Dominique de Villepin suscite le doute et l'admiration
En guise de support à la nouvelle émission politique de France 2, "A vous de juger", diffusée ce soir à 20h55, Ipsos a enquêté sur l'image de Dominique de Villepin. Une étude qualitative a été menée, pour laquelle 10 Français, salariés franciliens appartenant aux classes moyennes, toutes tendances politiques confondues, ont été réunis autour d’une "table ronde" afin de cerner l’image du Premier ministre à partir de propos collectifs. Pour compléter cette étude, Ipsos a réalisé parallèlement un sondage quantitatif classique, qui rend compte du chemin parcouru en 100 jours – Dominique de Villepin s'est constitué un statut de présidentiable, mais aussi des difficultés à venir – la majorité des Français ne lui fait pas confiance pour obtenir des résultats sur chacun des grands dossiers abordés.
Enquête qualitative : un air de "flamant rose"...
Tout le monde s’accorde pour dire que Dominique de Villepin a pris de l’épaisseur et qu’il est en train de s’affirmer dans son rôle tout en nourrissant son image. Force est de constater que le Premier ministre n’évolue plus seulement dans un ailleurs fait de poésie et de représentations onusiennes et qu’il n’est plus seulement réduit à un physique avantageux… Cependant, l’image en construction du Premier ministre est encore fortement tributaire du discours médiatique à son égard et du pessimisme ambiant. Elle risque de s’avérer fragile dans un contexte marqué aujourd’hui par une morosité avérée et un certain fatalisme concernant la situation du pays.
DDV, c’est d’abord une stature qui ne ressemble guère à celle d’un Premier ministre et une posture tranchant d’avec celle de nombre d’hommes politiques.
Comme Premier ministre, D. de Villepin n’est guère spontanément replacé dans les problèmes hexagonaux, les interviewés lui attribuent d’abord une dimension internationale et retiennent l’image d’un homme portant la parole et les valeurs de la France à l’international avec une flamboyance certaine. C’est également un homme de principes, capable – dit-on - d’incarner la République en ses fondements. Les personnes rencontrées voient en lui un gardien des valeurs intangibles d’une France forte et ferme, généreuse sans être laxiste. Mais il ne suffit pas de représenter avec brio la France à l’étranger pour être Premier ministre semblent dire les interviewés.
On l’oppose volontiers à ses prédécesseurs. Il est moins rigide qu’A. Juppé, on lui confère à cet égard une certaine humanité, moins rigoriste que L. Jospin, il paraît plus accessible. On l’imagine moins empêtré dans le quotidien, plus organisé et efficace, que J.P. Raffarin. Après quatre mois passés à Matignon, D. de Villepin garde toujours un certain panache, les interviewés le regardent avec bienveillance mais attendent de voir comment il se tirera des difficultés qui l’attendent lors de cette rentrée sociale.
Par rapport aux autres hommes politiques, il dégage également une image assez "cristalline", intacte, propre, sans défaut apparent, mais fragile. Il a beau faire office de "fils spirituel et légitime" de J. Chirac, les Français rencontrés ne voient pas seulement en lui la « créature » du Président. Sur ce point, le Premier ministre tend à s’autonomiser. Son absence de confrontation au suffrage ne semble pas non plus être un handicap insurmontable ("ça renforce la nouveauté"). Nouveau, D. de Villepin est perçu comme un "séducteur" avec de la prestance, capable de dégager une certaine chaleur humaine ("prestance, élégance et belle gueule").
On voit en lui un homme politique relativement calme que l’on oppose bien souvent au brouhaha et autres déclarations fracassantes du monde politico-médiatique que les interviewés n’écoutent plus ("c’est le poète et les grandes gueules"). Le seul à qui on peut le comparer reste D. Strauss-Kahn car, dit-on, "les deux ne parlent jamais pour ne rien dire". Le Premier ministre n’est placé ni dans l’affrontement politicien, ni dans la grisaille des petites phrases.
Par delà ces images, les interviewés lui attribuent plusieurs qualités potentielles au premier rang desquelles se situe le volontarisme. Qu’ils soient d’accord ou non avec ses positions politiques, les interrogés s’accordent pour dire qu’il essaye de lutter contre le chômage et la sinistrose en découlant et qu’il ne se contente pas d’énoncer de bonnes intentions. Si D. de Villepin essaye, il rassure également en se positionnant sur un socle de fondamentaux "républicains" tout en sachant conjuguer fermeté et sens de la diplomatie ("je le vois écouter mais je l’imagine aussi trancher", dit un interviewé). On lui attribue un potentiel de rassembleur, certains voient d’ailleurs en lui "le petit-fils de De Gaulle", d’autres un "petit Kennedy". Pour le moment, le style de gouvernement du Premier ministre semble séduire. On dit qu’il a pris de l’envergure et on semble apprécier certains de ses recadrages à l’égard de tel ou tel de ses ministres ou le voir réaffirmer les grands principes. Les interviewés lui attribuent une place médiane sur l’échiquier politique de droite, il n’est ni "ultra-libéral", ni partisan du "tout social". Tout se passe comme si D. de Villepin était positionné comme un dirigeant ayant a priori compris et analysé l’échec des solutions éculées ("de droite ou de gauche") sans pour autant vouloir se lancer dans des "aventures" hasardeuses.
Reste à savoir ce qu’il va faire et proposer puisqu’il paraît hériter d’une politique qu’il n’a pas vraiment décidée ("il hérite de Raffarin") et d’une équipe dont beaucoup se demandent s’il l’a réellement choisie ("on voudrait savoir si c’est lui qui a choisi tous les ministres, a priori c’est pas le cas"). Dès lors, les personnes rencontrées en viennent à s’interroger sur le projet et la vision que peut avoir le Premier ministre au delà des strictes problématiques d’image. Ce portrait bienveillant correspond peu ou prou au décalage observé entre des indicateurs de popularité positifs et un climat d’opinion défavorable.
D. de Villepin entre attentes et doutes.
Au delà d’attributs positifs, le Premier ministre de par sa personnalité et ses traits d’image génère des attentes fortes. Il ressort toutefois des propos collectés un certain scepticisme quant à son potentiel et à sa capacité pour prendre à bras le corps les problèmes tant dans sa fonction actuelle que comme éventuel candidat à l’élection présidentielle.
L’image cristalline, le caractère relativement intact et neuf du personnage dans la galaxie politique, favorisent des attentes ciblées en fonction des qualités spécifiques qui lui sont accolées (prestance, volontarisme, grandeur, autonomisation par rapport à J. Chirac).
D. De Villepin apparaît installé dans le consensus et la volonté de dédramatiser le débat politique. En cela, les interviewés l’opposent à N. Sarkozy choisissant de créer du débat. On s’interroge également sur son potentiel d’incarnation du pays et au-delà de rassembleur. On souhaite qu’il développe plus et mieux sa vision personnelle de la France, des Français et de leur avenir, vision, qui jusqu’ici est plus supposée que réellement captée. On espère, enfin, le voir exprimer et démontrer de manière plus visible sa volonté à trouver des solutions pour l’avenir du pays.
Parallèlement de forts doutes sont exprimés quant à son aptitude pour répondre aux espoirs relatifs et à la confiance que les interviewés placent a priori en lui. Ce qui est ici en jeu, c’est la question de savoir si le Premier ministre a une réelle vision et un potentiel d’action, et si en somme, D. de Villepin est plus que son image projetée. Image qui pourrait, au fil du temps et des épreuves, se révéler relativement fragile.
En premier lieu, il y a la question de l’incarnation et de la distance. Les personnes rencontrées ont en effet le sentiment que si D. De Villepin sait incarner la France, la République, et d’une certaine manière la hauteur et la solennité de la fonction, il sait moins représenter les Français et encore moins s’identifier à leurs préoccupations. Sans douter de sa sincérité (loin de l’image d’un mépris aristocratique), les interviewés s’interrogent alors sur sa compréhension réelle des problèmes du quotidien et sur sa capacité "à mettre les mains dans le cambouis", à parler concret aux Français : D. De Villepin peut-il en somme assumer ces deux fonctions ? S’il reste "en hauteur " il risque la trop grande distance, mais s’il "descend trop bas" il prend le risque d’une "raffarinisation", qui siérait mal à sa stature et sa prestance.
Il y a ensuite le problème de l’originalité de la politique de D. De Villepin. Au fil des propos surgissent des interrogations et doutes sur sa capacité à penser et conduire une politique qui lui est propre. Le sentiment prévaut qu’il est le chef d’une équipe qui lui a été imposée, l’artisan d’une politique qui est plus celle de J. Chirac que la sienne, l’héritier d’une situation qu’il na pas voulu. Le Premier ministre a-t-il suffisamment d’autonomie et de maîtrise sur la politique qu’il est appelé à mener pendant 18 mois ? C’est là une des grandes questions qui agitent les interviewés.
Il y a enfin la question de la durée. L’image cristalline de D. De Villepin pourra-t-elle au fil des mois sauvegarder son apparence intacte ? L’homme neuf ne risque-t-il pas de s’user plus que de raison au contact d’une situation économique et sociale difficile, face aux revendications de Français de plus en plus inquiets pour leur avenir proche, et la précarisation de leur pouvoir d’achat ? L’image quelque peu distanciée du Premier ministre risque, aux dires de certains interviewés, de se fissurer rapidement, car comme l’exprime une métaphore sportive de l’un d’entre eux : "il a pris un départ de 400 mètres alors qu’il court un marathon : il démarre vite, mais il va s’épuiser rapidement".
Incarner, rassembler, montrer une vision et les ressources attenantes (volonté, énergie) représentent, on l’aura compris, des attentes fortes vis à vis du Premier ministre. Ces dernières restent fortement balancées par un scepticisme quant à son potentiel pour associer grandeur et concret, France éternelle et quotidien des Français, action et durée. Ici l’image d’un Premier ministre "flamant rose, beau, grand et élégant, mais sur une patte, en équilibre précaire" prend toute sa force, pour reprendre la métaphore d’un interviewé.
Si l’image du Premier ministre reste aujourd’hui en construction par rapport à nombre d’hommes politiques c’est qu’elle est toujours en construction. Ainsi D. de Villepin oscille-t-il entre des traits d’image positifs et éléments de doute. Les interviewés apprécient le de Villepin qu’ils connaissent (l’homme héritant d’une situation délicate) mais tendent à rester dubitatifs à l’égard du de Villepin qu’ils ne connaissent pas (l’homme qui tôt ou tard devra faire face à l’adversité et qui devra annoncer un cap et une vision par delà des mesures gouvernementales héritières du précédent gouvernement). L’image du Premier ministre ne semble pas suffisamment stable et installée pour ne pas être dépendante des éléments de conjoncture. Car, dit-on, les résultats "sensibles et visibles" manquent encore. D. de Villepin a beau avoir un ensemble de qualités en tant qu’homme, il peut dégager à l’inverse de ses prédécesseurs un certain « charisme », il n’en demeure pas moins que, comme les autres, il sera jugé à l’aune de ses résultats.
François Backman
Enquête quantitative : Dominique de Villepin à l'épreuve des faits
L'enquête Ipsos-France 2 sur l'image de Dominique de Villepin montre que le premier ministre a marqué des points depuis son arrivée à Matignon. On lui reconnaît une certaine pédagogie – "il sait expliquer ses décisions aux Français" pour près d'une personne sur quatre et plus particulièrement les jeunes, du volontarisme – "il sait prendre des décisions difficiles" selon 16% de l'échantillon, 20% chez les sympathisants socialistes, de l'écoute (13% de citations) et de l'autorité (13% également).
Pour autant, le charisme du chef du gouvernement n'éclipse pas le climat social difficile. Et les qualités que les Français lui reconnaissent ne passent pas pour gage de réussite. Au contraire, 47% de l'échantillon pense que la politique économique et sociale menée par Dominique de Villepin va échouer (37% d'avis contraire, 17% ne se prononcent pas). Dans le détail, le doute est présent sur tous les sujets proposés : 48% des Français ne lui font pas confiance pour mener à bien la réforme fiscale (44% d'avis contraire), 52% de défiance sur la lutte contre le chômage (44% de confiance). Deux Français ne croient pas non plus au retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale (27% de confiance), ou à une augmentation du pouvoir d'achat (30% de confiance).
Pour autant, ce scepticisme sur l'efficacité de l'action gouvernementale ne prive pas Dominique de Villepin de perspective présidentielle : 43% des Français – et 40% des proches de l'UMP – souhaiteraient qu'ils soient avec Nicolas Sarkozy tous les deux candidats en 2007. A noter qu'une proportion équivalente (37%) des sympathisants UMP préférerait que seul Nicolas Sarkozy se présente.
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