2012 : l'année de la consommation citoyenne

Dans un contexte où l'information circule de plus en plus rapidement, où les consommateurs s'agrègent en communauté, échangent moult expériences et avis, la fidélité pour une marque n'est plus qu'un vain mot. Plus que jamais, l'innovation est la condition sine qua none du succès. A condition toutefois qu'elle soit en phase avec une soif de "bien consommer", ancrée dans le quotidien, le "local", soucieuse de l'environnement, à même de flatter la bonne conscience du consommateur-citoyen. Interview d'Amaury de Beaumont, Directeur Général Adjoint du département CPG (Consumer-Packaged-Goods), Ipsos Marketing, réalisée pour le dernier numéro d'Ipsos Flair.

Le consommateur va-t-il échapper aux marques ?

A l’aube de 2012, le constat est largement partagé par les marques, innover est devenu un exercice de plus en plus difficile, les recettes d’hier ne fonctionnent plus, les consommateurs se transforment très/trop vite et peuvent « brûler ce qu’ils ont adoré, sans regrets... ».

 

Mais où va la conscience du consommateur dans ce contexte d’incertitude ?

En même temps qu’unanimement ils déclarent faire face à des fins de mois tendues et compter de plus en plus précisément lorsqu’ils font leurs courses, paradoxalement les consommateurs persistent à dépenser pour leur plaisir, vont céder à la tentation de plaisir plus intense (produits de luxe, produits technologiques, marques offrant une sensation, un bénéfice unique). La crise est passée par là, ou plutôt les crises, ce mot, ce concept, cet état de fait rythme, inlassablement, le quotidien depuis près de 10 ans, à peine une crise se termine qu’une autre arrive. On passe du « plus rien ne sera jamais comme avant » au « et alors ? ». Si ce type de contexte économique engendre prudence et méfiance, les consommateurs mutent pour s’adapter à ce nouvel environnement économique. La consommation devient raisonnée (pas forcément raisonnable). Le consommateur ne consomme plus « en ligne droite » mais passe son temps à slalomer au gré du bon sens, selon ses envies, ses attentes, ses humeurs, son besoin de ne pas passer à côté de quelque chose qui lui serait accessible, et enfin, selon l’offre à laquelle il est confronté, sans regrets ou probablement pour ne pas risquer de regretter… L’avènement du bon sens en consommation, c’est profiter aujourd’hui, sans pour autant se mettre en position vulnérable demain. On va choisir une marque pour un type de produit, passer à la marque de distributeur pour un autre, les cartes se redistribuent, et paradoxalement les marques retrouvent du tonus, à condition qu’elles aient su s’adapter, faute de quoi le consommateur les fera/les laissera disparaître sans regret !

 

Consommation 2012, l’avènement du bon sens ?

Très certainement. Le consommateur cherche à revenir à des fondamentaux conjuguant simultanément toutes les tendances de ces dernières années : plaisir, home made, gain de temps, santé, conscience… La construction de valeur se transforme, la « bonne » conscience en devient quasiment un pivot. A l’heure où le made in France et le consommer français reviennent, les consommateurs pensent encore plus « local », plus humain, veulent savoir qui cultive, qui fabrique, à qui ils achètent ; ils veulent finalement savoir que leur consommation contribue à entretenir le tissu économique local pour ne pas voir disparaître le « commerçant du coin », l’agriculteur de leur région..., ne pas regretter ce que serait demain ! C’est ainsi que l’innovation plébiscitée par les consommateurs en 2011, dans le cadre des trophées de l’innovation Ipsos LSA, a été la gamme « Parole d’éleveurs » par « l’oeuf de nos villages », mettant en scène sur les packs, le producteur situé dans un rayon de 100 km, associé à des promesses de bilan carbone ainsi que de maintien d’exploitations familiales. Les consommateurs y trouvent l’équilibre recherché entre plaisir, praticité et conscience. Pour la première fois, ce n’est pas le produit qui fait l’innovation mais la manière dont il arrive dans le caddie en assouvissant le besoin de « bonne conscience » des consommateurs. C’est ainsi que les laits de producteurs et laits régionaux figurent également en bonne place dans ce palmarès. Le consommateur a conscience de sa valeur économique et décode désormais très bien le marketing. Il revendique haut et fort son libre arbitre et se libère du discours des marques pour choisir en pleine conscience ce qu’il consomme et comment il va le faire. La complexité des arbitrages des consommateurs va croître, même face au prix. Il va donc falloir s’adapter, et le virage pour les marques sera réel.

 

L’innovation, toujours la réponse absolue ?

Dans un tel contexte, le risque pour les marques est tout aussi grand que l’opportunité qu’elles vont avoir de se transformer et de se rapprocher des consommateurs. 2012, le bon sens au coeur du discours. A l’heure où des marques de banque, d’automobile, et titres de presse disparaissent, les marques ont de quoi se sentir en danger... Pourtant, c’est dans ce contexte de profonds changements que les opportunités de se « revisiter » sont les plus grandes, les marques vont devoir écouter et anticiper le nouveau fonctionnement des consommateurs, parfois prendre des risques et sans doute faire confiance à l’intuition pour innover encore mieux. La seule valeur de fond de la marque, l’attachement habituel ne suffit plus à assurer la fidélité des consommateurs. Ces derniers seront sensibles aux marques qui parleront à leur conscience avec leurs mots (simples), et montreront clairement comment elles les aident dans leur quotidien, en construisant un attachement émotionnel plus fort, en développant des expériences produits plus authentiques, sans jamais oublier leur plaisir. Innover, ce sera être capable de s’ancrer dans le quotidien, soit de manière pratique, soit de manière futile, mais toujours en alimentant la conscience du consommateur (je fais moi-même, à la maison, je gagne du temps, je me fais du bien, je me fais (très) plaisir) ; trouver le bon arbitrage entre toutes ces notions/fonctions sera la clé de la réussite future des marques. Dans tous les cas, l’expérience-produit devra être forte, qu’elle soit centrée sur le plaisir ou sur le confort. Innover en 2012, ce sera être encore plus pertinent dans ce qui sera proposé au consommateur, à tel point pertinent que c’est à l’individu qu’il faudra s’adresser, être différent pour émerger et être « mieux » pour subsister. Grâce à la fulgurance de la circulation de l’information liée aux nouvelles technologies, les segments de consommateurs se génèreront alors par eux-mêmes pour parvenir à une adoption massive par les individus devenus collectivement conscients de « bien consommer ».

 

Parlons-nous de force et de conscience collective des consommateurs ?

Très certainement. Que devra être la réponse du marketing ? Nourrir cette conscience en s’appropriant les canaux les plus pertinents et aller encore plus loin dans l’accompagnement pédagogique du consommateur qui, dans sa consommation, voudra arbitrer délibérément en faveur d’une consommation s’inscrivant (à son niveau) dans la lutte collective contre une crise. Pour ne pas regretter ce que pourrait être le monde du jour d’après !

Société