Avoir 15-30 ans en 2004 : "Les Nouveaux Réalistes"

En 2003, à l'occasion du lancement de Jeunes Attitudes, Ipsos proposait de découvrir le portrait de Théo et Fleur, jeune couple emblématique de sa génération. Plutôt individualistes, animés par des ambitions et des modèles simples, Théo et Fleur exprimaient, à l'âge des choix, le réflexe de protection et de recentrage sur des valeurs d'ordre d'une génération prisonnière d'un contexte incertain.Une année s'est écoulée. Certains comportements se sont enracinés. D'autres traits de caractère se sont atténués. De nouvelles attitudes apparaissent. Le portrait se précise.2004 est l'année de la Chine. L'occasion pour Ipsos de faire le portrait chinois des 15-30 ans en 2004. Alors, si j'étais un….


Si j'étais un élément, je serais la terre. L'emprise du principe de réalité reste forte auprès des 15-30 ans. On est loin de cette " génération lyrique " -celle de leurs parents- qui a " fait 68 ".

Si j'étais un objet : je serais le marteau. Le travail demeure central dans la construction de leur identité personnelle. Les 35 heures ont moins la cote.

Si j'étais une partie du corps, je serais le nombril.Le narcissisme est également une dimension essentielle de cette génération. Et séduire est une obsession pour une frange importante (42%) des 15-30 ans.

Si j'étais un don, je voudrais être invisible.L'attrait du banal, des gens ordinaires atteint des niveaux insoupçonnés. L'anonyme au coin de la rue autant, sinon davantage, que la star de la chanson ou du cinéma fait rêver les 15-30 ans.

Si j'étais une saveur, je serais " aigre-douce ". J'aime/j'aime pas. Il y a une ambiguïté des 15-30 ans face au marketing : s'ils restent, dans leur grande majorité influencés et attachés à la pub, ils témoignent simultanément d'une attitude critique croissante à son endroit et vis-à-vis des marques.


1. L'élément : la terre

Les 15-30 ans : une génération réaliste, lucide, sans illusions, mais pas pessimiste pour autant.


" J'étais furieux de n'avoir pas de souliers; alors j'ai rencontré un homme qui n'avait pas de pieds, et je me suis trouvé content de mon sort." Fini la désinvolture, dans une société dure, il faut aller à l'essentiel.
Les 15-30 ans sont réalistes. Ils plébiscitent le tangible, le concret. Les opinions de la majorité en termes de retraite, leur attitude par rapport à l'autorité ou à la propriété reflètent l'acceptation du principe de réalité et un déni de l'utopie:

  • Les parents doivent faire preuve d'autorité avec leurs enfants (93% d'opinions favorables, % stable entre 2003 et 2004)
  • Le financement des retraites ne suffit plus, il faut trouver d'autres solutions (77%)
  • Un médicament générique est aussi efficace qu'un médicament de marque (83%)
  • Rester locataire c'est jeter de l'argent par la fenêtre (65%)


Les 15-30 ans ne sont pas pour autant pessimistes. 10% seulement des 15-30 ans pensent que la propriété est aujourd'hui un rêve inaccessible et qu'ils ne pourront pas y accéder. En revanche, l'effet " 21 avril " s'est bel et bien dissipé. Les 15-30 ans n'ont jamais été aussi loin de la représentation politique dont ils s'éloignent encore davantage. 21% seulement éprouvent du respect pour les hommes politiques (-4 points entre 2003 et 2004).

Mais on n'observe pas une montée des opinions conservatrices/traditionnelles. Le soutien à la peine de mort déjà minoritaire est en forte baisse (30%, -6 points entre 2003 et 2004). La croyance déclarée dans l'existence de Dieu reste très minoritaire (23%) et en baisse de 4 points par rapport à 2003. Par ailleurs, le soutien au droit de vote des étrangers aux élections municipales est en hausse (54% de favorables, +4). Au contraire, les 15-30 ans sont en demande d'expériences nouvelles. Les 15-30 ans sont en effet plus nombreux en 2004 à approuver la phrase suivante : " dans la vie il faut toucher à tout sans tabou pour faire son expérience " (58%, +5).

Cette emprise du principe de réalité s'explique notamment par les conditions difficiles que rencontrent un très grand nombre de jeunes. En effet, 37% se disent régulièrement " stressés " (+5 points entre 2003 et 2004). En outre, même si la très grande majorité se trouve en bonne santé, une proportion plus importante que l'année dernière reconnaît avoir une mauvaise hygiène de vie (16%, +4). Enfin, d'un point de vue financier, la situation s'aggrave pour certains. 16% estiment connaître une mauvaise situation financière (+2 entre 2003 et 2004).


 2. L'objet : le marteau

Le travail : une valeur en hausse ?

" La récolte de toute l'année dépend du printemps où se font les semailles. " Sans boulot, pas d'avenir. Même si le travail reste un moyen pour eux et pas une fin en soi, il reste le moteur majeur de la reconnaissance sociale. Confrontés à la précarité, à la menace du chômage, concentrés sur la revendication basique d'un droit à l'avenir, les jeunes jugent le travail comme le moyen central de leur insertion dans la société. Dans le prolongement de la montée du réalisme, le travail est perçu en 2004 comme encore plus important que l'an passé pour la construction de son identité personnelle. C'est l'une des raisons qui expliquent que l'utopie de la société des loisirs (les 35h) soit en recul cette année.

Le scepticisme croît s'agissant des 35 heures : la proportion de ceux qui considèrent que la " réduction du temps de travail est une bonne décision " est en net reflux (48%, -5 points entre 2003 et 2004). Une proportion croissante estime que le travail reste important pour l'épanouissement personnel (64% sont d'accord, +2). Une importance qui se traduit par une exigence en termes de formation. Quant à l'enseignement scolaire ou universitaire, ils sont une très forte majorité (77%) à penser qu'il " ne prépare pas assez les jeunes au monde du travail " (+2 points entre 2003 et 2004)


3. La partie du corps : le nombril

Les 15-30 ans : une génération narcissique


" Connaître autrui n'est que science; se connaître soi-même, c'est intelligence." A défaut de se connaître soi même, s'aimer c'est déjà çà. Une majorité (55%) éprouve le besoin d'être reconnue par les autres. L'image de soi, le temps le soin qui lui sont consacrés sont des caractéristiques majeures de cette génération. Trait structurant de la jeunesse, le besoin de reconnaissance traduit aussi un manque d'identité forte et une quête de soi qui explique le succès de la téléréalité.

Le narcissisme est à la fois un besoin et une réalité. 68% se trouvent séduisants quand ils se regardent dans la glace et 42% ont besoin de " se sentir séduisants et sexy tout le temps ". Narcissiques, mais pas égoïstes. Seulement 21% sont d'accord pour dire que " ce qui compte surtout pour moi c'est de me faire plaisir, les autres arrivent toujours après ".


4. Le don : être invisible

Les 15-30 ans expriment une certaine attraction pour les "gens ordinaires"

" Une trompette serait-elle d'argent, ne l'emporte pas sur dix cors de chasse". C'est ce que semblent croire les 15-30 ans. En 2004, le modèle des 15-30 ans est un anonyme que l'on croise dans la rue ! L'ordinaire plutôt que l'inaccessible !


Les gens ordinaires sont aussi un modèle : 45% les classent comme le type de personnalité qui les inspire le plus pour leur look, leurs vêtements, leurs habitudes de consommation etc. loin devant les chanteurs 23% et les acteurs/professionnels du cinéma 15%. En réalité, même si les jeunes continuent à s'inspirer des stars, ils ressentent le besoin d'adopter des modèles plus accessibles (amis ou grands frères). La proximité est plus que jamais valorisée au sein de cette génération qui vit à l'ère du " sacre du présent ".


5. La saveur : " aigre doux "

L'ambiguïté des 15-30 ans face au marketing

" Celui qui ne sait pas se fâcher est un sot, mais celui qui ne veut pas se fâcher est un sage ". Sages sont ceux qui consomment, mais sots sont ceux qui se laissent manipuler dans leurs choix de consommation. C'est un peu ainsi que les jeunes expriment à la fois leur appétit de consommation et leur distance à l'égard des chemins trop balisés du marketing et de la publicité.


Les résultats de Jeunes Attitudes 2004 montrent une montée de la conscience anti-marque et un recul de la passion consumériste. Le rejet des " marques totalitaires " se confirme. Une phrase telle que " j'en ai assez du discours totalitaire des marques " recueille 42% d'opinions favorables, un chiffre en progression de 7 points entre 2003 et 2004… On s'attache d'abord à la valeur d'usage des produits plutôt qu'au prétendu " mode de vie " qui va avec. Les jeunes sont aussi moins nombreux à prétendre adorer le shoping. Le mouvement anti-mondialisation rencontre un écho de plus en plus grand auprès des 15-30 ans (34% d'opinions favorables) même si 46% restent sans opinion sur sa véritable utilité.

En réalité, les 15-30 ans manifestent une attitude paradoxale et ambiguë face à la pub.
D'un côté, la publicité reste extrêmement puissante dans sa capacité d'influencer les 15-30 ans. 64% disent que la publicité leur donne envie d'en savoir plus sur un produit/service, un chiffre en progression de 4 points cette année. Et 61% sont d'accord pour dire que cela leur donne envie d'acheter (+3 entre 2003 et 2004)
D'un autre côté, on observe une nette montée des valeurs " anti-pubs ". Une série d'items liées à la perception négative de la publicité sont également en hausse : " Cela me lasse, ça m'énerve " (72%, +8). " C'est mensonger " (80%, +5). " Cela m'indiffère, ça ne me sert à rien " (54%, +4).

" Adhérer sans adhérer "

En définitive, pour cette génération, le sentiment dominant reste celui d'une " adhésion sans adhésion ". On participe sans trop y croire. Ou bien on croit, mais sans aller jusqu'au bout de ses convictions. Une position d'entre-deux, typique de cette génération. A suivre.

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