Europe : l'union des valeurs est possible

Les résultats de l’enquête réalisée par Ipsos pour L’Européen dans les cinq grands pays de l’union montrent que les valeurs de justice, travail, liberté sont plébiscitées.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Il faudrait sans doute bien plus qu’une question d’enquête d’opinion pour définir et s’accorder sur la nouvelle devise de l’Europe du XXIème siècle. Et pourtant, les résultats de l’enquête exclusive réalisée par Ipsos pour L’Européen dans les cinq grands pays de l’union permettent d’établir déjà une grille de lecture sur l’un des aspects les plus virtuels du processus de construction européenne: les valeurs auxquelles croient les citoyens du continent, les codes sociaux ou les " mots publics " auxquels ils sont les plus sensibles. En apparence, tout cela peut paraître très éloigné des sujets majeurs qui préoccupent les dirigeants politiques européens aujourd’hui lorsqu’ils s’interrogent sur l’attitude de leurs électeurs : adhésion ou rejet à l’égard de l’Euro, soutien à l’élargissement de l’UE, acceptation des remises en cause de souveraineté etc.. Sur tous ces sujets qui divisent fréquemment les opinions publiques de ces principaux pays, la lecture nationale et comparative des sondages réalisés en Europe l’emportent sur une vision homogène de l’opinion publique européenne. Sur le terrain des valeurs, Allemands, Britanniques, Espagnols, Français et Italiens semblent, une fois n’est pas coutume, pouvoir se rejoindre sur quelques références communes   qu’ils citent très fréquemment comme étant des valeurs primordiales : Justice, Travail, Liberté.

Dans les cinq pays étudiés, au moins deux de ces mots sont classés parmi les trois premières valeurs qui comptent aux yeux des personnes interrogées. Au premier rang d’entre elles, la justice, qui enregistre des soutiens plus nets en Italie et en Espagne (respectivement 52% et 52%), demeure la première valeur citée par les Allemands, les Britanniques et les Français, et suscite plus d’attachement parmi les générations les plus anciennes et les Européens proches des partis de droite modérée.

Dans une Europe frappée depuis longtemps par le chômage, il n’est pas surprenant que près d’un Européen sur deux désigne le travail comme une valeur essentielle. C’est de loin chez nos voisins espagnols, les plus touchés par la pénurie de l’emploi, que les chiffres sont les plus élevés. Le résultat fait figure ici d’indicateur socio-économique. Partout en Europe, et notamment en France, le travail apparaît comme la première valeur en milieu ouvrier, et plus généralement, exception faite de l’Italie, celle des Européens disposant de revenus modestes. La liberté apparaît comme la troisième référence essentielle aux yeux des Européens. Elle enregistre ses meilleurs scores en Italie, notamment parmi les jeunes, et plus généralement, dans tous les pays, parmi les cadres supérieurs.

Au delà de ces dénominateurs communs, l’examen attentif des chiffres montrent des niveaux de sensibilité très variables selon les pays et surtout selon les générations ou la position sociale. Au consensus relatif observé d’un pays à l’autre sur le triptyque " Justice, Travail, Liberté " s’opposent d’abord de profondes différences nationales chez les plus jeunes des Européens. Au sein de ces générations, les Français sont les seuls à privilégier conjointement deux valeurs de gauche : Solidarité et Egalité. Leurs voisins espagnols sont probablement ceux qui témoignent le plus d’une sensibilité équivalente, à travers une hiérarchie qui met en avant Egalité et Liberté. En Italie et en Allemagne, les jeunes citent en priorité Liberté et Justice. Rien à voir avec les références partagées par la génération des 18-25 ans outre-Manche : elle est la seule à placer le Travail en tête, suivie de la liberté et surtout de l’argent. Sans surprise c’est bien la Grande-Bretagne qui s’oppose le plus, toutes générations confondues, au reste de l’Europe. 44% des Britanniques citent l’argent comme une valeur prioritaire : c’est deux fois plus qu’outre-Rhin, trois fois mieux qu’en France, en encore supérieure par rapport aux chiffres italiens. Au delà du rapport particulier qu’entretiennent la culture anglo-saxonnes et protestante avec l’argent, la singularité britannique est aussi le signe d’une modèle économique en pleine effervescence, mais également marqué par l’héritage thatchérisme. L’argent est surtout " populaire " dans les milieux modestes, parmi les ouvriers et l’électorat des " Tories ". Les différences de sensibilité constatées entre les électeurs français et britanniques sur ce registre sont très utiles pour comprendre ce qui peut opposer idéologiquement Tony Blair et Lionel Jospin. C’est aussi en Grande Bretagne que certaines valeurs considérées comme les plus conservatrices obtiennent des chiffres supérieurs à la moyenne européenne, 14% pour la Tradition, 10% pour le patriotisme. Mais c’est en France et en Allemagne que l’ordre est plus souvent cité, notamment par les électeurs " des droites ".

L’enquête Ipsos révèle en fait l’importance qu’occupent ces mots dans le débat public national de chacun de ces grands pays. A ce titre, il est frappant d’observer le contraste qui oppose la Grande Bretagne aux pays de culture latine en ce qui concerne la Solidarité : dernière valeur citée, pratiquement inexistante chez les sujets de sa Gracieuse Majesté, considérée comme une valeur importante par plus 40% des Français, des Espagnols et des Italiens. En France, la solidarité, comme l’égalité s’impose plus qu’ailleurs parmi les plus défavorisés mais également parmi les électeurs de gauche, alors que partout ailleurs, dans cet électorat, c’est le travail qui domine la hiérarchie. Quatrième valeur européenne, la Tolérance s’impose d’abord en Allemagne. Elle est très fréquemment citée par les générations les plus anciennes mais aussi par les élites sociales, preuve que ce palmarès européen s’appuie aussi sur les traces laissées par la mémoire collective, plus encore chez nos voisins germaniques que dans d’autres pays.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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