Au lendemain du premier tour, Le Figaro interroge Pierre Giacometti

Vendredi, le Figaro titrait : 41 % des Français hésitent encore. Dans un tel contexte, il était inéluctable que des variations apparaissent entre les derniers sondages et le résultat réel. Une fois de plus, les sondages d'intention de vote souffrent d'un problème de statut...

Pierre Giacometti. - Vendredi, le Figaro titrait : 41 % des Français hésitent encore. Dans un tel contexte, il était inéluctable que des variations apparaissent entre les derniers sondages et le résultat réel. Une fois de plus, les sondages d'intention de vote souffrent d'un problème de statut. On leur donne un capital bien excessif dans leur capacité à prédire le résultat d'une élection au point près. Une seconde difficulté inhérente à l'appréciation du score du Front National est apparue.Un résultat brut à 10 % ce qui est déjà énorme, une pondération qui le situait à 15 % au maximum.

Il y a eu sans aucun doute dans cette élection une pression forte qui a conduit certains électeurs du Front National à ne pas vouloir se déclarer dans ce sens. Il n'est pas possible pour nous de corriger par pure intuition un résultat qui l'est déjà beaucoup. Il reste que sur le plan technique, la difficulté de mesure et la limite de l'instrument sont évidentes et qu'il nous faudrait dans les mois qui viennent travailler sans cesse pour réduire les risques inhérents à cette difficulté. Le procès fait aux instituts sur l'idée qu'ils n'ont pas assuré leur mission de provoquer le vote utile me paraît bien injuste.

Je suis sûr que si nous avions projeté vendredi dernier dans notre dernier sondage, le score du Front National au-delà de celui de Lionel Jospin, on nous aurait immédiatement accusés de faire le jeu de Jean-Marie Le Pen en redressant un résultat qui n'existait pas dans les données. Nous serions aujourd'hui accusés d'avoir fabriqué le vote Jospin.

Comment peut-on expliquer un tel écart entre l'intention et le vote de certains Français?

Une bonne frange de cet électorat se sent coupé de la France «d'en haut». La pression de la norme intellectuelle contribue sans doute à fabriquer une volonté de cacher son vote. Je crois que c'est une autre façon significative d'expliquer le vote Le Pen. Cette volonté de dissimulation, c'est aussi l'expression du divorce entre une partie du peuple et ses élites, entre les gouvernants et les gouvernés.

Aurait-on pu se douter de quelque chose au regard des élections passées?

Sincèrement, nous avons insisté au cours de cette campagne et particulièrement dans Le Figaro sur le risque du vote contestataire.Avec 16 candidats, la simple arithmétique des précédentes élections a montré, à deux reprises, la force de ce vote. Rappelons-nous, en 1995, les votes en faveur de Le Pen et de Villiers ont représenté près de 20%. Et aux Européennes, le score de Le Pen, ajouté à celui de Pasqua, de Villiers et de Megret a atteint 22%.

Va-t-il falloir changer les instruments de sondage?

Nous les revoyons sans cesse, il n'y a pas de modèle idéal qui puisse garantir une production assurée. Cessons de croire naivement que les sondages d'intention de vote fabriquent l'élection avant qu'elle n'ait lieu. Je trouve même rassurant sur le plan de la démocratie qu'un tel instrument ne puisse pas tout prédire. C'est un travers de l'élite de penser qu'elle peut tout savoir, tout maîtriser.

Quelles sont les caractéristiques de ce vote en faveur de Jean-Marie Le Pen?

Bien sûr, il y a des constantes : Un vote très masculin, des performances très élevées dans des catégories déjà très attirées en 95 par Le Pen , "30 % de vote parmi les ouvriers, 40 % de vote des chômeurs. 23 % des électeurs au revenu modeste, c'est une France des "petites gens", également très présent en milieu rural mais il faudrait se garder de présenter un profil très caricatural de la France de Le Pen. Le Lepenisme de 2002 est aussi très présent dans des milieux "moyens" voire aisés. Le Pen réalise des performances équivalentes dans toutes les classes d'âge parmi toutes les catégories d'activité, y compris chez les cadres. Au-delà des ces différences sociologiques, c'est probablement le consensus de pensée qui prime : c'est une France exaspérée par l'impuissance de l'action politique qu'elle soit de gauche ou de droite notamment sur les sujets liés à l'insécurité.

Quels enseignements peut-on en tirer?

C'est un vote d'exaspération qui sanctionne la droite et la gauche gouvernementale. La détermination se lit aussi dans la fidélité de ses électeurs. La grande force de Jean-Marie Le Pen, c'est que 82% de ceux qui ont voté en 1995 ont revoté pour lui en 2002, alors que le niveau de fidélité pour Lionel Jospin ou Jacques Chirac atteint péniblement les 50%. Et ce, malgré la crise majeure qu'a connu le leader du Front national en 1999 avec le départ de Bruno Megret qui a emmené avec lui bon nombre des cadres du parti.

Et pour le second tour?

Pour le prochain tour les réserves du Front national sont faibles en dehors des 2% qui ont voté pour Bruno Megret.

Mais la question va se poser pour les législatives. la gauche et la droite vont être contraintes de montrer un tout autre visage. Désormais elles devront bannir deux mots: pluralité et dispersion.

Les deux grands blocs vont être obligés de se présenter de façon cohérente car tout sera possible: les triangulaires, les quadrangulaires... Et dans ces cas là, on sait pertinemment que c'est le plus uni qui l'emporte.

Ce qui est en jeu c'est le système traditionnel des partis. Ils vont inéluctablement devoir imaginer une nouvelle organisation politique.

Les premiers pas du nouveau gouvernement qui se mettra en place au lendemain du second tour de la présidentielle seront décisifs. Il devra très vite apporter la preuve qu'il a entendu les Français le 21 avril sinon....

Auteur(s)

Articles liés

  • Ipsos | Sun'Agri | Agrivoltaïsme
    Energie Evènements

    Événement 24/02 | Ipsos et Sun'Agri au Salon de l'Agriculture 2025

    A l'occasion du Salon de l'Agriculture, Ipsos et Sun'Agri présenteront les résultats du Baromètre Agrivoltaïsme 2025.
  • Ipsos partenaire du Forum du Commerce Durable
    Société Evènements

    ÉVÉNEMENT - 21/01 | Ipsos partenaire du 1er Forum du Commerce Durable 2025

    Le mardi 21 janvier, le Palais de la Bourse à Lyon accueillera la première édition du Forum du Commerce Durable. Cet événement rassemblera 250 marques et plus de 50 experts du commerce durable. Ipsos, partenaire de l'événement, tiendra à cette occasion une conférence sur l'accompagnement stratégique en matière de développement RSE et business.
  • Ipsos Médias en Seine
    Société Evènements

    ÉVÉNEMENT - 14/01 | Ipsos partenaire de Médias en Seine 2025

    Ipsos participe à la 7ème édition de Médias en Seine qui se tiendra le 14 janvier à la Maison de la Radio et dans les locaux des Echos-Le Parisien. Cet événement rassemble experts, journalistes et spécialistes des médias pour débattre autour des enjeux du secteur. Cette année, le thème "Médias : l'ère des défis" interroge ses acteurs sur le rôle qu'ils jouent dans les dynamiques démocratiques, économiques et technologiques.