Décentralisation : les Français et les élus locaux font moins confiance au gouvernement

Le niveau de confiance au gouvernement quant à la décentralisation est en baisse par rapport à l'année dernière. Si les élus locaux restent majoritairement favorables au processus, les Français sont plus dubitatifs. Selon l'enquête Ipsos/Le Courrier des Maires, on craint surtout une augmentation des impôts locaux.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
Get in touch

Décentralisation : le décalage entre les Français et les élus locaux

Les résultats de l'étude Ipsos / Courrier des Maires, réalisée en partenariat avec Le Moniteur et la Gazette des Communes, révèlent le décalage entre les Français et leurs élus locaux sur la question de la décentralisation. Ce décalage concerne aussi bien la perception de ce qui a déjà été fait en la matière que les attentes ou encore le jugement à l'égard de l'action du gouvernement dans ce domaine.

Ainsi, la moitié des élus locaux interrogés (50%) estime que la décentralisation n'est pas allée assez loin et qu'il faut la renforcer, tandis que les Français se montrent plus partagés : un tiers pense qu'il faut renforcer la décentralisation, un autre tiers estime qu'elle a atteint un niveau suffisant et un quart juge au contraire que la décentralisation est allée trop loin et qu'il faut revenir en arrière. De leur côté, 8% seulement des élus locaux sont favorables au retour en arrière.

De tous les élus interviewés, les conseillers régionaux et généraux sont les plus favorables au renforcement de la décentralisation (71% contre 48% chez les maires). Ce différentiel était attendu, les régions et les départements étant davantage concernés que les petites communes, qui en outre craignent souvent de ne pas disposer des moyens humains et financiers suffisants pour assumer les conséquences de la décentralisation.

On observe également une différence de jugement liée à la couleur politique des élus locaux : si une assez large majorité des élus locaux de droite (58%) estime que la décentralisation n'est pas allée assez loin et qu'il faut la renforcer, ce n'est le cas que de 46% des élus locaux de gauche. Aujourd'hui, la décentralisation est perçue comme l'un des chantiers majeurs du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin : il est de ce fait davantage soutenu par les élus de la majorité.

L'image de la décentralisation est moins consensuelle qu'auparavant. Interrogés par Ipsos en mai 1999, les Français se prononçaient à 39% en faveur d'un renforcement de la décentralisation contre 34% aujourd'hui (-5 points) ; 13% seulement estimaient qu'elle était allée trop loin contre 25% aujourd'hui (+12 points). Les Français semblent de plus en plus sceptiques, voire inquiets. La décentralisation, au même titre que l'Europe, demeure une notion abstraite, floue. Loin d'être synonyme de proximité, elle devient au contraire quelque chose de lointain et de négatif. Peu de gens connaissent la répartition des rôles entre les différents échelons territoriaux et l'action des départements et des régions manque fortement de lisibilité (par comparaison avec l'action des communes, beaucoup plus visible). O n observe d'ailleurs que les catégories socioprofessionnelles dites inférieures, traditionnellement les moins informées, souhaitent plus que les autres que l'on fasse marche arrière en matière de décentralisation : 42% des ouvriers, 32% des employés, 34% des bas revenus et des personnes n'ayant aucun diplôme jugent que la décentralisation est allée trop loin et qu'il faut revenir en arrière contre 15% seulement des hauts revenus et 12% des personnes ayant un niveau d'études égal ou supérieur à bac+3.

La décentralisation véhicule aussi chez les Français le risque d'augmentation des impôts locaux. Au final, p lus du quart (27%) des sympathisants de gauche estiment qu'on est allé trop loin et qu'il faut revenir en arrière contre 16% seulement des sympathisants de droite. Historiquement, la décentralisation a pourtant d'abord été défendue et mise en place par la gauche.

Concernant l'action gouvernementale proprement dite, 48% des Français interrogés ont le sentiment que "la politique du gouvernement en matière de décentralisation va plutôt dans le mauvais sens" contre 38% pour qui "elle va dans le bon sens". Là encore, ce résultat reflète la conjonction de l'image de la décentralisation en tant que telle et d'un jugement plus général sur la politique du gouvernement. On observe d'ailleurs que 59% des sympathisants de la majorité jugent que la politique du gouvernement en matière de décentralisation va dans le bon sens tandis que 57% des sympathisants de l'opposition pensent le contraire.

On craint par ailleurs les conséquences de la décentralisation pour le secteur public. Les mouvements sociaux contre la décentralisation des personnels non-enseignants de l'Education nationale au mois de mai dernier en témoignent. Aujourd'hui, 61% des salariés du secteur public jugent que la politique du gouvernement en matière de décentralisation va dans le mauvais sens contre 49% des salariés du secteur privé.

Les élus locaux se montrent plus enthousiastes : 60% d'entre eux estiment qu'elle va dans le bon sens. Mais on observe encore que les prises de position sont très politisées et recouvrent plus généralement une appréciation globale du gouvernement : si une très large majorité des élus locaux de droite (86%) juge que la politique du gouvernement en matière de décentralisation va dans le bon sens, une majorité (60%) des élus locaux de gauche estime qu'elle va dans le mauvais sens.

En ce qui concerne l'avenir de la décentralisation, le décalage entre les attentes des Français et les attentes des élus locaux est également perceptible. 40% des Français interrogés pensent qu'en matière de décentralisation, c'est la commune qui doit voir ses compétences renforcées en priorité, contre 32% qui pensent que c'est la région et 23% le département. Ces résultats montrent que les Français privilégient la proximité. Cette volonté de voir les compétences de la commune renforcées est plus marquée au sein des catégories socioprofessionnelles dites inférieures (en termes de niveaux de revenu et d'études). A l'inverse, les catégories socioprofessionnelles supérieures se prononcent davantage en faveur d'un renforcement des compétences de la région (44% des hauts revenus et des personnes ayant un niveau d'études au moins égal à bac+3). Sur cette question, on ne note relève pas de différence de jugement entre sympathisants de gauche et sympathisants de droite. Les élus locaux se montrent beaucoup plus partagés. Un tiers d'entre eux penche pour le renforcement des compétences de la Région, 31% pensent d'abord au département, 30% à la commune. Ces résultats varient en fonction du mandat des élus : 81% des conseillers régionaux estiment qu'en matière de décentralisation, c'est la région qui doit voir ses compétences renforcées en priorité (contre 12% la commune et 5% seulement le département). 60% des conseillers généraux jugent pour leur part qu'on doit privilégier le département (contre 19% la région et 9% seulement la commune). Les maires, réalistes quant à la place de la commune dans le processus de la décentralisation, sont plus partagés (32% choisissent la commune, 32% la région et 30% le département). Là aussi, la crainte de ne pas disposer de moyens suffisants pour assumer de nouvelles responsabilités influence les réponses.

La confiance des élus locaux dans le gouvernement Raffarin en baisse

En octobre 2002, l'étude Ipsos / Courrier des Maires montrait que les maires, qui se reconnaissaient dans Jean-Pierre Raffarin, lui faisaient confiance pour toutes les problématiques d'ordre local . L'étude, qui cette année a aussi été réalisée auprès de conseillers régionaux et généraux, laisse transparaître une baisse de la confiance des élus locaux au gouvernement.

La majorité des élus locaux interrogés (61%) fait toujours "confiance au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin pour mener à bien les réformes nécessaires en matière de décentralisation" (contre 32% de jugements contraires). Mais cet indicateur est orienté à la baisse : les trois-quarts des élus locaux faisaient confiance au gouvernement sur ce sujet il y a un an, soit une baisse de 11 points. Cette dégradation de la confiance est plus marquée chez les maires des petites communes (-12 points chez les maires de communes de moins de 2000 habitants, -5 chez les maires de communes de 2000 à 10.000 habitants et -2 chez les maires de communes de plus de 10.000 habitants). Leurs attentes étaient peut-être plus fortes à l'égard d'un gouvernement qui se présentait comme celui "de la France d'en bas".

En matière de fiscalité locale, les élus locaux se montrent plus partagés. 49% d'entre eux déclarent faire confiance au gouvernement contre 40% d'avis contraire. Comme pour la décentralisation, la confiance des maires se dégrade : e n octobre 2002, 59% d'entre eux faisaient confiance au gouvernement pour mener à bien les réformes nécessaires en matière de fiscalité locale, soit une baisse de 9 points en un an.

Concernant le maintien des services publics au niveau local, les jugements à l'égard de l'action du gouvernement sont plutôt négatifs : 45% des élus locaux interrogés déclarent faire confiance au gouvernement pour mener à bien les réformes nécessaires dans ce domaine contre une proportion plus importante (48%) qui ne lui fait pas confiance. Sur ce point, le jugement des conseillers régionaux et généraux est plus positif : une courte majorité d'entre eux (51%) fait confiance au gouvernement contre 45% seulement des maires. On note par ailleurs une détérioration du jugement des maires sur cette question par rapport à l'année dernière (-9 points) ; ils faisaient alors majoritairement (54%) confiance au gouvernement pour maintenir les services publics au niveau local. Là encore, les maires des petites communes se montrent les plus inquiets.

Les Français et des élus locaux craignent une augmentation des impôts locaux

La plupart des Français interrogés (80%) pensent que le projet de loi sur la décentralisation entraînera une augmentation des impôts locaux , en dépit des transferts de moyens financiers qui doivent accompagner les transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités. La crainte que la décentralisation se traduise par une augmentation des impôts locaux est d'autant plus que les Français ont le sentiment que leurs impôts locaux ont déjà augmenté (73%). Ce sentiment est un peu plus marqué au sein des catégories socioprofessionnelles inférieures et en milieu rural.

Les élus locaux partagent cette inquiétude : i ls sont même encore plus nombreux que l'ensemble des Français à redouter les répercussions de la décentralisation sur la fiscalité locale (87%). Cette crainte est renforcée par le fait que certains éléments ont déjà entraîné une augmentation des dépenses des collectivités locales ces dernières années : le transfert de l'APA (Allocation Personnalisée d'Autonomie) aux départements n'a pas été compensé par un transfert budgétaire suffisant de l'Etat ; la réduction du temps de travail a eu pour conséquence dans les collectivités locales une hausse budgétaire en termes de masse salariale ; les SDIS (Services Départementaux d'Incendies et de Secours), auparavant pris en charge par la protection civile, sont désormais financés par les départements et les communes.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

Société