En plein débat sur les 35 heures, le climat social se tend

La dernière enquête Ipsos de l'Observatoire du Monde du Travail révèle le décalage entre un meilleur climat économique et professionnel et un état de tension sociale accrue. Un fait important à l'heure des discussions sur la réduction du temps de travail, qui s'affirme comme une aspiration croissante des salariés.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
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Tout juste deux ans après sa création, l’Observatoire du Monde du Travail, qu’Ipsos propose aux grandes entreprise françaises pour cerner les principales tendances des attitudes salariés en France, présente, notamment à travers sa partie barométrique, un étrange bilan, riche d’incertitudes pour l’avenir. Au moment de sa création à l’automne 1996, l’instrument décrit le lourd passif de la crise sociale de l’hiver 1995 : le moral est dégradé, les préoccupations salariales et pour l’emploi dominent, le mécontentement et le potentiel de revendication sont au plus haut, la direction des entreprises est le plus souvent perçue comme porte-parole de mauvaises nouvelles.

La situation de l’automne 1998 présente un curieux paradoxe. La confiance personnelle des salariés, le bilan désormais nettement meilleur de leur état d’esprit professionnel, leur foi dans leurs capacités personnelles à progresser dans l’entreprise et une conjoncture porteuse d’espoirs laisseraient augurer, logiquement, d’une nouvelle période d’apaisement social. Il n’en est cependant rien. Le niveau de critiques à l ‘égard de la capacité des dirigeants à expliquer les mutations nécessaires à leur entreprise reste élevé et le climat social paraît potentiellement plus trouble qu’il y a deux ans. La proportion de salariés qui décrivent un climat social plus tendu dans leur entreprise atteint ainsi un niveau record, notamment au sein du secteur public. Le pronostic de conflit social apparaît également à son plus haut niveau, notamment parmi les employés, les ouvriers et les professions intermédiaires.

Enfin, dernier élément d’inquiétude, 55% des salariés déclarent avoir envie de participer à un mouvement de grève s’il se développait au sein de leur entreprise. Ils étaient 49% en octobre 1996 ! Le record de mobilisation potentielle est atteint parmi les ouvriers et les salariés du secteur public. Plus encore qu’en octobre, l’enquête Ipsos montre le décalage de perception des salariés entre la description des tendances macro-économiques et leur propre situation sociale. Une conjoncture décrite comme étant meilleure, la création d’emplois à nouveau à l’ordre du jour mais une vision peu engageante des évolutions salariales et relatives au temps de travail. C’est ce contraste qui fonde en partie l’incompréhension et qui conduit probablement à la progression de la tension sociale aujourd’hui.

Dans ce climat alourdi, pour la première fois, la préoccupation " temps " apparaît, auprès de l’ensemble de la population salariée, au même niveau que celle du maintien de l’emploi. Depuis octobre 1996, le thème du temps consacré au travail ne cesse de gagner du terrain. Il est désormais considéré comme la première préoccupation de deux classes d’âge : les 30-34 ans et les 40-49 ans, il est nettement dominant chez les cadres supérieurs (60%) et parmi les salariés du secteur public où il enregistre un niveau record. Cette sensibilisation croissante suscite nombre d’interrogations. Plus d’un salarié sur deux se dit mal informé de l’état des négociations dans l’entreprise et des conséquences de la mise en place des 35 heures sur leur situation personnelle. Bien que la situation s’améliore par rapport à la précédente enquête de la fin 1997, une grande majorité des salariés n’a pas eu l’occasion d’entendre la direction de leur entreprise s’exprimer sur cette question.

Interrogés sur les contreparties liées aux 35 heures, environ sept salariés sur dix seraient prêt à accepter, afin d’obtenir la formule de réduction du temps de travail qui leur convient le mieux, une annualisation ou une variation hebdomadaire du temps de travail. En revanche, leurs réticences sont fortes en ce qui concerne une augmentation du contingent des heures supplémentaires ou une réduction des salaires.

Les salariés ont toujours le sentiment que la loi sur les 35 heures profitera plus à l’entreprise qu’à eux-mêmes, tout en reconnaissant son impact sur la vie personnelle. Leurs craintes portent sur la question des salaires et sur la charge de travail. Toutefois, entre 1997 et 1998, les inquiétudes se sont atténuées en ce qui concerne l’organisation du travail et la rémunération. Au delà de ces évolutions, l’opinion salariée apparaît plus que jamais en situation d’attente sur cette question décisive de la réduction de la durée du travail.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs

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