En temps de crise, le virtuel n’a pas la cote
Crise économique, taux de chômage en hausse, confiance en l’avenir en berne : la morosité ambiante incite-t-elle les Français à se réfugier dans le virtuel ? Loin de là, c’est le principe de réalité qui s’impose. Si la crise dope Internet, c’est bien plus pour ses aspects pratiques que pour fuir le réel, constate Lise Brunet, Directeur d'études au Département Tendances et Insights d’Ipsos Marketing, en s’appuyant sur Trend Observer et les 4500™, l’Observatoire par étapes de vie des Consommateurs Français.
Des univers virtuels qui peinent à décoller
En deux ans, l’utilisation quotidienne d’Internet des 15-50 ans a progressé de 7 points, portant à 77% la part de cette population se connectant tous les jours. Au-delà de ce constat d’usage, la moitié des internautes déclare ressentir un vrai besoin de se connecter à Internet au moins une fois par jour. Pour s’évader, rêver, se déconnecter de la réalité ? Pas vraiment ! Force est de constater que les univers virtuels, annoncés il y a quelques années comme un tournant dans les pratiques internautes, restent toujours cantonnés à une très petite frange de passionnés. Moins d’1% des internautes y sont inscrits et les jeunes ne sont pas plus séduits que les autres : seulement 2% des internautes lycéens sont inscrits sur 2nd life.
Aujourd’hui, il existe plutôt toute une génération de jeunes gens pour qui la Toile est un lieu de vie sociale comme un autre : environ un tiers des lycéens, étudiants ou célibataires actifs, y tissent de nouvelles relations amicales. Internet, par sa dimension conviviale, se rend donc de plus en plus indispensable pour les générations dites « digitales » mais pas seulement. Le besoin de connexion est aussi relativement important chez les internautes seniors, pour des raisons différentes cependant, qui sont plus d’ordre pratique.
Internet boosté par ses aspects pratiques
Internet est d’abord un outil massivement employé pour répondre à des besoins pratiques. C’est sur ces aspects-là que l’on observe la plus forte progression au cours des dernières années. Calculer un itinéraire, connaître la météo, consulter son compte bancaire sont des activités qui concernent aujourd’hui plus des deux tiers des internautes. Une dimension pratique qui s’étend de plus en plus aux transactions en ligne : 34% des internautes effectuent désormais des achats sur le net au moins une fois par mois. Les internautes jeunes parents, par exemple, ne cachent pas leur engouement pour les ventes privées en ligne : un tiers d’entre eux y participent au moins une fois par mois. Un succès du « net pratique » dû aux exigences renforcées des consommateurs en termes de gain de temps et de simplicité. Pourtant, si Internet est d’abord vu par une majorité d’utilisateurs comme un outil qui simplifie la vie, reste qu’une importante minorité connait des difficultés à s’adapter aux changements technologiques qui accompagnent le développement d’Internet.
Un monde à deux vitesses
La rapidité des bouleversements relatifs aux fonctionnalités et donc aux usages est telle qu’une certaine frange de la population se sent un peu dépassée. Une fracture numérique existe bel et bien au sein de la population internaute, due à un manque de culture de la Toile et elle touche surtout les moins jeunes. Ceci étant dit, il existe des passerelles générationnelles à prendre en compte puisqu’elles favorisent l’appropriation et la pratique des nouveaux médias chez les seniors. On a tendance à insister sur les réseaux amicaux entre jeunes mais le net est aussi un lieu de communication intergénérationnelle. En adoptant une approche par étapes de vie, on s’aperçoit que les enfants qui ont quitté la cellule familiale développent des échanges numériques avec leurs parents, en partageant des photos par exemple. Mais ces pratiques ne sont pas encore bien installées et elles se heurtent à une certaine méfiance vis-à-vis des sites de stockage et de partage en ligne.
Vers de nouveaux comportements : la gestion de l’identité numérique
Internet est un outil qui cherche encore à être apprivoisé. Beaucoup tâtonnent encore dans leur pratique d’Internet. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’à côté du besoin d’Internet avéré, on trouve, ce qui peut sembler paradoxal, une sorte de fatigue technologique, lié au sentiment assez général d’être submergé d’informations. Le reflexe « moteur de recherche » est très bien installé puisque 89% des internautes y ont recours au moins une fois par semaine. Reste que beaucoup ne savent pas comment faire face à la quantité d’informations récoltées. Traiter l’information disponible sur la toile est une chose ; traiter, manipuler, gérer ses propres informations en est une autre. Internet s’impose peu à peu comme le lieu de nouvelles formes de sociabilités et de nouveaux langages : émoticônes, images, photos, playlists, vidéos prennent une part croissante dans les échanges et renouvellent les modes de discussion. L’enjeu de demain pour les internautes sera de développer la maitrise des informations qu’ils sèment sur la Toile. En témoigne d’ores et déjà la multiplication des entreprises qui proposent des services de gestion d’identité numérique : gestion des traces numériques, de réputation et « personal branding ».