Au-delà de l’effet « Lipstick » : l’irrésistible attrait pour la cosmétique de luxe

Le Salon Beyond Beauty, porte de Versailles, du 9 au 11 septembre 2013, est l’occasion parfaite pour Rémy Oudghiri, Directeur du département Tendances & Prospective, Ipsos Public Affairs, de s’exprimer sur l’irrésistible désir pour la Cosmétique Premium qui croît dans nos sociétés contemporaines. Ci-dessous, un résumé fidèle de sa prise de parole.

Le succès de la cosmétique de luxe est amplifié en période de crise par l’effet « lipstick ». Mais d’autres raisons, plus profondes, expliquent l’irrésistible engouement constaté à travers le monde. Deux facteurs en particulier se détachent dans les enquêtes : la prédominance de l’image dans nos sociétés et l’aspiration croissante à mieux se protéger des insécurités contemporaines (pollution, âge, contrefaçons, mauvaise qualité…).

L’effet lipstick émerge en période de crise

En 2012, le marché de la cosmétique premium a augmenté de plus de 6% dans le monde. Et pas seulement sur les marchés dits « émergents ». De nombreux pays développés sont concernés. Ce succès peut intriguer dans une période économique difficile. Une explication de cette dynamique a été formulée aux Etats-Unis par les tenants de l'effet « lipstick » (« rouge à lèvres »). Leur thèse ? En période de crise, les consommateurs réduisent la voilure et taillent dans leurs dépenses, mais ont toujours envie de luxe. La seule façon de satisfaire ce désir est de s’attacher à des produits moins chers mais qui apportent autant de plaisir comme le rouge à lèvres, par exemple. Autrement dit, quand on n’a plus les moyens de s’offrir le grand luxe, le monde du « petit luxe » s’offre à vous… L'observation des cinq dernières années dans un certain nombre de sociétés développées tend à confirmer cet effet. Parmi les produits qui résistent bien à la crise, on retrouve le chocolat haut de gamme, les vins de qualité, les lunettes de luxe ou les produits de soin. Accessoires et produits cosmétiques semblent procurer ce surcroit de plaisir ou de rêve sans lesquels la vie perdrait de son attrait – du moins pour les personnes concernées… Et celles-ci ne se contentent pas du produit accessible. Elles sont prêtes à payer cher pour un produit qui leur convient vraiment.

De fait, le plus frappant dans les dernières données issues de L’Observatoire des Clientèles du Luxe (World Luxury Tracking), c’est que les clientes de cosmétique valorisent de plus en plus les éléments les plus exclusifs : rareté des ingrédients, éditions limitées, personnalisation de la relation aux marques… Qui dit exclusif dit évidemment plus cher. Et cette tendance se confirme aussi bien sur les marchés développés (Europe, Etats-Unis, Japon) que sur les marchés émergents (Chine, Brésil, Russie…).

Doit-on en conclure que la fin de la crise mettrait un terme au succès observé jusqu’ici ? Evidemment non. Car il existe d’autres facteurs derrière cette dynamique. Des facteurs structurels qui reflètent l’évolution à long terme des sociétés contemporaines.

Des sociétés de l’image

Pourquoi accepter de dépenser plus pour des produits cosmétiques à une époque où l’offre est surabondante, de qualité et accessible ?

La première raison est l’influence toujours plus forte de l’image de soi dans nos sociétés. Le développement sans précédent de nos capacités à filmer, à prendre des photos et à les mettre en scène, explique cette influence. L’essor des sites de partage où les photos sont échangées en un tournemain installent peu à peu la domination sans partage de l’image dans nos sociétés. Le succès de la plateforme Pinterest indique cette importance. On y partage des images, des styles, des préférences ou des environnements visuels. Un nouveau langage se met en place qui permet de communiquer, de trouver de l’inspiration ou de valoriser ses préférences. Dans ce contexte, les outils de mise en scène de soi deviennent de plus en plus sophistiqués. De plus en plus de personnes investissent dans les moyens permettant de mettre en valeur son apparence physique. La cosmétique est un de ces moyens. Dans certains pays, la crise économique ajoute une pression supplémentaire à ce besoin de se mettre en scène. Il faut savoir se présenter sous son meilleur jour pour espérer trouver sa place dans un environnement ultra concurrentiel. De toute évidence, cette tendance qui va s’amplifier dans les années qui viennent. 

C’est qu’au-delà des contraintes professionnelles et économiques, cultiver son image est aussi devenu une façon de dire qui l’on est. On veut être vu, mais pas trop. C’est la nouvelle sensibilité. On veut se montrer mais sans s’étaler. On veut se distinguer, mais sans être trop voyant. Le clinquant n’est plus de mise. Derrière cette envie d’être vu, il y a ce désir d’être soi-même, avec son style propre, un style qui reflète sa personnalité. Sans être radicalement différent, on tient à apporter sa petite touche. Les témoignages à ce sujet sont nombreux aux Etats-Unis ou en Europe.

Un désir de protection

Et puis, au-delà de l’image, on veut se protéger. C’est l’autre puissant levier de la cosmétique de luxe. Se protéger des effets délétères de la pollution sur la santé individuelle. Plus le souci de la santé est puissant chez un individu, plus celui-ci est prêt à s’offrir les meilleurs produits, donc les plus chers. La prolifération de l’offre entraîne aussi une suspicion. Dans les pays émergents, les produits contrefaits sont régulièrement saisis. Les risques liés à la consommation d’ingrédients falsifiés jouent en faveur de la cosmétique de luxe. En payant plus cher pour une marque, les consommateurs sont convaincus d’acheter une garantie d’innocuité.  Se protéger c’est aussi se protéger des effets du vieillissement. Le jeunisme de nos sociétés augmente le désir de paraître jeune. Les enquêtes montrent qu’une écrasante majorité de personnes aujourd’hui pense que les progrès scientifiques vont permettre de plus en plus sinon d’effacer, du moins de ralentir les effets de l’âge. Les CC crèmes, parées de toutes les vertus en raison de leurs promesses du tout-en-un, surfent sur le désir de protection tous azimuts. Surtout quand elles se trouvent sous un label prestigieux. Se positionnant à la pointe de la recherche scientifique sur ces sujets, les marques de cosmétique de luxe attirent ceux qui refusent de se soumettre à la tyrannie de Chronos. Si l’on ne peut vaincre le temps, retardons-en le plus possible les effets indésirables et conservons une belle apparence. De nouveau, le souci de l’image se loge derrière ce désir de se protéger.

L’effet « lipstick » a donc surtout un effet démultiplicateur. Il renforce des tendances lourdes qui assurent à la cosmétique premium un bel avenir.

Image : ©Beyond Beauty Event

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