Dominique Strauss-Kahn, image et avenir
D. Strauss-Kahn : l'homme.
Ce qui frappe d'emblée par rapport à tous les leaders de la Gauche Plurielle évoqués au cours des réunions, c'est la stature que l'on attribue à DSK. Même absent, on se souvient de lui. Plus que le souvenir des divers postes qu'il a pu occuper, des fonctions qu'il a exercées, c'est l'image de l'homme Strauss-Kahn qui domine très largement. On évoque alors sa capacité de séduction, son côté pédagogue, on lui attribue une kyrielle de qualités.
Technicien sans être technocrate, politique sans être (trop) "langue de bois". Séducteur sans être démagogue, stratège sans être un simple tacticien. On lui reconnaît une capacité d'adaptation sans superficialité, une ambition réelle mais pas de visée carriériste. Sa récente implication dans ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire de la MNEF ne bouleverse guère la donne. Il paraît donc cumuler un nombre d'atouts non négligeables au premier rang desquels se trouve une aptitude à pouvoir faire autre chose que de la politique. DSK n'est pas nécessairement perçu comme un professionnel de la politique au sens étroit du terme. Brillant, collectionnant les diplômes, on l'imagine volontiers ailleurs à la tête d'une grande entreprise comme Vivendi ou dirigeant la BERD. Il fait donc figure d'homme pouvant exister ailleurs que dans le sérail politique en occupant une place de premier plan.
Si on tend à le comparer à L. Fabius ou à E. Guigou, à le voir en "bourgeois", il dispose - dit-on - d'une proximité que les autres n'ont pas. Car DSK est capable de se mettre au niveau de son public, sans pour autant tomber dans un registre populiste. Il sait expliquer sans professer, se mettre à la portée d'autrui sans rabaisser.Il a une personnalité réelle, affirmée, il "ne doit rien à personne" et on voit en lui un homme de convictions capable de lutter pour les imposer face à divers adversaires dans son camp ou dans l'autre. Le portrait chinois de DSK est à cet égard relativement parlant. On l'identifie à un zèbre, "autant de blanc que de noir, quelqu'un de modéré", à un panda, "mignon, sachant se faire discret, mais capable de donner un coup de patte" ou à un renard "malin".
DSK fait figure d'homme raisonnable, cartésien, d'économiste hyper-brillant mais compréhensible, au discours accessible. Sur l'échiquier politique on le place volontiers à la droite de la gauche, on voit en lui un "néo-libéral socialiste" : "il fait plus homme de droite que de gauche".
L'homme en politique et les leaders de la Gauche Plurielle.
Au sein de la Gauche Plurielle, DSK tend à occuper une place à part ; relativement jeune en politique, ne devant rien au père tutélaire Mitterrand, on fait de lui un homme un peu à l'écart des appareils partisans mais c'est également une référence, on le compare parfois à J. Delors. On l'oppose à un F. Hollande, que l'on trouve trop suiviste, ou à un L. Fabius encore marqué par "l'influence de l'ère Mitterrand", présent dans le paysage politique depuis longtemps, et cumulant "arrogance" et élitisme. Si le Premier Secrétaire du PS "cherche sa place", celle de DSK est toute trouvée, elle s'impose d'elle même. Paradoxalement on le rapprocherait d'un B. Delanoë, lui attribuant une nouveauté et un côté "sympathique". Si DSK parle, on a tendance à l'écouter plus qu'un N. Mamère qu'on entend et dont on est habitué aux frasques verbales ou plus qu'un J.P. Chevènement par trop professoral ("DSK on l'écoute, Chevènement, on le laisse parler").
DSK n'a pas eu besoin de Mitterrand pour émerger et n'a pas nécessairement besoin de L. Jospin pour exister. Face à d'autres hommes et femmes de gauche, il semble capable d'exister ailleurs. Si on voit en lui un des membres éminents du carré de fidèles jospinistes, on ne l'imagine cependant pas comme un grognard dévoué corps et âme au Premier ministre. Dans cette optique DSK fait figure d'anti-Vaillant. On l'imagine stratège ("un décideur"), conseiller écouté du Prince, plus que fidèle lieutenant exécutant sa mission avec dévouement. C'est l'homme du "projet de campagne" bien plus que le directeur de campagne. Si DSK pense et réfléchit, son côté renard, on ne le voit pas dans une tour d'ivoire, il est capable de "faire les marchés" tout en restant crédible.
Ministre des Finances de L. Jospin, on l'imaginait "parti pour durer" ; "calme, serein, brillant", il en avait la stature et imposait le "respect". Il faisait figure d'interlocuteur de poids pour mener à bien la politique économique du gouvernement. Il sera celui qui - dit-on - aura mis en place le processus de passage à l'euro. Il est attaché à la période positive des premiers temps du gouvernement Jospin : équipe neuve, bons résultats économiques, dynamique propre, réalisme, ouverture. Considéré comme pilier droit de la "dream team", son départ a été perçu comme l'un des principaux signaux de la "baisse de régime" de l'action gouvernementale : "ça a affaiblit Lionel Jospin quand Strauss-Kahn a du partir".
L'avenir : le choix du (des) destin(s).
Un avenir politique, lequel ?
Aujourd'hui, on ne voit pas comment L. Jospin pourrait se passer de D. Strauss-kahn et de ses nombreuses et indéniables qualités. Aux yeux des personnes rencontrées, il apparaît bel et bien comme un élément incontournable d'une équipe gagnante. Parce qu'incarnant sens politique et capacité d'adaptation, tout autant que réflexion et expertise, on attribue à l'ancien ministre des Finances une place de tout premier choix dans le "team Jospin". Beaucoup en font même l'atout maître du futur candidat : le stratège-conseil. En effet, au-dessus des choix purement politiciens, au delà de la simple expertise, DSK incarne parfaitement le bras droit : connaissance de l'homme et connaissance des dossiers, capacité d'analyse et de décision. Dans cette configuration on le voit évoluer dans le premier cercle de la Jospinie en campagne, dans lequel les arbitrages et décisions se font en direct avec le futur candidat.
Toutefois, si le politique est l'avenir qui lui est le plus facilement dessiné, on ne lui voit pas nécessairement un destin politique personnel. Plusieurs éléments font en effet blocage : le poids relatif de l'affaire MNEF, la vive concurrence des prétendants au sein du PS, le 'dilettantisme' propre à sa personnalité, enfin la polyvalence et l'éclectisme mêmes de ses qualités peuvent le détourner de ce destin. D. Strauss-Kahn ne peut en effet se mettre trop avant sur la scène politique ("c'est encore trop tôt"), étant en effet encore trop marqué par ses récents démêlés judiciaires. Son non lieu récent ne le décharge pas totalement et une certaine suspicion persiste à son égard :"il a eu un non lieu mais ça veut pas dire qu'il est innocent". Dès lors, apparaître trop tôt devant les caméras serait ressenti par nombre d'interviewés comme preuve de cynisme et mettrait en exergue trop d'habileté et de capacité de manipulation. L'on connaît ses qualités, elles sont indéniables et point n'est besoin pour l'instant de les étaler au grand jour. Sa présence dans l'équipe L. Jospin suffit à imposer sa légitimité.
Ainsi, D. Strauss-Kahn semble très fortement accolé au destin de L. Jospin. Sans ce dernier son avenir politique - s'il en désire un - semble semé d'embûches. A ce titre il est plus perçu comme un fidèle, un compagnon d'armes, que comme quelqu'un manifestant une ambition pour lui-même.
Cette supposée absence d'ambition politicienne personnelle - un atout - révèle également, pour beaucoup, un manque d'envie de jouer sa propre carte. Une attitude qui peut lui nuire dans la vive concurrence qui ne manquerait pas de l'opposer à L. Fabius. Un sentiment plus répandu chez les interviewés de plus de 40 ans, là où les plus jeunes lui prédisent plus volontiers un avenir personnel en politique.
Si on l'imagine en stratège incontournable de la campagne Jospin, on ne le voit pas en cas de victoire devenir tout de suite Premier ministre : "il faudra qu'il attende un peu, ce ne sera pas le premier Premier ministre". On l'imagine certes à un tel poste, mais plus tard, quand il pourra alors mettre son talent en œuvre et marquer son passage : "il fera une réforme attendue, que les autres n'auront pas faite, une grande réforme fiscale, par exemple".
Un avenir hors la politique ?
En revanche en cas de défaite de la Gauche, l'on ne voit pas D.Strauss-Kahn nécessairement s'accrocher à une carrière politique au sein du PS. D'une part parce qu'il lui serait difficile d'agréger un consensus autour de sa personne, d'autre part parce qu'il ne semble pas participer aux jeux de pouvoir internes du Parti ("il n'a pas de courant") contrairement à L. Fabius. Cependant, les plus jeunes lui voient un destin de "reconstructeur" et de modernisateur de la Gauche : "si Chirac gagne, il casse les clans, il consolide la Gauche", "il donnera un coup de jeune à la Gauche".
Enfin - et surtout - parce que sa polyvalence lui permet d'envisager un avenir autre que politique. On l'a vu, si DSK est perçu comme un 'amateur doué' de la politique, ses qualités peuvent aussi bien le destiner à des postes aussi variés que la présidence d'une institution économique (type BERD ou FMI) ou celle d'un groupe de grande envergure (Vivendi, AXA).
Conclusion : l'homme 'de qualités' plus que le stéréotype politique, un atout pour la Jospinie, un éventuel destin personnel.
Au sein du monde politique, D. Strauss-Kahn reste aujourd'hui un personnage mal défini, parce que non stéréotypé, et fait l'objet d'une impressionnante faveur.
L'homme et ses qualités sont mises en avant, c'est une personnalité plus qu'une fonction, qui ne sombre pas dans la caricature. Ce qui ressort également c'est une multiplicité : il combine des qualités avérées, mais ne suscite pas l'envie ou l'agacement. Profil rare en politique, sans pour autant être perçu comme "à la marge", il montre en effet une remarquable aisance à se couler dans les habits d'un ministre des Finances ou d'un futur premier ministre.
S'il représente une certaine France, c'est d'une part sur un large éventail socio-politique de la société (du cadre moyen aux grands patrons), c'est plus une France de l'avenir - jeune, moderne, ouverte au monde - que du passé, fût-il récent (un passé totalement démarqué des années Mitterrand, contrairement à nombre de ces amis politiques).
Bref, chez les personnes rencontrées, une certaine admiration pour "l'artiste" ne peut s'empêcher de s'exprimer. Ses récents déboires ne semblent plus lui interdire un avenir, sinon un relatif moratoire médiatique, et encore… Son non-lieu ne l'exonère pas de toute suspicion, mais là encore on souligne son habileté à "passer entre les gouttes".
Toutes proportions gardées, il existe actuellement un charme DSK, comme il existe une Chirac-attitude, et comme a pu exister une séduction Mitterrand.
Aujourd'hui ce charme semble fonctionner à plein rendement, et ceci largement en faveur de L.Jospin. Sa présence dans la campagne du futur candidat comme élément moteur apparaît évidente pour les interviewés - comment se passer d'un tel atout ? - et peut même s'avérer flatteuse pour ce dernier. Si l'avenir immédiat de DSK reste pour le moment accolé à celui du candidat Jospin, il semble que toutes les conditions puissent être réunies ultérieurement pour conférer une légitimité à un éventuel dessein politique plus personnel.