Défaite surprise du FN à Toulon

Pour la première fois, lors de l'élection législative partielle de Toulon, une majorité d'électeurs de droite ont voté à gauche pour faire barrage à l'extrême-droite.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Pour la première fois, une majorité d'électeurs de droite ont voté à gauche pour faire barrage au Front national. Le second tour de l'élection législative dans la première circonscription de Toulon (Var), le dimanche 3 mai 1998, marquera peut-être une date dans l'histoire électorale francaise. L'extrême-droite a été battue par surprise dans un de ses fiefs grâce à ce que les socialistes ont salué comme "un réflexe nouveau des républicains de droite".

La candidate socialiste Odette Casanova (50,07% des suffrages exprimés) l'a emporté de 33 voix sur celle du FN, Cendrine Le Chevallier (49,93%), l'épouse du maire frontiste de Toulon, élu en 1997 mais invalidé pour infractions à la législation sur les campagnes électorales. Le sursaut de participation d'un tour à l'autre (le taux d'abstention a chuté de sept points) ne saurait expliquer, à lui seul, cette victoire inattendue de la gauche. Au premier tour, la candidate d'extrême-droite (39,55% des voix) devançait très largement celle du PS (31,69%). Même en faisant l'hypothèse irréaliste que la totalité des 1480 suffrages exprimés supplémentaires recueillis dans les urnes au second tour se sont reportés sur la gauche, les résultats suggèrent que moins de la moitié des électeurs de droite du premier tour ont appuyé le FN. Les reports de voix apparents indiquent, par ailleurs, que quelques 70% des supporters de la droite classique semblent avoir obéi à un "réflexe républicain" d'opposition à l'extrême-droite.

Un phénomène totalement nouveau dans une région méditerranénne où les électorats de droite et du FN étaient traditionnellement plus voisins qu'ailleurs en France. Aux législatives de 1997, environ 60% des électeurs de droite semblaient s'être reportés sur Jean-Marie Le Chevallier, élu au second tour avec 53,17% des suffrages contre Odette Casanova. Le succès de la gauche est d'autant plus impressionnant que cette circonscription est très marquée à droite. La gauche y avait été éliminée dés les premier tour aux législatives de 1993. Et Jacques Chirac avait recueilli 61,54% des voix dans la ville de Toulon.

Le vote du 3 avril tranche avec le fantasme d'une progression irrésistible du Front national, si répandu dans la classe politique et dans les médias. On se souvient du psychodrame qui a suivi les élections régionales du 15 mars 1998. L'impression commune était que le FN occupait l'épicentre de la vie politique française alors que la formation lepéniste n'a que très exceptionnellement réussi l'épreuve décisive du scrutin majoritaire. Au dernières élections cantonales, l'extrême-droite n'a pu faire élire que trois conseillers généraux sur 1996 cantons en jeu. Elle perd aujourd'hui son unique député. Aux municipales de juin 1995, c'est grâce à des scrutins triangulaires que le FN a gagné quelques cités. Seule exception: Vitrolles (Bouches-du-Rhône) où la famille Mégret a recueilli une majorité absolue de suffrages exprimés.

Les enquêtes d'opinion montrent toutes, au demeurant, que la formation codirigée par Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret ne se banalise pas. Une majorité d'électeurs de droite se sont déclarés opposés aux alliances avec le FN au lendemain des régionales. Une enquête récente de la Sofres pour RTL et "le Monde" (1) indiquait que seulement 20% des sondés se disaient "d'accord avec les idées défendues par Jean-Marie Le Pen" contre 79% de désaccord. Le rejet de l'extrême-droite demeure très fort dans la société française.

Le test de Toulon apporte un autre enseignement. Il démontre que l'épreuve du pouvoir peut être négative pour l'extrême-droite. Cendrine Le Chevallier a vraisemblablement pâti des affaires et des disputent internes qui émaillent la chronique de la municipalité toulonnaise. Il est plus facile d'engranger des voix dans une posture purement protestataire qu'en tant que représentante d'un pouvoir, fut-il simplement local. La stratégie de conquête du pouvoir prêtée à Mégret voit son horizon s'obscurcir singulièrement.

(1) 1000 personnes interrogées du 21 au 23 avril.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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