Adolescents : rejet de la politique traditionnelle, mais forte conscience sociale

Les adolescents manifestent un profond désintérêt pour la politique traditionnelle mais restent très attachés à l'idéal démocratique. Si la politique nationale les ennuie, ils se montrent en revanche très sensibles aux grandes injustices du monde. Tels sont les principaux enseignements d'une étude réalisée par Ipsos auprès des 13-17 ans pour les Clés de l'Actualité.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
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Les signes d'une désocialisation politique de la génération des 13-17 ans sont nombreux. 80% des adolescents de cette catégorie d'âge déclarent ne pas s'intéresser à la politique en général et 78% avouent ne parler jamais ou rarement de politique dans leurs conversations quotidiennes, avec leurs amis ou en famille. Ce déficit de socialisation politique, notamment familiale, est à l'origine de la faiblesse de l'identification partisane de cette génération. Seuls 30% des adolescents acceptent de se placer sur l'axe gauche-droite (19% à gauche, 11% à droite), 43% se plaçant ni à gauche, ni à droite, et 27% n'expriment pas d'opinion. Par comparaison, 82% de la population française accepte de se positionner sur une échelle gauche-droite. Certes l'intérêt pour la politique croît avec l'âge (il est de 39% pour les adolescents âgés de 17 ans contre 6% chez ceux de 13 ans) mais il reste toutefois toujours minoritaire. Ce désintérêt s'explique principalement par la mauvaise image dont jouit la politique auprès de cette génération. Pour ces adolescents, la politique est inaudible (71% des adolescents déclarent ne pas bien comprendre ce que disent les hommes politiques), éloignée de leur réalité (82% considèrent que les responsables politiques ne sont pas à l'écoute des jeunes) et au final sans beaucoup de sens (59% estiment que les responsables politiques disent tous la même chose).

Cette indifférence à un champ politique conventionnel qui leur paraît complètement étranger ne signifie pas pour autant que les adolescents délaissent le terrain politique au sens large du terme. Ils restent d'abord très attachés à l'idéal démocratique : ils sont ainsi près des trois quarts à juger que les hommes politiques sont nécessaires pour permettre un bon fonctionnement de la démocratie, qu'ils peuvent engager des changements utiles à société et que voter est un acte utile. Le paradoxe est ainsi que les adolescents ont une représentation idéale, voire idéalisée de la politique, qui ne fait probablement qu'accentuer leur désintérêt à l'égard d'une politique "réelle" dont ils sont considérablement éloignés. En tous cas, en ce qui concerne les grands principes démocratiques, la socialisation politique paraît plutôt bien fonctionner.

Ils sont ensuite relativement concernés par des comportements politiques dits protestataires. Ainsi, au cours de ces deux dernières années, 23% d'entre eux disent avoir participé à une manifestation (45% pour les adolescents âgés de 17 ans), 23% ont donné à une association (33% pour les adolescents âgés de 17 ans), 21% ont signé une lettre de protestation ou une pétition (30% pour les adolescents âgés de 17 ans), 10% ont écrit dans un journal de collège ou de lycée et 7% ont crée ou rejoint une association. Au total, au cours des deux dernières années, 60% d'entre eux ont ainsi "milité" pour une cause ou une personne par le biais de l'une ou de l'autre de ces actions. Si l'engagement partisan leur apparaît sans sens, l'engagement au service d'une cause reste mobilisateur, probablement parce qu'ils ont une sensibilité exacerbée aux grandes injustices du monde actuel.

Interrogés ce qui les préoccupe personnellement, ils citent d'abord le sida (88%), la misère des sans-abris (86%), la pauvreté et la faim dans le monde (85%), la violence, l'insécurité (85%), la drogue (81%), le chômage (79%), la préservation de l'environnement (75%) ou encore la montée du racisme (74%) et la guerre dans le monde (70%). Le décalage entre leurs préoccupations et ce qu'il pense être les préoccupations des responsables politiques est patent : alors que le sida apparaît comme la principale préoccupation des adolescents (avec 88%, elle arrive au premier rang), ils estiment que les élus s'en inquiètent beaucoup moins qu'eux (avec seulement 62%, elle arrive au sixième rang de ce qu'ils considèrent être les principales préoccupations des hommes politiques). De même, la misère des sans-abris, la pauvreté et la guerre dans le monde qui font actuellement partie des grandes inquiétudes des adolescents, sont perçues comme des dossiers auxquels les responsables politiques accordent une importance moindre. A l'opposé, les adolescents considèrent que les personnalités politiques se montrent plus préoccupées par des dossiers qu'ils estiment moins importants comme la crise de la vache folle, la construction européenne ou encore le chômage. Il y a de manière évidente à la source de ce hiatus entre leur préoccupations et ce qu'ils projettent de celles des politiques une inégale capacité d'indignation à l'égard des grands fléaux de la planète. Ce que reproche fondamentalement cette génération, dépolitisée mais toujours en quête d'idéal, aux politiques, c'est bien peut-être d'abord une forme de résignation et de fatalisme face aux fractures du monde.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs

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