Européennes 2024 | Le vote Glucksmann : une dynamique encore incertaine

10,5% d’intentions de vote en novembre 2023, à plus de 9 points de la liste Hayer, non encore désignée à cette époque. 11,5% en mars 2024, à 6,5 points. 14% en avril, à 3 points de cette dernière. L’un monte, l’autre baisse, Raphaël Glucksmann peut-il finir en seconde position ? Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos en France, décrypte le rapport de force à la lumière de la dernière enquête électorale menée auprès de plus de 10000 Français pour le Cevipof, le Monde, la Fondation Jean Jaurès et l'Institut Montaigne.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
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Analyse de Brice Teinturier pour le Monde, publiée le 29 avril 2024


Ce n’est pas tout : en novembre 2023, la liste PS/Place publique dépasse celle d’EELV d’un point seulement et de 3 points celle de la France Insoumise. Autant dire que l’avantage est faible. Aujourd’hui, elle fait le double de ses rivaux.  

Un sondage n’est pas un résultat électoral et il peut encore se passer bien des choses d’ici le 9 juin, a fortiori dans une élection comme les européennes, particulièrement propice aux humeurs et aux rebondissements dans les tous derniers jours. Mais a minima, dans une campagne apparemment atone, l’électorat est en mouvement. Que se passe-t-il exactement ?

 

Glucksmann prospère sur la faiblesse de ses concurrents

Car ce n’est pas la gauche dans son ensemble qui progresse, bien au contraire : 32,5% d’intentions de vote en novembre 2023, 32% aujourd’hui. Pire encore, le bloc de gauche stagne alors que des électeurs qui ont voté pour Emmanuel Macron à la présidentielle de 2022 ou pour Nathalie Loiseau aux Européennes de 2019 s’en détournent au profit de la liste Glucksmann, ce qui aurait dû le faire monter. C’est donc bien que d’autres phénomènes d’évaporation et de transferts sont à l’œuvre et que si la liste conduite par Raphaël Glucksmann progresse, c’est d’abord parce que la France Insoumise et les écologistes vont mal et que cette liste compense en partie leurs faiblesses par l’apport d’électeurs venus d’ailleurs.  

Pour la France Insoumise, les choses sont claires et assez bien documentées :  Jean-Luc Mélenchon écrase par sa présence Manon Aubry et sa stratégie, tout entière dédiée à la prochaine présidentielle et à sa personne – « faire des européennes le 1er tour de la présidentielle » – ouvre un espace à Raphaël Glucksmann. D’abord parce que le pays est moins en colère qu’avant. Il est toujours massivement mécontent mais la part de ceux qui se disent « en colère » baisse (36% contre 45%, -11) tandis que ceux qui se disent simplement « mécontent » montent (55% contre 51%, +4). Même chez les sympathisants de la France Insoumise, la colère baisse de 9 points (55% contre 64%). Mélenchon est donc tout simplement à contretemps dans sa stratégie de radicalisation. De plus, ses prises de position sur Gaza, le Hamas et dans une moindre mesure l’Ukraine font qu’aujourd’hui, 30% de ses électeurs de 2022 déclarent qu’il est improbable qu’ils votent un jour pour la France Insoumise, 68% des électeurs de Roussel, 72% de ceux de Jadot et 73% de ceux d’Hidalgo. En sens inverse, il n’y a que 31% des électeurs de Mélenchon qui excluent de voter un jour PS… et même 35% qui disent que c’est probable. Même son offensive dans les universités semble peu productive chez les plus jeunes : 17% d’intentions de vote en novembre et en mars chez les 18-24 ans, 14% aujourd’hui. Cette stratégie est donc en train de créer un blocage à gauche chez les électeurs qui avaient voté pour un autre candidat de gauche en 2022 mais aussi, chez une partie de ceux qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon.

Quant aux écologistes, ils peinent à se faire entendre sur un thème qui existe toujours mais est devenu un peu moins prégnant qu’en 2019 en raison notamment de la place prise dans les préoccupations par le pouvoir d’achat, d’une absence de leadership ou d’incarnation forte, d’une retombée de leur dynamique depuis les municipales et d’un échec important à l’occasion de la présidentielle.  

Ces difficultés font que Raphaël Glucksmann aspire 27% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon de 2022 parmi ceux qui sont certains d’aller voter aux européennes de 2024 et 27% de ceux de Jadot. Compte tenu des scores de ces deux candidats à la présidentielle, 22% dans un cas, 4,6% dans l’autre, l’apport se fait surtout au détriment de la France Insoumise, qui revient quasiment à son étiage de 2019 - 6,3% à l’époque.  

Glucksmann profite à plein des difficultés d’Emmanuel Macron

La tête de liste PS-Place publique récupère 17% de ses électeurs à la présidentielle. C’est moins que les 27% pris à Mélenchon ou Jadot mais c’est un apport très substantiel compte tenu de la base de départ, puisque 28% avaient voté pour l’actuel Président il y a 2 ans. Ces difficultés tiennent à la situation nationale, et plus spécifiquement, à quatre thèmes : la réforme des retraites, les prises de position sur l’immigration, le recul sur la transition écologique et, plus récemment, la réforme de l’assurance chômage. Une droitisation qui fait que ces électeurs de centre gauche, anciennement hollandais, ne se retrouvent plus vraiment dans le macronisme actuel, a fortiori dans un scrutin où la stature présidentielle ne joue pas.

Au-delà des difficultés des concurrents et des adversaires, Raphaël Glucksmann fait tout simplement une bonne campagne

Il parle d’Europe, ce que demande son électorat tout comme celui de Valérie Hayer et de Marie Toussaint. Ce faisant, il dispute ce thème à Emmanuel Macron et prive la majorité présidentielle du quasi-monopole qu’elle avait en 2019, celui d’incarner le vote pro-européen face au RN. Il met l’accent sur la transition écologique là où Macron et le Gouvernement sont en retrait depuis plusieurs mois. Il est sur une ligne claire s’agissant de l’Ukraine mais aussi de Gaza, dénonçant le caractère terroriste du Hamas tout en étant extrêmement critique sur Israël, ce qui convient à cet électorat. Il est relativement bien identifié là où Marie Tousaint et Valérie Hayer le sont peu. Enfin, il est la bonne personne à la bonne place : les Français ne le perçoivent pas comme un candidat voulant se positionner sur la présidentielle mais comme un candidat authentiquement européen et qui fait campagne sur ce thème.

Raphaël Glucksmann peut-il dépasser la liste conduite par Valérie Hayer ?

Sur le papier, oui. Si l’on calcule le point haut et le point bas de chacune des listes en présence en prenant comme hypothèse que la moitié des électeurs qui disent ne pas être sûr de leur choix basculent en faveur du second choix de vote qu’ils indiquent, le point bas de la liste Hayer est de 14,5% d’intentions de vote tandis que le point haut de la liste Glucksmann se situe à 16,5%. Ce croisement est-il probable ? Non ou pas encore. D’abord, parce que cette hypothèse d’un basculement de la moitié des hésitants n’est qu’une hypothèse : elle peut intervenir à plus ou à moins de la moitié des hésitants, voire pratiquement pas. Ensuite, parce qu’il faut la maximiser en prenant le point haut de l’un et le point bas de l’autre. Il existe aussi une réelle possibilité qu’une partie de l’électorat de la majorité, actuellement sous mobilisé, se remobilise en fin de campagne. Enfin, la progression de Raphaël Glucksmann renvoie, on l’a dit, à des flux importants au sein de l’espace des gauches. C’est ce qui explique que 55% de ses électeurs se disent sûr de leur choix, contre 71% s’agissant de ceux de la liste Hayer. Il suffit par conséquent que certains repartent vers EELV, la FI ou la majorité présidentielle pour que Glucksmann se tasse et que l’écart avec Hayer augmente. 

En un mot, une dynamique, peut-être, mais encore incertaine et avec un écart trop faible pour que l’on puisse raisonnablement extrapoler sur un croisement des courbes.

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A propos de ce sondage

Enquête Ipsos pour le Cevipof, Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et l'Institut Montaigne menée du 19 au 24 avril 2024 auprès de 10 651 personnes, constituant un échantillon national représentatif de la population française, inscrite sur les listes électorales, âgée de 18 ans et plus.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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