Ados conformes

Ne vous fiez pas à ses mèches rebelles. L’adolescent hyper consommateur a surtout soif de reconnaissance, d’intégration absolue, de statut, comme nous l’expliquent Florence Rigal et Camille Champel en charge d’études qualitatives, Ipsos ASI.

Auteur(s)
  • Hélène Delpont Directrice Générale, Ipsos Connect
  • Camille Champel
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Ipsos Actus : Vous vous intéressez beaucoup aux consommateurs ados. Quel profil ont-ils ?

Florence Rigal : Le grand paradoxe de cette tranche d’âge, c’est d’adopter la rebelle attitude et de rechercher d’abord du conformisme. Le souci principal des ados, ce n’est pas d’être différent même s’ils sont prompts à le revendiquer, mais au contraire de ressembler à leurs pairs. Autre trait de caractère : ils sont dans une hyper consommation, ils traquent la nouveauté. La chose importante pour eux, c’est d’avoir le téléphone dernier cri et le forfait illimité qui va avec.

Il n’y aurait donc pas trace d’anticonformisme chez les ados ?

F. R. : C’est une rébellion conformiste. Finalement, ce qu’ils désirent, c’est s’intégrer dans leur groupe d’appartenance. Quand il y a de l’anticonformisme, c’est plus une image, un archétype. Comme par exemple avec la campagne « be stupid » de Diesel de cette année. Et c’est le principe des campagnes Axe avec modèle, apparemment très second degré, de l’homme capable de séduire toutes les femmes.
Camille Champel : C’est la priorité au statut. Nous avons récemment travaillé sur l’affichage de l’impact environnemental des produits d’ici début 2011. Nos observations sur la tranche d’âge des adolescents, surtout pour des produits à forte valeur de statut, montrent qu’ils ne sont pas du tout disposés à prendre en compte ces critères écologiques.

Est-ce un défaut d’information ?

F. R. : Ils sont informés de toutes ces choses mais cela fait partie de leur contradiction. Là où les adultes peuvent culpabiliser, les ados ne sont pas du tout dans l’analyse de leur comportement. Ils sont dans leur priorité à eux.
C. C. : Ils ne sont pas dans une consommation raisonnée même s’ils peuvent tout à fait tenir des discours par rapport aux problèmes d’environnement.

Que consomment-ils d’abord, l’objet ou la marque ?

F. R. : Ils sont avant tout consommateurs des marques qui ont valeur de référence dans leur univers, celles qui font partie de leur clan d’ados. Comparé à l'adulte, l'ado n'est pas critique par rapport à la marque, si tant est qu'elle communique sur les valeurs qu'il affectionne.
C. C. : Il cherche la marque parce qu’il est dans une recherche de représentation et de statut. La marque lui permet de se montrer et de se valoriser dans son groupe référent.

Dès lors qu’elle est l’amie ou le faire-valoir des ados, la marque ne craint-elle rien ?

C. C. : Elle peut craindre si elle s’y prend mal avec eux mais si elle sait leur offrir le discours qu’ils attendent, c’est gagné.

Quels sont les mots, le ton, les codes qui leur plaisent ?

F. R. : Ils manient l’humour et l’ironie. Leur grand truc, c’est la pub qui se moque de la pub. Il faut dire qu’en la matière, ils ont un œil averti (1). Ce qu’ils ne supportent pas au contraire, c’est que l’on puisse se moquer d’eux. Des campagnes qui ont tendance à les caricaturer sont rejetées. Notamment au niveau du langage. Souvent les marques essaient de développer des slogans percutants pour les jeunes, des formules ou des images faites pour être reconnues et répétées. Essayer d’adopter leur langage en les singeant, c’est s’exposer au risque d’un échec cuisant. Les ados aiment qu’on s’adresse à eux avec leurs valeurs mais dès que la marque surjoue, elle se heurte à des blocages très forts de leur part. Gare à l’autodérision ! Les ados supportent mal qu’on l’exerce à leur place.
C. C. : On a souvent l’impression que les marques doivent choisir entre être dans le camp des ados ou celui des parents. Or la vraie performance, c’est d’arriver à réconcilier les deux. C’est ce qu’a très bien réussi à faire cette campagne d’Universal Mobile en jouant sur les deux tableaux. Personne n’est ridicule dans cette situation. Au contraire, tous s’en sortent très bien.

Cette cible des ados est-elle difficile à appréhender ?

C. C. : Elle n’est pas toujours facile à mettre en confiance, c’est certain. Lors de nos tests quali, ils se livrent moins facilement, sont sans doute plus timorés. Et puis ce n’est pas toujours évident de mélanger les garçons et les filles. Ils sont plus timides entre eux dans la mixité.

Quand est-ce que l’adolescent tourne la page ?

C. C. : En théorie, un virage s’opère dès que l’on passe la barrière des 18 ans, que l’on sort du lycée. La jeune femme ou le jeune homme bascule alors dans une quête d’affirmation de la personnalité et de différenciation. Là, on commence à porter un regard plus analytique par rapport à tout ça. L’affirmation de soi par la marque commence à s’estomper.

Depuis que vous observez les ados, qu’est-ce qui a le plus changé ?

F. R. : Cela fait 20 ans que j'exerce ce métier et j’ai envie de dire que les ados sont toujours les ados. Ce qui est profondément nouveau, c’est la place prise par le Web et le marketing viral. Les ados français en particulier ont un niveau de connexion très élevé même jeune. Ils seraient même les champions d’Europe du temps passé en ligne. De quoi affoler les marketeurs ! Ceci dit, les ressorts sont les mêmes : être reconnu par le groupe, s’intégrer, adopter la posture du rebelle avec un niveau de conformisme élevé.

(1) La campagne ZAOZA 2008 : campagnes faite avec de l’adjacking et des « fausses pubs »

Auteur(s)
  • Hélène Delpont Directrice Générale, Ipsos Connect
  • Camille Champel