Deux ans après les attentats, l'Amérique doute
Le choc des attentats du 11 septembre avait créé aux Etats-Unis une unité sans précédent : la conviction que l'Amérique était entré en guerre, la ralliement derrière George W. Bush, le besoin de soutien et de solidarité formaient un tryptique auquel s'identifiait la société toute entière. Deux ans après, les enquêtes d'opinion montrent que le doute s'est installé : Bush controversé, la guerre contre le terrorisme discutée, l'Amérique à nouveau isolée, la campagne irakienne aura précipité la fin du "consensus du 11 septembre".
Le 11 septembre 2001, deux avions de ligne détournés percutent et détruisent les tours jumelles du World Trade Center, à New York. Un autre appareil frappe le pentagone à Washington, et un quatrième s'écrase en Pennsylvanie. On recensera plus de 3000 morts.
"Rien ne sera plus jamais comme avant". Cette certitude, partagée par la plupart des Américains interrogés par Ipsos au lendemain des attentats, annonçait les bouleversements d'une opinion publique en état de choc. La catastrophe, diffusée en boucle à la télévision, a bousculé la société américaine dans ses convictions, ses croyances, sa fierté aussi. Instantanément, les clivages partisans disparaissaient derrière un regain de ferveur religieuse et de patriotisme. Si la soif de vengeance était l'un des premiers réflexes, l'Amérique du "struggle for life" s'est aussi très vite redécouvert des valeurs d'entraide et de solidarité. Le consensus émergé des décombres du Wall Trade Center atteindra un niveau sans précédent. Unis dans leur malheur, les Américains, par leur courage, se sont aussi attirés la sympathie d'un monde extérieur qu'ils redécouvraient (*).
En deux ans pourtant, le bloc s'est désagrégé : les dernières enquêtes réalisées aux Etats-Unis par Ipsos et les principaux instituts de sondages montrent que la société a retrouvé ses clivages traditionnels. Alors que la campagne afghane n'avait fait qu'ébranler l'unité américaine, bien que Ben Laden n'ait pas été capturé, la guerre en Irak - et les débats sur la pertinence de l'intervention - ont laissé plus de traces. En s'embrouillant avec ses vieux alliés, en agissant contre l'avis du Conseil de Sécurité de l'ONU, le gouvernement américain a choisi de se passer d'une des composantes essentielles du socle sur lequel reposait l'union de son peuple, le soutien de l'opinion internationale. La division sur cette question a fait tâche d'huile, au point que l'on retrouve aujourd'hui, sur les questions politiques, économiques ou sociales, les clivages partisans d'avant le 11 septembre.
La courbe de popularité du Président des Etats-Unis est symptomatique de ce revirement. George W. Bush, que les controverses autour de son élection (recompte des votes en Floride) avaient privé du traditionnel état de grâce, a enregistré après les attentats un niveau de soutien de plus de 90%, record historique jamais atteint auparavant. Bien que décroissant, le soutien est resté exceptionnellement haut jusqu'au début de cette année, pour retomber ensuite sous la barre des 60%, dans les principaux baromètres (1). Le rebond des avis favorables pendant les opérations militaires en Irak ne durera pas, au contraire. Bush ne dispose plus aujourd'hui que d'une courte majorité de bonnes opinions (52% selon la dernière vague du baromètre Ipsos, réalisée du 2 au 4 septembre), et retrouve le niveau de soutien d'avant les attentats.
De plus, il n'est pas évident qu'on en reste là. Les dernières mesures n'intègrent par exemple pas encore la réaction de l'opinion à la demande d'aide des Etats-Unis à l'ONU dans la gestion de l'après guerre en Irak. Une enquête ABC News/TNS réalisée du 4 au 7 septembre montre d'ailleurs que cette gestion est de plus en plus controversée : 49% approuvent la façon de faire de Bush, mais 47% émettent un avis contraire. En avril dernier, le rapport de force lui était nettement plus favorable (75/22).
Avec l'élection présidentielle en point de mire (novembre 2004), les premières mesures d'intentions de vote sont un autre indicateur du discrédit dont souffre aujourd'hui George W. Bush. Même si pour le moment, il arrive en tête quel que soit l'adversaire démocrate testé face à lui, les dernières mesures du baromètre Ipsos/Cook Political Report mettent en évidence l'effritement de son socle d'électeurs. Interrogés début septembre, 38% des Américains déclaraient un vote certain pour Bush, le plus faible taux de la série (il partait avec près de 60% d'électeurs certains de voter pour lui fin 2001).
Les polémiques autour de la campagne irakienne (présence ou non d'armes de destructions massives ; absence de mandat de l'ONU ; disparition de Saddam Hussein ; gestion délicate de l'après guerre), ont également semé le trouble sur la pertinence de la guerre engagée contre le terrorisme dans son ensemble. Neuf Américains sur dix pense que "cette guerre ne parviendra pas à son terme". Surtout, la crainte de nouveaux attentats a progressé. Le quart des interviewés se sent "personnellement menacé au quotidien" (contre 15% de cet avis en octobre 2001, enquêtes Ipsos US Express, septembre 2003 et octobre 2001). Quelque peu démobilisés, les Américains commencent même à reparler de libertés individuelles : plus de trois Américains sur dix pensent que "dans ses efforts contre le terrorisme, le gouvernement a violé le droit et les libertés des individus vivant aux Etats-Unis" (58% d'avis contraire). Une personne sur quatre juge que le gouvernement est allé trop loin (18% "pas assez loin", 49% "ce qu'il fallait") ; 43% préféreraient tout de même pour l'avenir qu'on en reste là (contre 51% prêts à aller plus loin) (ICR-Associated Press - 4/8 septembre 2003).
Enfin, les questions économiques sont repassées en tête dans la hiérarchie des préoccupations. Et sur ce terrain là, l'ambiance est également à la morosité. L'indice synthétique "CASH" (Consumer Attitudes and Spending by Household), mesure du "moral économique" des Américains, a chuté de 20 points depuis janvier 2002.
(*) Les principaux mouvements d'opinions qui ont traversé la société américaine l'année suivant les attentats ont fait l'objet d'une synthèse publiée sur Canal Ipsos en septembre 2002 : 11/09/01 - 11/09/02 : l'onde de choc s'amortit
(1)Ipsos/Cook Political Report - ABC News/Washington Post - Zogby/Reuters -- CNN/USA Today/Gallup ; la plupart de ces baromètres sont consultables sur le site Polling Report
A consulter : le dossier de Yahoo
Ipsos-Reid, aux Etats-Unis
et notamment le baromètre politique réalise pour Cook Political Report
Tous les sondages d'opinion réalisés aux Etats-Unis sont publiés sur le site Polling Report:
Le site Public Agenda a également consacré un dossier très complet analysant sur la base d'enquêtes d'opinions les attentats aux Etats-Unis
Mondage vidéo des évènements du 11 septembre
MSNBC : The Darkest Day
Les archives de Newsweek : un an d'articles sur les attentats du 11 septembre