En politique, «le centre, c'est un élastique qui peut s'étirer ou se rétracter»

A 3 mois des éléctions européennes, Brice Teinturier décrypte le vote centriste pour le Figaro. Quel est le poids de l'électorat centriste sur la scène politique française ?

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  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
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Propos recueillis par Marion Mourgue pour Le Figaro

Aujourd’hui les centristes semblent plus divisés que jamais. Quel est leur poids dans l’électorat ? Sont-ils clairement identifiés par l’opinion publique ?

Il faut distinguer la sensibilité centriste en France, qui existe à un niveau relativement élevé, et le vote en faveur d’une formation ou d’un candidat se réclamant explicitement du centre, lequel est beaucoup plus faible. Sur une échelle gauche-droite, 21% des Français se situent sur la case centrale. Si vous y ajoutez ceux qui se positionnent au centre gauche et au centre droit, 12% et 11%, le total atteint 44%. Cela semble colossal mais il faut en réalité dégonfler ce résultat. En effet, beaucoup de Français qui s’intéressent peu ou pas du tout à la politique ont tendance à se situer au centre. Il faut donc distinguer les authentiques centristes de ceux qui, moins diplômés, moins intéressés par la politique, souvent davantage issus des catégories populaires, sont à la périphérie du système. Et en ce cas, les centristes pèsent plutôt autour de 13% de l’électorat ou, en y agrégeant les centre-gauche et les centre-droit, 30% au maximum. Encore faut-il que cette sensibilité rencontre ensuite une offre politique. Et là les choses se compliquent. La dernière fois que cela a été clairement le cas, c’est avec François Bayrou qui, explicitement, voulaient s’affranchir du clivage gauche-droite et imposer le centre comme force politique autonome. Il avait obtenu 18,6% des suffrages en 2007 et 9,13% en 2012. Plus en amont, Lecanuet en 1965 et Poher en 1969 avaient 15,6% et 23,3% des suffrages. Mais aucun n’a pour autant emporté l’élection présidentielle et aujourd’hui, pour les européennes, la liste qui se rapproche le plus du centre, l’UDI, se situe à 2% ou 3%. Le centre, c’est donc un élastique qui peut s’étirer ou se rétracter considérablement suivant les circonstances et le jeu des autres forces politiques. Et il a tendance à s’agréger et à être digéré par les autres partis. En ce sens, c’est plus un tempérament, une sensibilité qu’une force ou un mouvement structuré.

Le centre, c’est donc un élastique qui peut s’étirer ou se rétracter considérablement suivant les circonstances et le jeu des autres forces politiques.

Le Modem, l’UDI, Les Centristes, l’Alliance centriste, les radicaux, Agir : cette diversité reflète-t-elle une appétence de l’électorat pour le centre ou au contraire la fin d’une force politique ?

Cela reflète d’abord l’incapacité de ces formations à s’unir et à se structurer pour imposer quelque chose de fort et de durable en dehors du clivage gauche-droite ! La sensibilité centriste existe, encore faut-il l’aimanter autour d’un leader et d’un projet identifiés. Cela est encore plus nécessaire quand à côté du clivage historique gauche-droite, qui est loin d’avoir disparu, d’autres clivages apparaissent et sont très structurants : peuple-élite ou confiant-défiant par exemple. Le centre a alors de plus en plus de peine à exister en tant que tel même s’il n’est pas aidé par les institutions de la Vème république et par un scrutin majoritaire à deux tours.

La sensibilité centriste existe, encore faut-il l’aimanter autour d’un leader et d’un projet identifiés

Emmanuel Macron a-t-il aspiré l’électorat centriste ?

Oui mais en partie. Un gros tiers des électeurs qui se situent au centre et veulent voter aux européennes le font en faveur de la liste LREM. C’est donc bien le Président et son parti qui captent le plus ces centristes. Mais ils n’en captent qu’un tiers ! En réalité, Macron n’est pas un centriste. D’abord, il est de plus en plus positionné au centre droit et à droite par les Français. Sur une échelle de 1 à 10, il est maintenant à 6,5 contre 5 pendant la campagne présidentielle. Ensuite, il ne s’est jamais présenté comme un « centriste ». Enfin, sa politique n’est pas associée à une sensibilité sociale suffisante pour incarner le centre.

L’électorat centriste est-il en mesure de peser sur les élections européennes ?

Il pèse parce qu’il existe. Mais il est digéré au sein des autres forces politiques, à commencer par LREM et quand il se présente en tant que tel, il est aujourd’hui réduit à une position de figurant.

Le Modem fera liste commune avec LREM, l’UDI fera sa liste et les Centristes réfléchissent à une alliance avec LR. Comment peut-on expliquer des choix aussi contraires ?

Par l‘histoire, car ces courants n’ont pas tout à fait les mêmes points de vue sur le libéralisme ou les questions d’identité et pas les mêmes origines. En raison des ambitions personnelles. Mais surtout et pour aller vite, faute d’un leader fort capable de fédérer ce qui reste à ce jour une mosaïque.

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  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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