Adolescents en 2006 : malgré l’inquiétude, la positive attitude

L’enquête Ipsos Insight Santé réalisée à l’occasion du 2ème Forum Adolescences de la Fondation Wyeth dresse le portrait des adolescents. Comment vont-ils en 2006 ? Quels sont leurs projets, leurs repères ? Les jeunes de 15 à 18 ans vont bien, ils pensent à leur avenir et ont des projets. Les réponses des ados au climat d’incertitudes ne semblent pas être l’angoisse ni la sur-inquiétude. Peu croient au principe d’égalité des chances, beaucoup se disent inquiets sur l’avenir de la société. Ils se révèlent pragmatiques et témoignent d’un goût pour le concret et la proximité (mon cercle : moi, ma famille). Reste à s’intéresser aux 5% d’adolescents pour lesquels il faut s’inquiéter : négatifs sur la société, inquiets pour leur avenir personnel, sans projet, isolés, leur mal-être paraît les avoir rendus vulnérables.

Quelques questions se posaient en amont de l'étude :

Les incertitudes de la société, du monde des adultes ont-elles un impact sur les adolescents (vécu présent, perception de leur avenir) ? Quelles conséquences en termes de vulnérabilité et de risques pour les adolescents ?

Des éléments de débat soulevés par l'étude

« Pour avancer, mieux vaut ne pas trop s'inquiéter.» garçon, 17 ans « J'ai l'impression que ce sont plus les adultes qui flippent. Ils s'angoissent.» fille, 16 ans
«  Les profs, mes parents, ils se font beaucoup de souci. Moi je sais que je vais m'adapter. » garçon 17 ans

La réponse majoritaire des adolescents au climat d'incertitudes ne semble pas être l'angoisse, ni la sur-inquiétude. Elles seraient trop désespérantes et donc dévastatrices pour eux.

Mais, l'inquiétude existe chez eux. Ils sont lucides et critiques sur leur environnement . Dans une société dont l'avenir paraît incertain, les adolescents semblent avoir développé, de manière extrêmement rationnelle, une acuité :

  • Pour le présent/ l'immédiateté (vs les projections dans un avenir lointain),
  • Pour le concret, le tangible, le pragmatique,
  • Pour l'individuel ou le cercle de proximité (vs le collectif).

Autrement dit, les 15-18 ans ont trouvé des solutions pour ne pas sombrer dans le marasme. Cette attitude d'adaptation est-elle le fait de leur jeune âge ou liée à un véritable effet de génération ? L'avenir le dira.

L'angoisse serait-elle plus adulte qu'adolescente ? Sans doute.

Dans ce contexte, comment et en quoi les adolescents peuvent-ils aider les adolescents ?

Reste à s'intéresser à la frange des adolescents, estimée à 5% dans cette enquête, qui semble rendue vulnérable par ce monde incertain : isolés, en recherche de repère, sans projet.

Comment faire pour donner du sens et des repères à ces adolescents ? Comment éviter que certains d'entre eux ne basculent dans des risques ou problèmes mettant en danger leur santé ?

Comment s'assurer, enfin, que ce groupe d'adolescents, aujourd'hui marginal, ne s'accroisse au fil du temps ?

Ados en 2006, comment se sentent-ils ? Ils vont bien…

Le portrait qu'ils dressent d'eux-mêmes nous amène loin des noirs tableaux que certains dépeignent parfois à leur sujet, et particulièrement en ces périodes de crises sociales.

Une majorité d'entre eux déclare que tout va bien pour eux :

  • 95% disent avoir beaucoup d'amis
  • 80% déclarent parler facilement avec leurs parents
  • 79% répondent qu'ils se sentent bien à l'école

71% des adolescents se sentent satisfaits de ce qui leur arrive personnellement.
Cet indicateur n'a pas diminué pas depuis l'an passé.
« Je suis de nature optimiste, je vois tout en positif. » fille, 15 ans
« Je suis toujours plus ou moins satisfait. Je me contente de peu car je sais que c'est difficile. » garçon, 18 ans
23% nous indiquent tout de même avoir du mal à aller vers les autres et 16% se sentir mal dans leur peau.

42% des adolescents se sentent souvent sous pression.

A l'origine de la pression, se trouvent, si l'on en croit les récits des adolescents, les performances scolaires et en filigrane la question de la réussite sociale (« réussir sa vie »). Ce sont les parents et les professeurs qui sont les principales sources de pression, et qui se focaliseraient d'après les adolescents et pour reprendre leurs mots sur l' « obsession des notes ».

L'enquête ne dit pas si la pression est vécue comme stimulante ou au contraire comme tétanisante. A noter toutefois qu'elle est bien plus souvent citée par les adolescents les plus en difficulté sociale ou relationnelle (sentiment d'être défavorisé, dialogue difficile avec les parents). Les filles, les jeunes en zone rurale déclarent également plus ressentir cette pression que les autres adolescents.

Ces résultats marquent une grande stabilité par rapport aux mêmes questions posées l'an passé à des adolescents de la même tranche d'âge.

Un autre indicateur nous décrit une population adolescente « positive » : 75% des adolescents interrogés se sentent favorisés socialement (71% plutôt favorisés et 4% très favorisés). Il s'agit là bien sûr de réponses subjectives par essence, qui ne correspondent pas aux critères objectifs de catégorie sociale. Déclarer se sentir favorisé recoupe des appréciations de nature différente. Il est possible que la définition de ce que recouvre « être favorisé » se redéfinisse en fonction du contexte social et que l'on assiste ici à une forme de nivellement : se sentir favorisé renvoie pour certains au fait « de ne manquer de rien » comme il peut renvoyer au sentiment de précarité ou à tout autre sentiment de vulnérabilité quant à la situation personnelle.
« J'ai de la chance, chez moi on ne manque de rien. » Adolescente, Rouen
« Mon père est commerçant. Il travaille beaucoup. Ca peut vite basculer. Il a déjà déposé le bilan d'une autre affaire…  » Adolescente, Paris

Ce qui compte pour eux : la famille et la santé

« Mon modèle ? C'est mon père. » Adolescent à Rouen
Lorsqu'on leur demande ce qui compte aujourd'hui le plus pour eux, 90% citent la famille loin devant les amis (78%) et les amours (57%).

En même temps qu'ils décrivent un monde incertain, inquiétant, les adolescents semblent en effet accorder une valeur importante à l'éducation parentale et plus généralement à la famille : 92% pensent que l'éducation que donnent les parents est une clé essentielle de la réussite et y croient plus qu'en l'éducation fournie par l'institution scolaire qui recueille 77% d'avis positifs.

Parmi les problèmes qu'ils redoutent pour l'avenir, la santé et la famille sont encore au cœur de leurs préoccupations.

Quel est le regard des adolescents sur la société ? Ils sont plutôt pessimistes et inquiets.

Ils sont majoritairement pessimistes :

  • seulement 25% des 15-18 ans croient en l'idée de progrès « le monde de demain sera meilleur que le monde d'aujourd'hui » (6% y croient tout à fait) ;
  • 85% sont inquiets par rapport aux évolutions de la société française ;
  • 90% sont inquiets par rapport aux évolutions du monde.

Une certaine défiance est relevée lorsque l'on évoque les grands principes de justice, d'égalité des chances…

  • 33% seulement croient que tout le monde a les mêmes chances de réussite ;
  • 31% seulement considèrent que la justice défend chacun équitablement.

Une conviction forte est partagée par 82% des 15-18 ans : l'argent est le moteur de la société ; 56% croyant tout à fait. Ce consensus fort autour de la société guidée par l'argent ne doit pas nous tromper. C'est avant tout un constat sur la société. Il ne signifie pas que les adolescents adhèrent personnellement à ce principe et qu'ils en auraient fait un objectif personnel.

En ce sens, lorsque l'on interroge les adolescents sur leurs priorités, on s'aperçoit qu'une large majorité place les éléments de qualité de vie, par exemple être en bonne santé ou encore les éléments liés à l'épanouissement personnel : avoir un travail intéressant, avoir une vie amoureuse épanouie…, bien avant les éléments liés à l'argent. Cette hiérarchie montre combien ces notions de santé, d'épanouissement personnel deviennent valorisantes.

Alors que les adolescents se montrent critiques sur la société, ils marquent un intérêt important pour les actions individuelles comme si les solutions pour leur avenir personnel et la société ne pouvaient venir que d'eux-mêmes ou des actions de proximité. Quelques indicateurs semblent en témoigner :

  • 85% croient que le système D et le sens de la débrouille permettent de s'en sortir dans la vie
  • 93% considèrent que l'environnement peut être préservé par des gestes simples
  • pour 81%, il est important de consacrer du temps à une association

Enfin, ils ont pour la plupart (85%) le sentiment que les jeunes peuvent faire bouger les choses.

Comment voient-ils leur avenir personnel ? Ils sont majoritairement confiants et optimistes.

Les adolescents se décrivent majoritairement (64%) confiants pour leur avenir personnel

Les plus confiants (insouciants?) pour leur avenir personnel sont les garçons (71% des garçons confiants vs 58% des filles) et ceux qui se sentent « favorisés » (68% vs 45% de ceux se sentant défavorisés).
Les lycéens en filière professionnelle se définissent plus confiants personnellement que ceux fréquentant une filière générale (72% vs 60% des lycéens en filière générale), peut-être sont-ils moins inquiets à propos de leur intégration professionnelle.
La confiance dans l'avenir personnel (forme de confiance en soi) est fortement corrélée aux indicateurs de bien-être (amis, dialogue avec les parents, difficultés à aller vers les autres…).

L'avenir les préoccupe

72% des adolescents disent avoir planifié des projets d'avenir. 90% déclarent s'être déjà fixés personnellement des objectifs. On peut estimer que leur définition de l'avenir se situe à court et moyen terme.
Une large majorité d'adolescents évoque les questions d'avenir avec les interlocuteurs privilégiés : les amis, signe que l'avenir constitue une préoccupation intime et importante. Les projets d'avenir sont en effet abordés régulièrement (45%) ou parfois (36%) avec les amis…, alors qu'ils sont bien moins souvent partagés avec les parents (74%) et dans le cadre scolaire (55%).
A noter : les filles paraissent plus préoccupées par leur avenir que les garçons.

Ils ont des projets et sont optimistes sur leur chance de réalisation

Les adolescents ont des projets professionnels. On est frappé de la précision de leurs réponses. Il est également remarquable que si peu d'adolescents (9%) n'aient pas été en mesure de répondre à la question du métier qu'ils souhaitent exercer.
Les métiers dans le domaine médical et para-médical attirent le plus de vocation : 13% disent s'y destiner.

Les jeunes de 15-18 ans sont optimistes sur le pronostic de réalisation de leur projet professionnel (note moyenne de pronostic de réalisation de 6,9/10). Parmi les adolescents les plus optimistes, on trouve les lycéens en filière professionnelle, les adolescents dont le niveau de bien-être est élevé (qualité de dialogue avec les parents, moindre sentiment de pression…).

Santé, travail, stabilité et famille arrivent en tête des espoirs des adolescents pour leur avenir personnel.

Pour chacun des éléments que je vais te citer, donne une note de 0 à 10 pour indiquer : l'importance que cet élément a pour toi, quand tu penses à ta vie future et tes projets d'avenir...

Les éléments les plus importants

Note moyenne sur 10

être en bonne santé

9,4

avoir un travail qui m'intéresse

9,3

avoir un travail qui me rapporte ce dont j'ai besoin

8,9

avoir une vie amoureuse épanouie

8,9

avoir un travail stable

8,7

aider les autres

8,6

avoir une vie stable

8,6

éduquer des enfants

8,5

En termes de pronostic de réalisation de ces priorités, les adolescents sont globalement optimistes, bien que plus réservés sur les questions relatives au travail et en particulier sur celle d'avoir un travail stable, où l'écart entre la note d'importance et la note de pronostic de réalisation est le plus élevé.

Les notes les plus élevées par rapport au pronostic de réalisation portent sur les enjeux familiaux et sentimentaux.

Typologie des adolescents
Au terme d'une première analyse, une typologie a été ébauchée à partir des données de l'enquête 4 figures d'adolescent semblent se distinguer

Les « tout baigne » => 29%
Entourés , bien dans leur peau, ils ressentent moins de pression que les autres de leur génération . Ils paraissent accorder une plus grande importance à la famille et aux valeurs morales. Ils ont une vision positive de la société qui les entoure et croient en l'égalité des chances. Ils sont confiants dans leur avenir personne l. Ils sont ambitieux (tout leur paraît important pour leur avenir) et optimistes sur l'accomplissement de leur vie future.
Cette attitude est plus représentée parmi les 15-16 ans, les lycéens en filière professionnelle, les enfants d'ouvriers.

Les « satisfaits » => 26%
Socialement favorisés, tout va plutôt bien pour eux (dialogue avec les parents, école). Conscients des réalités de la société et critiques sur celle-ci, ils sont d'ailleurs particulièrement satisfaits de ce qui leur arrive . La morale et la famille sont pour eux des éléments très valorisants.
L'avenir n'est pas centré sur le travail mais autour de la famille, du temps libre. Ce qui compte : l'entourage, la famille , agir dans la société (associations, faire bouger les choses). Ils aspirent souvent à des professions intellectuelles .
Ce groupe est plus représenté parmi les enfants de cadres supérieurs, les lycéens en filière générale et les filles.

Les « attentistes » => 23%
Ils se situent dans la moyenne sur un grand nombre d'indicateurs. C'est leur indétermination qui les définit . Ils sont indécis sur l'avenir (importance et perspective de réalisation) parce qu'ils ont peu considéré la question. Pour leur avenir, ils laissent les choses venir, ce qui est facilité sans doute par leur statut de plutôt bons élèves . Ils sont aussi indéterminés en matière d'opinion sur la société d'aujourd'hui.
Ils ne croient pas ou peu en l'action (pas de débrouille, pas d'action collective des jeunes).
Cette figure est plus présente parmi les garçons et parmi les enfants de cadres supérieurs et les salariés du public.

Les « inquiets » => 17%
Ils se sentent en difficultés dans leur environnement (école, famille, amis), se définissent souvent comme mal dans leur peau, sont sous pression . Ils sont particulièrement inquiets pour leur avenir personnel (manque de confiance en soi), et de manière générale sur les évolutions du monde et de la société. Ils voient la société inéquitable et en péril . Moins bons élèves, ils sont conscients de la valeur du travail mais l'amour compte aujourd'hui plus pour eux que les résultats scolaires…
Ce qui est important pour l'avenir : travailler mais sont pessimistes sur leurs chances de réalisation.
Ce groupe est plus représenté chez les filles, les enfants d'employés et d'ouvriers, les lycéens en filière professionnelle.

Les « angoissés » => 5%
Tournés sur eux-mêmes, isolés (pas beaucoup d'amis, pas de dialogue avec les parents), ils peuvent rencontrer des difficultés à l'école et se sentir défavorisés. Anticonformistes , la famille et la morale n'ont pour eux que peu ou pas d'importance. La société est injuste à leurs yeux. Ils se construisent en opposition au modèle dominant.
Ils sont inquiets pour leur avenir . Ils vivent au jour le jour sans penser à la vie future et en ne faisant pas de projet .
Leur inquiétude (angoisse) est paralysante : comme rien ne va se réaliser… leur raisonnement est de n'accorder surtout aucune importance à l'avenir et ne pas faire de projets.
Ce groupe est plus représenté parmi les élèves de troisième et seconde, filles, enfants dont les parents sont séparés.


Fiche technique :

Date du terrain: entre les 14 et 28 mars 2006 (dans le contexte des mouvements anti-CPE)

Echantillon: 800 adolescents de 15 à 18 ans ont été interrogés par des enquêteurs d’Ipsos Santé en face-à-face (sortie d’établissements scolaires et domicile)

Methode: Echantillon national représentatif construit grâce à la méthode des quotas (sexe, âge, taille d’agglomération, région, filière scolaire) à partir des données Insee et de l’Education Nationale.
Les verbatims mentionnés sont issus d’une enquête qualitative menée en Ile-de France et en Haute-Normandie (10 entretiens avec des adolescents de 15 à 18 ans).

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