Economie et sécurité au coeur d''un scrutin incertain
A trois mois du premier tour de l'élection présidentielle, les deux principaux protagonistes de la plus longue des cohabitations de la Ve République continuent à dominer le rapport de forces préélectoral. L'avance de Jacques Chirac sur Lionel Jospin, dont témoignent 5 des 6 enquêtes publiées depuis une semaine, demeure précaire: dans l'enquête que publie aujourd'hui Le Figaro, en partenariat avec Europe 1, 4 points d'écart au premier comme au second tour séparent les deux hommes.
La phase de la précampagne de l'automne 2001 avait été marquée par les progressions de Jean-Pierre Chevènement et Jean-Marie Le Pen. Ce début d'année, peut-être parce que l'euro n'est pas leur succès, vient interrompre cette progression. Elle met à mal leur potentiel de perturbation d'un scénario, considéré comme inéluctable, celui d'un second tour Chirac-Jospin. Le total des intentions de vote recueilli par le président de la République et le premier ministre dépasse à nouveau les 50% (respectivement 28% et 24%). C'est la norme minimale depuis 1965 pour les deux candidats qualifiés pour le second tour, mis à part l'exception notable de 1995. Il y a sept ans, en effet, les deux rivaux d'aujourd'hui rassemblaient au soir du premier tour moins de 45% des suffrages exprimés. Si un tel scénario devait se reproduire, il supposerait la progression significative de certains de leurs concurrents.
Voilà donc l'une des clés des semaines à venir, décrite par tous les sondages préélectoraux sans exception: Chirac et Jospin doivent préserver ou consolider leur capital de premier tour pour mieux installer la dynamique qui leur permettra de l'emporter. L'objectif est d'autant plus décisif que le rassemblement du second tour devra s'opérer auprès de renforts dispersés et n'offrant pas toujours toutes les garanties de bon report de voix. Pour Robert Hue, François Bayrou, Alain Madelin ou Noël Mamère, les faibles niveaux actuels ne sont pas prédictifs de leurs résultats du 21 avril. Ils mettent en revanche à l'épreuve leur capacité à convaincre en campagne de l'utilité de leur candidature.La configuration du second tour de 2002 est installée dans l'opinion depuis 1997. Il n'est donc pas aisé, faute de campagne, de convaincre que le premier tour "vaut le détour". Ce sera le défi de ceux que l'enquête d'aujourd'hui situe entre 4% et 6%. Il peut être relevé.
Parce qu'une campagne fabrique des dynamiques, il est peu probable en effet que l'on en reste là. Aussi l'objectif du baromètre publié à partir d'aujourd'hui est-il de mieux cerner la nature de la confrontation et des controverses, en allant au-delà des intentions de vote, pour comprendre leurs évolutions. La lecture du bilan de crédibilité comparée nous renseigne sur "le capital sortant" des deux acteurs de l'exécutif, mais elle renvoie également à ce qu'ils incarnent, chacun à sa manière: un camp et une histoire, celle de leur action pendant la cohabitation.
Ce bilan de crédibilité présente en apparence un équilibre presque parfait (la moyenne des 20 scores obtenus est exactement identique pour les deux concurrents, 38%), renforçant de fait la thèse légitime de l'incertitude du scrutin.
Si l'hôte de Matignon domine celui de l'Elysée dans 11 domaines sur 20, il est néanmoins devancé nettement sur deux dossiers aujourd'hui considérés comme étant au cœur des préoccupations des Français: l'insécurité et l'autorité de l'Etat. A l'inverse, le crédit de Lionel Jospin sur l'économie et sur le social est remarquable. Après cinq années passées à Matignon et les récentes difficultés de conjoncture, les Français font plus confiance à celui qui a agi et qui apparaît comme ayant contribué à rompre avec le cycle interminable de la crise.
Avec un tel crédit, notamment sur le chômage, les impôts et le niveau de vie, le premier ministre aurait pu prétendre il y a quelques années au rôle de favori logique et solide du rendez-vous présidentiel. En 1995, l'examen attentif des enquêtes à la sortie des urnes indiquait en effet que les thématiques économiques et sociales, comme en 1988 et en 1981, constituaient la motivation dominante du vote. Mais les temps ont changé. Il n'est pas acquis que le sujet du chômage et du social constitue la seule clé du choix. La crédibilité du président sortant dans sa capacité à garantir l'autorité de l'Etat et à résoudre les questions de délinquance doit être interprétée bien sûr en pensant au crédit traditionnel de la droite, à la perception majoritaire dans l'opinion des résultats insuffisants de la gauche depuis cinq ans, mais aussi sans doute comme la conséquence de la détermination du discours chiraquien sur ces sujets.
Jacques Chirac enregistre ensuite une avance sur des enjeux internationaux majeurs, comme l'Europe ou la capacité à faire face à l'intégrisme islamique. Rien ne dit bien sûr que la gravité de ces thèmes fabrique une motivation significative du vote. C'est là toute l'inconnue de la campagne qui s'engagera dans quelques semaines.
Pour combler son retard dans le domaine économique et social, Jacques Chirac devra présenter des orientations crédibles capables de faire oublier le mauvais souvenir laissé dans l'opinion par le décalage entre le discours de campagne de 1995 et les deux premières années de son septennat. Sur ces thèmes, il aura besoin d'une opposition convaincante et porteuse d'une alternative sérieuse. Le faible capital présidentiel sur les impôts et les retraites peut s'expliquer par l'absence de prise réelle sur le sujet depuis cinq ans, mais sûrement aussi par le fait que la droite modérée n'a pas réussi pendant cette période à installer dans l'opinion l'idée qu'elle était dotée d'un vrai projet.
Lionel Jospin, de son côté, devra convaincre une majorité de Français qu'on peut lui faire confiance sur les thèmes liés à l'insécurité. Plus généralement, il se trouve face à un enjeu global, qui touche à sa crédibilité personnelle sur le terrain des fonctions régaliennes, celles sans doute sur lesquelles devra se construire le personnage du candidat. Sur les thèmes de l'insécurité, de l'efficacité de la justice ou de l'autorité de l'Etat, la crédibilité du premier ministre dans l'électorat de Jean-Marie Le Pen ou chez les Français tentés par un vote en faveur de Jean-Pierre Chevènement est ainsi nettement moins forte que celle du chef de l'Etat.
Il faudrait ajouter à cet état des lieux bien d'autres facteurs d'incertitude. Il n'y a pas, dans une campagne électorale, des mécaniques autonomes dans le choix des électeurs. Il n'y a pas, d'un côté, la personnalité, de l'autre, les projets. En réalité, les deux facteurs sont difficilement dissociables. La crédibilité présidentielle sur ces vingt thèmes sera soutenue par l'image personnelle et le tempérament des deux candidats, qui contribuent finalement aussi à masquer les zones les plus fragiles de leurs compétences supposées.