceux qui se déclarent "satisfaits à l'égard de leur vie" ont ainsi voté pour Emmanuel Macron (69%), mais près de 80% de ceux qui ne sont pas satisfaits ont voté pour Marine Le Pen (79%). Idem quant au milieu social auto-déclaré, avec 65% de vote Le Pen dans les suffrages exprimés par ceux qui se considèrent d'un milieu "défavorisé", pour 79% de vote Macron au sein des milieux aisés ou privilégiés. Ceux qui arrivent à mettre "un peu" ou "beaucoup" d'argent de côté ont majoritairement voté Macron (respectivement 68% et 75%), mais ceux qui bouclent juste leur budget, vivent sur leurs économies ou grâce aux crédits ont davantage penché du côté de Marine Le Pen (à 54% et 52%).
En termes de proximité partisane, Emmanuel Macron a fait le plein des voix écologistes (91% chez les sympathisants EELV) et socialistes (91% chez les proches du PS). Il a également obtenu la majorité des suffrages exprimés par les proches de la France Insoumise, même si de ce côté l'écart est moins important (59% pour Emmanuel Macron, 41% pour Marine Le Pen). Globalement, les électeurs de gauche ont voté à plus de 80% pour le Président sortant. A droite, Emmanuel Macron a été soutenu par 69% des électeurs Républicains-UDI, pour 31% des voix vers Marine Le Pen.

Fiche technique : enquête menée par Ipsos & Sopra Steria pour France Télévisions, Radio France, France24/RFI/MCD, Public Sénat/LCP Assemblée Nationale et Le Parisien-Aujourd'hui en France auprès de 4000 personnes inscrites sur les listes électorales, constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, interrogées du 21 au 23 avril 2022.
