Aznar légèrement favori des élections espagnoles
Dimanche auront lieu en Espagne les élections législatives. Le point de la situation à deux jours du scrutin par Pierre Giacometti, directeur général d'Ipsos, et derniers sondages d'intentions de vote.
Peut-on perdre les élections après avoir rétabli la situation économique ? Les chercheurs américains de l'université de l'Iowa tentent, ces dernières années, de démontrer le contraire. Selon ce modèle, le destin électoral des gouvernants serait étroitement corrélé aux performances économiques du pays considéré. Ainsi pouvait-on prévoir la défaite de droite française en 1997 et la victoire de Bill Clinton un an plus tôt. La victoire de la gauche en France lors des élections législatives de 2002 deviendrait, selon ce modèle, inéluctable. Le succès dimanche prochain en Espagne de José Maria Aznar, s'inscrit également dans cette logique.
A quelques jours du scrutin, et malgré des sondages encore incertains, l'opinion publique espagnole ne veut pas croire à la surprise d'une défaite du pouvoir. Les enquêtes d'opinion montrent que près de 75% des Espagnols pronostiquent la victoire du parti populaire. Il est vrai que depuis maintenant plus d'un an les indicateurs économiques sont étroitement corrélés à ceux qui mesurent le moral des consommateurs.
Le chef du gouvernement espagnol revient pourtant de loin. Après une laborieuse victoire électorale en 1996 - un écart en voix minime de 1,3 point - obtenue devant un adversaire socialiste pourtant affaibli par les scandales et l'usure du pouvoir, le leader de la droite espagnole connaissait des débuts bien difficiles dans l'opinion. Dépourvu du charisme de son prédécesseur Felipe Gonzalez, il a longtemps suscité des interrogations quant à sa capacité à faire face aux principaux problèmes économiques et sociaux d'un pays durement frappé par le chômage. Aznar n'a pas connu les charmes de "l'état de grâce" et des marges de manœuvre qu'il prétend laisser aux nouveaux dirigeants. Ainsi, un an après son arrivée au pouvoir, en mars 1997, 63% des Espagnols sont encore inquiets de l'évolution de leur niveau de vie (enquête Ipsos) et 78% sont à la même époque pessimistes pour l'avenir de la situation économique du pays. Pire encore, jusqu'à l'automne 1998, soit plus de deux ans après son accession à la Moncloa, le chef du gouvernement espagnol suscite la défiance d'une majorité de ses concitoyens.
En l'espace de quinze mois cependant, le climat d'opinion a considérablement changé. Le moral des consommateurs espagnols atteint en ce début d'année 2000 des niveaux records. La baisse de chômage se poursuit à un rythme bien supérieur à la moyenne européenne et les prévisions de croissance sont au beau fixe. Les deux tiers de la population envisagent aujourd'hui positivement l'évolution de leurs revenus, selon le baromètre Ipsos conduit en Espagne pour le programme des "Tendances des Opinions publiques européennes".
Ce retournement de tendance s'est opéré dans un contexte où le leader du parti populaire a su donner des gages à son propre électorat : fermeté dans la lutte contre le terrorisme de l'ETA, privatisations, allègement des impôts. Le nouveau projet de baisse significative de l'impôt sur le revenu annoncé par le leader du PP ces derniers jours est révélateur d'une priorité stratégique : il faut convaincre les classes moyennes que la droite est au pouvoir pour redonner une aisance financière à toutes catégories sociales et non pas seulement aux plus aisées d'entre elles.
Depuis sa défaite en 1996, le PSOE a connu une délicate convalescence et n'est pas encore parvenu à faire oublier dans l'opinion le souvenir de celui qui fût pendant 14 ans son chef, Felipe Gonzalez. Après le court mandat du catalan Josep Borrell, Joaquim Almunia mène sa première campagne comme candidat à la présidence du gouvernement sans être réellement parvenu pour l'instant à créer une dynamique susceptible de donner à la gauche espagnole une crédibilité nouvelle dans l'opinion. Dans un tel contexte, comme naguère la gauche en 1986 et en 1989, la donne politique et économique des élections du 12 mars devrait pouvoir "fabriquer" une majorité absolue des sièges aux Cortes.
La dernière enquête Ipsos publiée par le quotidien ABC et réalisée au niveau de chaque communauté autonome auprès de plus 15000 électeurs ne donne pour l'instant aucun signe tangible d'une dynamique susceptible de transformer la majorité relative actuelle en majorité absolue. Elle décrit un rapport de forces électoral qui correspond d'assez près à celui enregistré lors des élections européennes de juin 1999. Avec 40,5 % des intentions de vote, le PP peut prétendre dépasser en voix le meilleur score de son histoire électorale (en 1994, lors des élections européennes le PP obtenait 40,1% des suffrages). Mais la campagne électorale n'a pas pour l'instant pas permis au PP de creuser les écarts. Le parti socialiste, avec 36,5% des intentions de vote, maintient la distance de 4 points qui le séparait du PP lors des élections de juin dernier.
Le socle électoral sur lequel s'appuie le PSOE demeure solide dans des régions électoralement décisives. Comme le rappellent souvent les experts du Parti Populaire, l'Espagne reste un pays où un majorité de l'électorat continue à s'identifier à une culture de gauche. Ainsi, dimanche prochain, en Catalogne, les socialistes auront pour objectif de confirmer leur progression observée lors des élections régionales d'octobre 1999, où ils avaient devancé en voix le parti régionaliste de Jordi Pujol. En Andalousie, les enquêtes réalisées par Ipsos ces derniers mois dans la perspective des élections régionales organisées également dimanche indiquent que le PSOE pourrait retrouver la majorité absolue des sièges obtenue déjà à deux reprises en 1982 et en 1994, et ceci au détriment des communistes.
Fort de cette influence électorale solide, le PSOE, bien que dépourvu d'une véritable nouvelle crédibilité programmatique, a construit son argumentaire de campagne sur les questions de redistribution économique, à l'heure où, avec une prospérité retrouvée, de nouveaux choix économiques devront s'opérer dans ce domaine. Au-delà du retournement incontestable de la conjoncture et du moral retrouvé de consommateurs, les données d'enquêtes collectées par Ipsos continuent à montrer un paysage social tendu (dans la dernière européenne d'Ipsos, l'Espagne est le pays de l'Union européenne ou le potentiel de mobilisation et de contestation sociale des salariés est le plus élevé).
Le PSOE espère, pour créer la surprise, mobiliser les franges de la société espagnole qui montrent ces derniers temps un scepticisme plus prononcé à l'égard de "l'Espagne d'Aznar ", décrite par ses détracteurs comme celle qui mêle les intérêts des milieux économiques avec ceux de la sphère politique : les jeunes, et surtout les milieux les plus populaires. L'un des enjeux électoraux cruciaux de dimanche réside dans la capacité du PSOE à absorber les contingents d'électeurs qui s'éloignent de la formation communiste.
Lors du scrutin européen de juin dernier, Izquierda Unida perdait plus de la moitié de son électorat, passant de 13,4% à 5,8% des suffrages. Les enquêtes pré-électorales montrent que le mouvement devrait être confirmé dimanche prochain. Izquierda Unida, conduit par son nouveau chef de file, Francisco Frutos, est crédité de 7,5 % des intentions de vote, soit une perte potentielle de 3 points par rapport à sa dernière performance de 1996. Il court ainsi le risque de ne pas pouvoir conserver un groupe parlementaire aux Cortes.
L'examen attentif des enquêtes pré-électorales indique également qu'une frange non négligeable de l'électorat hésite encore au moment de faire son choix. La proportion d'indécis dans les mesures d'intentions est supérieure à 30%, plus nette encore parmi des sympathisants de gauche. Les derniers jours de campagne devraient donc s'avérer décisifs dans la structuration du choix électoral de ceux qui hésitent encore entre continuité et changement.