53% / 47% : le Oui repasse en tête
L'instabilité du rapport de force dans la série d'intentions de vote Ipsos-Le Figaro est exceptionnelle. On est passé de 60% pour le Oui début mars à 55% pour le Non le 15 avril. En deux semaines, le Oui repasse en tête, à 53% chez les électeurs "certains d'aller voter". Pierre Giacometti, directeur d'Ipsos, analyse la dynamique.
A un mois du référendum, le Oui est à nouveau majoritaire dans l’opinion. Mais cette supériorité restaurée n’a pas la même signification que celle qui avait précédé la montée en puissance du Non. Dans sa première phase de domination trompeuse, le Oui était teinté d’indifférence et s’exprimait dans un climat de non-campagne, épargné par la confrontation. Aujourd’hui, les 53% enregistrés à un mois du scrutin pèsent plus que les 60% d’hier.
Le niveau de la huitième vague de l’Observatoire Ipsos est en effet mesuré après une séquence où la proportion d’indécision s’est réduite de moitié (de 40% à 20%) et suite à une période durant laquelle le débat électoral s’est véritablement installé dans l’actualité et au cœur de nombreuses discussions entre les Français.
Parce qu’elle se produit dans un moment de la campagne plus proche du scrutin, donc théoriquement moins propice à l’instabilité, la progression du Oui en l’espace de deux semaines - + 8 points de 45% à 53% - est comparable en intensité à celle dont a bénéficié le Non à la mi-mars (+14 points en 3 semaines).
Jamais dans le passé une campagne nationale n’avait été caractérisée par deux inversions de tendance aussi nettes par leur force et leur rapidité. A cet égard, le référendum de 2005 devient d’ores et déjà une référence pour illustrer la fluidité croissante, ces dernières années, du processus de choix électoral des Français. Au regard des évolutions d’opinion observées depuis deux mois, la campagne électorale de ce référendum est bien sans précédent. Son caractère exceptionnel incite bien sûr à la précaution au moment où s’engage le dernier mois de campagne, marqué fréquemment par des changements de tendance notables.
La seconde phase de structuration annoncée lors de la vague précédente de l’Observatoire Ipsos avait été marquée par une forte poussée du Oui à droite. Elle se poursuit cette semaine en faisant apparaître pour la première fois un double phénomène: très forte mobilisation électorale et sensible amélioration des positions du Oui à gauche, particulièrement parmi les sympathisants socialistes.
Une mobilisation électorale qui présage d’une participation élevée le 29 mai
La volonté des Français d’aller voter le 29 mai progresse de plus de 10 points en l’espace d’une semaine. C’est là la première explication du Oui majoritaire dont la progression va de paire avec la réduction de l’indécision, constatée dans de nombreuses catégories d’électeurs.
C’est la conséquence la plus visible et la plus mécanique des deux mois de controverse autour de la montée en puissance du Non. Pour mobiliser les électeurs, tout scrutin doit bénéficier de deux ingrédients: la construction d’une alternative et la perception d’une incertitude quant à l’issue du résultat. Incontestablement le référendum du 29 mai, à l’inverse des élections européennes, bénéficie de ces deux leviers. Dans cette seconde séquence de campagne, le réveil de mobilisation favorable au Oui s’est nourri de la compétitivité du Non dont le risque de victoire, a été scandé par 23 sondages publiés.
La mobilisation des électeurs atteint aujourd’hui un niveau très nettement supérieur à celui mesuré à un mois des dernières élections européennes de 2004 et à peine légèrement inférieur à celui de l’élection présidentielle de 2002. Si ce niveau devait se confirmer dans les quatre dernières semaines de campagne, la participation pourrait ainsi se situer entre 60% et 70%. Si la détermination des Français à se rendre aux urnes progressait encore on pourrait alors s’approcher de l’exceptionnel taux du référendum de Maastricht (70%).
Cette mobilisation nouvelle se produit au moment où tous les principaux acteurs sont désormais sur le devant de la scène politique, signe du déclenchement réel de la campagne électorale, illustré également par l’arrivée dans les boîtes aux lettres des Français du texte complet du traité constitutionnel.
Une inversion du rapport de force au sein de l’électorat socialiste qui pourrait s’avérer décisive
Si cette enquête témoigne d’un niveau record du Oui au sein de l’électorat de l’UMP (+3, soit + 13 en deux vagues), elle se démarque des cinq vagues précédentes par la nouvelle mobilisation en faveur du Oui parmi les sympathisants socialistes. Pour la première fois en effet depuis la mi-mars, les électeurs de la formation dirigée par François Hollande déclarent une intention de vote majoritaire en faveur du Oui. La progression est de 11 points en une semaine. Le Non reste majoritaire chez les sympathisants écologistes bien qu’en baisse de 5 points. La dynamique d’intentions de vote favorable au Oui est d’autant plus sérieuse qu’elle est associée à un brutal changement de climat politique. En matière de pronostic et de souhait, l’inversion de tendance est complète. Au sein des électorats des deux principales formations défendant le Oui, ils s’associent désormais de manière conjointe massivement à l’UMP, majoritairement au PS.
Comment expliquer cette évolution en l’espace de quelques jours?
Bien sûr, dans la nouvelle dynamique du Oui à gauche, il faut relever la présence dans la campagne de pédagogie de personnalités aussi marquantes que Robert Badinter ou Jacques Delors. Logiquement il convient également d’insister sur l’impact incontestable de la prestation télévisée très suivie de Lionel Jospin, dont cette enquête mesure les effets positifs auprès des électeurs socialistes.
L’intervention de l’ancien Premier ministre s’est inscrite dans un contexte où les arguments de campagne du oui commençaient déjà à retenir l’attention des Français. Pièce maîtresse du propos de l’ancien candidat socialiste à l’élection présidentielle, l’argument des dangers d’une victoire du Non pour la France, dont la crédibilité n’a cessé de croître au fil des semaines, apparaît sans doute ces deux dernières semaines comme le principal point d’appui de la dynamique du Oui.
A droite, la détermination en faveur du Oui s’appuie largement sur l’idée que le Non conduirait à l’impasse. En effet alors qu’au début du mois d’avril, une nette majorité de sympathisants UMP-UDF croyait à la capacité de renégociation de la France en cas de victoire du Non, ils sont désormais une majorité absolue à être convaincus du contraire.
A gauche, la dynamique du Oui se structure autour d’une double motivation. Les sympathisants socialistes se montrent plus inquiets des conséquences d’une victoire du Non que de celles d’une issue inverse mais surtout le Oui incarne désormais plus le changement que le statu-quo. Au-delà de l’électorat socialiste, l’enjeu de la représentation du changement doit être considéré aujourd’hui comme le capital d’image essentiel pour les partisans du Oui.
Le choix du Oui est en effet considéré par plus de 50% des Français comme « incarnant le changement » contre 32% seulement qui l’identifie à la victoire du Non.
A l’exception des proches du PC, de l’extrême gauche et du Front national, toutes les sensibilités politiques traditionnellement pro-européennes, y compris les Verts pour l’instant tentés majoritairement par le Non en terme d’intentions de vote, sont acquis à cette idée. L’incarnation du changement est également majoritaire dans des catégories sociales le plus souvent tentés par un vote négatif: les ouvriers, les employés, les 30-50 ans.
Les partisans du Oui doivent désormais convaincre ces milieux sociaux que la Constitution européenne est porteuse d’un changement destiné à créer les conditions d’un pays plus confiant dans son avenir. C’est là l’un des enjeux de la seconde intervention télévisée de Jacques Chirac au moment où le choix des Français semble momentanément plus à l’abri du climat intérieur, au profit d’une réponse plus motivée par les enjeux européens. Mais il reste quatre semaines de campagne au cours desquelles la pression du climat politique, économique et social peut encore jouer son rôle. La persistance d’une actualité favorable au Non et le niveau encore significatif des hésitants viennent s’ajouter à cette nouvelle donne encore incertaine.