Beauté et apparence à l’ère de l’ambivalence
Les sociétés modernes n’ont jamais autant valorisé l’apparence physique. Et la tendance ne cesse de s’affirmer. Parallèlement à cette recherche du physique idéal se développe un courant contestataire des canons dominants de la beauté. Une profonde ambivalence existe en réalité dans les discours actuels qui s’enracinent en fait dans un seul et même désir de trouver sa voie. Décryptage.
On consacre de plus en plus de temps aujourd’hui à corriger et à améliorer son corps sous toutes ses facettes. La jeune génération accorde ainsi une attention croissante à son apparence. Les émissions de « télé coaching » destinées à relooker les individus prolifèrent en Amérique du nord et en Europe. C’est un corps « aux normes » qui semble s’être imposé au cours des dernières décennies : filiforme, blanc, jeune, sans ride, etc. Pourtant, les récentes décisions des défilés de mode en Espagne et en Italie de refuser certains mannequins pour « incitation à l’anorexie » marquent peut-être un tournant dans le rapport au corps et à l’apparence. Cette initiative s’inscrit en effet dans un courant plus général de contestation des canons dominants de la beauté. Dans le domaine du marketing, la récente radicalisation du discours d’une marque comme Dove illustre bien cette tendance. En fait, l’analyse attentive des données disponibles sur la beauté et l’apparence montre qu’une profonde ambivalence règne dans les démarches actuelles. D’un côté, on n’hésite plus à condamner les dérives des modèles dominants. De l’autre, on continue à les promouvoir. C’est ainsi qu’aujourd’hui deux grandes tendances s’affirment, non sans contradictions.
Se trouver soi-même
Première tendance, révélatrice de l’individualisme narcissique des sociétés actuelles : la recherche du look le mieux accordé à sa personnalité. Pour ce faire, on accepte de transformer son apparence physique au risque d’engendrer des effets indésirables. L’objectif est de réconcilier intérieur et extérieur. C’est le cas avec le piercing dont la dernière enquête de l’Observatoire des Consommateurs Français (OCF) révèle qu’il concerne une adolescente sur trois. La tendance est également confortée par l’avènement du « coaching en look ». 41% des femmes (50 % des jeunes mères) avouent aujourd’hui qu’elles aimeraient bien se « faire conseiller par des professionnels sur leur façon de s'habiller, les couleurs qui leur vont ». De fait, les conseillers en « relooking » ont aujourd’hui la cote. Ce succès reflète la quête croissante d’un look qui correspond à sa personnalité. Autre recours : la chirurgie esthétique pour laquelle 10% de la population déclare qu’elle pourrait l’utiliser un jour. Un chiffre qui monte à 15% chez les femmes. La mode n’est toutefois plus au bistouri et aux grandes opérations contraignantes. Une des principales motivations de la clientèle est de se retrouver soi-même, c’est-à-dire de ralentir les effets du temps : paraître 10 ans de moins mais en douceur. Dernier exemple à signaler : l’émergence, pour certains, d’une « seconde vie » virtuelle et la quête d’une apparence choisie en dehors de toute contrainte. C’est ce que l’on voit sur Internet avec Second Life où l’on adopte l’apparence de son choix. On peut même concourir virtuellement comme l’a montré l'élection organisée par L’Oréal de « Miss Second Life Glamour » en mars 2007 ! Même si le phénomène ne concerne qu’une minorité pour l’instant (7 millions dans le monde ont adopté un avatar dont moins de 10% seulement sont actifs un mois après leur création), il est révélateur de l’aspiration actuelle à se couler dans une seconde peau même virtuelle.
Se réconcilier avec soi-même
Deuxième grande tendance qui semble entrer en contradiction avec la précédente : cette fois-ci, on déclare accepter ses défauts. On veut les assumer en allant jusqu’à afficher ses particularités même si elles semblent contraires aux préférences majoritaires. On voit ainsi sur le Web de plus en plus de personnes en surpoids revendiquer leurs formes généreuses. Reste que le retour des rondes se fait attendre. Lily Allen, qui était devenue outre-manche la coqueluche des personnes un peu enrobées, vient de craquer et d’avouer sur MySpace qu’elle envisageait de procéder prochainement à une liposuccion. De fait, l’OCF montre que lorsqu’on compare le poids et la taille réels des individus et la taille et le poids rêvés par les mêmes, l’écart est significatif. Même ambivalence sur l’âge. Dans des sociétés où l’espérance de vie progresse, les quadras deviennent de véritables icônes publicitaires. Sharon Stone, 48 ans, est devenue l’égérie de Dior pour une ligne de soins. On pourrait multiplier les exemples. Mais comme pour le poids, l’âge idéal est toujours en dessous de l’âge réel. Cet âge parfait se situe à 30 ans lorsque l’on est âgé de 40 ans. Il est de 45 ans lorsque l’on atteint 70 ans ! La jeunesse reste donc attractive. Attention, la jeunesse, pas le jeunisme. 52% des personnes interrogées dans l’OCF trouvent en effet ridicules les gens qui veulent paraître plus jeunes qu’ils ne le sont. Pourtant, à 45 ans, 50% des femmes utilisent des produits antirides ou anti-âge. Le jeunisme est ainsi condamné au moment même où les produits anti-âge sont plébiscités… Ambivalence quand tu nous tiens.
Vers un nouveau pacte esthétique à l’ère de l’ambivalence
Malgré leur orientation contraire, les deux grands mouvements de fond s’enracinent dans un même désir de trouver sa voie. Cette recherche passe soit par la transformation de son apparence physique, soit en acceptant voire en mettant en valeur son corps au fil du temps, avec des limites révélatrices. C’est que, derrière les déclarations d’intention et les discours, il n’est pas toujours évident de faire la part des choses. L’ambivalence semble caractériser le rapport à l’apparence aujourd’hui. Une ambivalence que l’on retrouve, en ces temps de débats passionnés autour du réchauffement climatique ou de la biodiversité, dans notre rapport à la nature. Dans ce contexte, on peut faire l’hypothèse que, de même que se développe aujourd’hui le désir de réconcilier l’homme et la nature, de même pourrait se développer, dans un proche avenir, le désir de se réconcilier avec soi-même tel qu’on est mais aussi tel qu’on pourrait être en développant une partie de soi-même. La quête d’une « voie moyenne » qui combinerait désir de transformation et fidélité à soi et à la nature. Nicolas Hulot avait lancé un « pacte écologique » pour lutter contre la dégradation de l’environnement. Peut-être le temps est-il venu d’imaginer, dans le domaine de l’apparence physique, un « pacte esthétique ».