Enquête sur les « Fractures françaises » : Une France un peu moins crispée

Brice Teinturier, Directeur Général Délégué d’Ipsos France, revient sur les récents résultats de l'enquête « Fractures françaises » réalisée par Ipsos / Sopra Steria pour Le Monde, La Fondation Jean Jaurès et Sciences Po. Une 3ème édition de cette étude annuelle qui multiplie les coups de projecteur pour restituer une vision aussi fidèle et synthétique que possible du visage de la France en 2015. Résumé en 5 enseignements clés.

"DES TENDANCES LOURDES QUI SONT TOUJOURS LÀ : Pessimisme, défiance et fermeture, demande de protection, individualisme..."

Quels que soient les indicateurs considérés, la 3ème édition des Fractures françaises dessine toujours le paysage d’une société française empreinte de défiance à l’égard des autres et de pessimisme quant à l'avenir. Que vise en effet à comprendre ce dispositif d’étude ? Globalement, la relation qu’entretient la société française avec l’altérité. L’altérité, ce peut être ce qui nous englobe et nous dépasse – L’Europe, la mondialisation – mais aussi, l’autre, celui qu’on rencontre et qu’on ne connaît pas, ou encore les étrangers, ou encore, ceux qui pratiquent une religion différente, etc. De ce point de vue, les tendances majeures au repli et à la défiance sont confirmées : le sentiment d’une France qui décline reste massif (79%) ; la France est toujours perçue par 60% des Français comme devant se protéger davantage que s’ouvrir. 79% de nos concitoyens estiment qu’on « est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres » contre 21% seulement qui pensent qu’on « peut faire confiance à la plupart des gens ». 67% qu’il y a trop d’étrangers en France, 56% que les immigrés ne font pas assez d’effort pour s’intégrer et 61% « qu’on ne sent plus chez soi comme avant ».

"… MAIS LE CLIMAT SE DÉGÈLE LÉGÈREMENT, MALGRÉ TOUT."

Toutefois, et c'est suffisamment rare pour être souligné, le climat se modifie légèrement et tend à se colorer de manière un peu plus positive, notamment sur les indicateurs économiques. Par exemple, les indicateurs de confiance à l’égard de la mondialisation remontent de 5 points. Ceux qui concernent les grandes entreprises de 7 points, l’Union Européenne de 4 points. Le souhait de rester dans la zone euro progresse de 8 points, les partisans d’un retour au franc n’étant plus « que » 25%. Ou encore, 53% des Français (+ 3 points) se disent maintenant que pour relancer la croissance, il faut limiter au maximum le rôle de l’Etat dans l’économie française et donner aux entreprises le plus de liberté possible. Tout se passe donc comme si les Français anticipaient une légère embellie et exprimaient une demande de protection un petit peu moins marquée.

"EN REVANCHE, LA SPHÈRE DU POLITIQUES EST TOUJOURS AUSSI MARQUÉE NÉGATIVEMENT ET LA DEMANDE D’AUTORITÉ PUISSANTE…"

Cette amélioration a toutefois des limites. C'est ce que montrent en particulier les indicateurs politiques. Dès que l'on est sur l'image du système et de la classe politiques, la défiance des Français atteint des sommets inégalés. 76 % d'entre eux (soit 4 points de plus par rapport à 2013) sont d'accord avec l'affirmation : « Le système démocratique fonctionne plutôt mal en France, j’ai l’impression que mes idées ne sont pas bien représentées. » Les hommes politiques restent majoritairement perçus comme se préoccupant de leur intérêt personnel (86 % soit + 4 points/2013) plutôt que de l’intérêt général et comme étant corrompus (66 % soit + 4 points/2013). La demande d'ordre et d'autorité, déjà puissante auparavant, demeure très élevée et le rétablissement de la peine de mort devient pour la première fois majoritaire (52 %, + 7 points en un an). Enfin, 26% des Français (+2 points) considèrent maintenant que « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie », niveau qui monte à 41% chez les sympathisants du FN, 35% chez les ouvriers et 31% chez les moins de 35 ans. Il y a là deux enseignement majeurs à retenir : d’abord, que nous sommes dans quelque chose qui va au-delà d’une simple crise de la représentation et des comportements politiques et que c’est l’idéal démocratique lui-même qui commence à être ébranlé, au moins dans une partie importante de la population ; ensuite, qu’une amélioration de la situation économique ne signifie absolument pas une baisse de la demande d’ordre et de leadership fort, les deux dynamiques étant décorrélées.  

"…TOUT COMME LA CRISPATION IDENTITAIRE"

On note également une grande stabilité des indicateurs relatifs au sentiment de ne plus se sentir chez soi en France, à la perception des étrangers et à la façon dont ils s’intègreraient mal ainsi qu’à la religion musulmane, avec toutefois une différence importante : quand on interroge les Français sur la compatibilité de la religion musulmane avec les valeurs de la société française, l’idée d’une absence de conflictualité est en progression continue depuis 3 ans et s’établit aujourd’hui à 46% (contre 37% en 2014 et 26% en 2013). En revanche, la méfiance à l’égard de l’Islam s’accentue, 41% (+ 8 points depuis janvier 2015) estimant que « même s’il ne s’agit pas de son message principal, l’Islam porte malgré tout en lui des germes de violence et d’intolérance ».

"DES SYMPATHISANTS FN DE PLUS EN PLUS DÉFIANTS ET SINGULIERS."
Enfin, il faut noter la divergence de plus  en plus  marquée des sympathisants du Front National avec le reste de la société française. Alors, on l’a dit, qu’il y a une petite décrispation sur les indicateurs globaux d'ouverture, de déclin ou de confiance à l'égard des entreprises, ce n'est absolument pas le cas des sympathisants du Front National. Au contraire, ceux-ci sont de plus en plus inquiets et défiants. Par exemple, sur l'indicateur de pessimisme, ils sont 56%, soit 20 points de plus qu'en 2014, à nous dire que la France est en déclin irréversible, contre 22% dans le reste de la population. En niveau comme en évolution, ils sont donc dans une vision qui n’est pas simplement différente mais totalement divergente. Même si le focus réalisé dans  Fractures 3 sur le FN montre que l’entreprise de désextrémisation de ce parti par Marine Le Pen est loin d’être achevée, 61% le considérant comme xénophobe et 60% (+ 9 points) comme dangereux pour la démocratie, il n’en reste pas moins que l’électorat FN se consolide et s’homogénéise.  

RETROUVEZ L'ÉTUDE FRACTURES FRANÇAISES

Auteur(s)

  • Brice Teinturier, Directeur Général Délégué France, Ipsos
    Brice Teinturier
    Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
  • Vincent Dusseaux
    Directeur d'études, Ipsos Loyalty

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