Chevènement toujours au coeur du jeu

Après une période de stabilité marquée par la courte avance de Jacques Chirac sur Lionel Jospin, la première enquête Ipsos-Le Figaro-Europe 1 du mois de février témoigne d’une nouvelle phase dans la construction du choix des Français. Les évolutions deviennent plus brutales et la relation à l’agenda de la campagne plus lisible.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Jacques Chirac n’est pas encore officiellement candidat mais l’évidence de cette perspective, installée de plus en plus nettement dans l’actualité de la campagne, lui a fait perdre en l’espace de trois semaines le fragile avantage du sortant. Le chef de l’Etat a perdu cinq points d’intentions de vote depuis notre dernier baromètre, et trois points en une semaine, sous l'influence combinée de trois facteurs :

  • le silence présidentiel d’abord, qui inquiète probablement une partie du "peuple de droite" ;
  • les effets de dispersion ensuite, observés ici et là en faveur d’autres candidats de droite ;
  • la place des affaires dans l’actualité enfin, qui contribue à brouiller la dimension présidentielle du chef de l’Etat.

Jacques Chirac voit ainsi sa capacité à mobiliser l’électorat de droite affaiblie. Ainsi, en début d’année, il recueillait sur son nom plus de 60% des intentions de vote des sympathisants de la droite parlementaire, contre moins de 50% aujourd'hui. Plus significative encore l’évolution constatée au sein de l’électorat RPR dont les intentions de vote en faveur de leur leader passent de plus de 75% en janvier à tout juste 60% début février. Cette nouvelle tendance, particulièrement marquée, inverse de fait l’objectif de son entrée en campagne. Cruciale, la candidature annoncée devra lui permettre de retrouver une dynamique de conquête, et non plus de limiter l’érosion traditionnelle dont est victime le sortant lorsque la vraie campagne commence.

Le phénomène d’usure est également un risque pour Lionel Jospin. Pour l’instant, il parvient à y faire face. Exposé à une conjoncture difficile (hausse du chômage, mauvaises statistiques de la délinquance, mouvements sociaux), le Premier ministre a installé progressivement sa candidature et apparaît momentanément protégée des effets de sa lente entrée en campagne. La stabilité dont est créditée son niveau d’intentions de vote est une constante depuis octobre, qui lui permet de rejoindre le niveau de son rival. A onze semaines du premier tour, les deux favoris sont donc dans une situation d’égalité parfaite.

Leur niveau actuel, proche de leur performance de 1995, montre également une réelle difficulté à provoquer le "choix utile" au premier tour, qui renforce les favoris. Exercée sur la vie politique depuis maintenant cinq ans, la domination de Chirac et Jospin pourrait apparaître aujourd’hui comme une cause de fragilité électorale. Leur faible capacité de mobilisation au premier tour s’explique d’abord par le pronostic, acquis pour une majorité de Français, de leur affrontement au second tour. Pour Jacques Chirac comme Lionel Jospin, le premier tour présente en réalité le risque d’agir comme "une bombe à fragmentation", imprévisible dans ses conséquences et capable de provoquer de sérieux dégâts, pour eux-mêmes et leurs alliés potentiels. Le premier tour, dépourvu d’incertitude apparente pour sélectionner les deux qualifiés du second, se présente aujourd'hui comme le plus atomisé de l’histoire de l’élection présidentielle. Sans présager du filtre des 500 signatures nécessaires pour participer au rendez-vous du 21 avril, l’offre potentielle est marquée par une extrême richesse politique, génératrice de concurrences multiples. Le risque de dispersion des voix et de faiblesses des écarts est donc important ; a onze semaines du scrutin, moins de huit points séparent huit candidats. La richesse de l’offre réside dans le nombre : pas moins d’une quinzaine de candidats actuellement. La bataille du premier tour concerne quasiment tous les leaders de partis. Le "plateau" met en scène les ténors de Lutte Ouvrière, du PCF, du MDC, des Verts, de l’UDF, de Démocratie Libérale, du Front national, et du MNR. Mais la concurrence est également interne à chaque grande sensibilité politique : au minimum deux candidats d’extrême gauche, trois candidats issus des rangs de la gauche non communiste, plusieurs candidats se réclamant de l’écologie, de l’héritage gaulliste, de la droite non gaulliste et de l’extrême droite. Cette situation unique rend les choses d'autant plus incertaines que les Français sont exceptionnellement peu nombreux à avoir arrêté leur choix. Moins de 40% d’entre eux affirment que leur décision est prise, tandis qu'un sur quatre préfère attendre que tous soient définitivement en course pour se prononcer définitivement.

Dans ce contexte, la position de Jean-Pierre Chevènement ne montre aucun signe d’essoufflement. La persistance d’un score supérieur à 10%, alors que nous allons entrer dans la phase active de campagne, indique que sa capacité de perturbation sur la hiérarchie et les équilibres politiques du premier tour reste forte. De tous les candidats déclarés, c’est à dire hormis Jacques Chirac et Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement apparaît la personnalité ayant acquis le plus grand capital de crédibilité depuis cinq mois. Devancé sur les terrains de l’économie et du social par les candidatures de Noël Mamère ou Arlette Laguiller, le fondateur du MDC est nettement en tête sur trois dimensions essentielles pour la suite de sa campagne : la stature présidentielle, la crédibilité en matière de sécurité et la capacité à incarner le changement et le renouveau politique. Les Français lui reconnaissent enfin le mérite d’être le plus utile au débat d’idées.

La position de force de Jean-Pierre Chevènement exerce une pression sur les futurs candidats. Face à Jaques Chirac et Lionel Jospin, il est parvenu à s’installer au carrefour de deux controverses qui, chacune, remette en cause le rôle du pouvoir politique. Comment faire face aux conséquences de la mondialisation de l’économie ? Comment réagir à la violence croissante de la société française ? Ces deux questions renforcent le potentiel de croissance électorale des candidatures de l’extrême gauche et de l’extrême droite, donnent du sens aux votes Le Pen et Laguiller. Mais en se présentant comme une alternative, la candidature Chevènement ajoute au sens l’utilité : elle obligera Chirac et Jospin à rentrer pleinement dans le débat de campagne du premier tour, pour ne pas laisser penser que cette étape n’est pas la leur.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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