Gay friendly ou Anti-homo? La France aux deux visages

L'enquête Ipsos-TETU révèle que si l'homosexualité est de mieux en mieux acceptée dans l'opinion publique française, certaines zones d'ombres persistent. Suite aux polémiques relatives au mariage homosexuel célébré à Bègles en juin dernier, les positions sur les questions de droits sont devenues plus clivées.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Certes, près des deux tiers des personnes interrogées (65%) estiment que les homosexuels doivent avoir les mêmes droits que les hétérosexuels. Mais ces résultats sont en retrait par rapport à ceux enregistrés en février dernier : 75% des Français étaient alors d'accord avec cette idée. Aujourd'hui, près d'un tiers d'entre eux (30%) considèrent que les homosexuels ne doivent pas avoir les mêmes droits que les hétérosexuels au lieu de 20% seulement en février. Qu'est-ce qui explique une telle évolution en l'espace de quelques mois seulement ? En fait, il s'agit très certainement de ce que l'on pourrait appeler " l'effet Bègles ". La célébration en juin dernier d'un mariage homosexuel par le maire de Bègles, Noël Mamère, a réellement lancé le débat en France (lorsque les précédents résultats ont été mesurés, en février dernier, on n'en était alors qu'aux prémisses). Aujourd'hui, on est au cœur de ce débat : la question du mariage des homosexuels se pose concrètement, à tel point qu'elle est allée jusqu'à jouer un rôle dans la campagne électorale américaine. C'est donc sans doute cette cristallisation du débat autour de la question du mariage homosexuel qui a entraîné un durcissement des prises de position sur la question des droits des homosexuels. On note que 79% des personnes de moins de 35 ans estiment que les homosexuels doivent avoir les mêmes droits que les hétérosexuels contre 58% seulement des personnes de plus de 35 ans. Les femmes sont également plus tolérantes (70% contre 60% des hommes), de même que les sympathisants de la gauche (76% contre 58% des sympathisants de la droite).

Si " le mariage de Bègles " et sa médiatisation ont entraîné un recul sur la question des droits des homosexuels, ils n'ont pas eu de conséquence sur les autres éléments de perception des homosexuels au sein de la société. En effet, les autres résultats de cette enquête sont très stables par rapport à ceux enregistrés en février et témoignent toujours d'une ambiguïté des perceptions et de l'opinion d'une partie des Français. Ainsi, 41% des personnes interrogées estiment que les homosexuels devraient éviter de montrer qu'ils le sont dans les lieux publics, en s'embrassant dans la rue par exemple. 31% des sondés pensent toujours que les homosexuels ont une sexualité anormale et 22% que les homosexuels ne sont pas vraiment des gens comme les autres. Sur tous ces items, on observe que certaines catégories de la population, toujours les mêmes, se montrent plus ouvertes : les jeunes, les femmes, les personnes les plus diplômées et les sympathisants de la gauche. A l'inverse, ce sont les personnes les plus âgées ainsi que les non-diplômés qui expriment les opinions les plus hostiles à l'égard des homosexuels. Ainsi, par exemple, 44% des personnes sans diplôme pensent que les homosexuels ont une sexualité anormale contre 22% seulement des personnes ayant un niveau d'études égal ou supérieur à Bac+3.

Autre élément, beaucoup plus grave, qui témoigne de l'ambiguïté persistante des opinions à l'égard de l'homosexualité en France : comme en février 2004, 7% des Français estiment que les violences contre les homosexuels sont parfois compréhensibles. Ce chiffre confirme l'existence d'une hostilité extrême à l'égard des homosexuels au sein d'une partie de la population. Elle est légèrement plus marquée chez les hommes (8% contre 5% des femmes) ainsi que chez les personnes non diplômées (12% contre 2% seulement des personnes ayant un niveau d'études égal ou supérieur à Bac+3). Soulignons toutefois qu'une très large majorité de la population (91%) s'indigne devant une telle affirmation : plus des trois-quarts des Français (77%) ne sont " pas du tout d'accord " avec l'idée selon laquelle les violences contre les homosexuels sont parfois compréhensibles et 14% " plutôt pas d'accord ".


Interrogés sur la place croissante de l'homosexualité et des homosexuels dans les médias, ce dont témoigne le lancement récent de la chaîne Pink TV, les Français confirment par leurs réponses que l'homosexualité n'est pas encore totalement acceptée en France. Si une majorité d'entre eux (61%) juge que cette évolution dans les médias est une bonne chose et que cela reflète mieux la diversité de notre société, 36% des personnes interrogées ne sont pas d'accord avec cette idée. Par ailleurs, un tiers des Français (33%) estime que cette évolution est regrettable et que les homosexuels sont trop présents dans les médias. Notons cependant que 64% des Français ne sont pas d'accord avec cette affirmation. Une fois encore, ce sont les femmes, les jeunes, les sympathisants de la gauche et les catégories socioprofessionnelles dites supérieures (en terme de niveau de revenu et de niveau d'études) qui se montrent les plus tolérants. Enfin, toujours à propos de la visibilité croissante de l'homosexualité et des homosexuels dans les médias, 48% des Français pensent que cela prouve que les homosexuels sont soutenus par un lobby puissant.

Que pensent les Français de l'existence d'un tel lobby ? Pour une majorité des personnes interrogées dans notre enquête (56%), il existe en France un lobby homosexuel, c'est-à-dire un groupe de pression défendant les intérêts des homosexuels. 29% pensent qu'il n'en existe pas tandis que 15% ne se prononcent pas. Il est difficile, sur ce simple résultat, de voir ce qui se cache derrière cette affirmation. En effet, si les sympathisants de la droite sont plus nombreux a penser qu'il existe un lobby homosexuel (63%), c'est également le cas des jeunes (60% des 15-29 ans) et des catégories socioprofessionnelles dites supérieures (67% des cadres supérieurs et des hauts revenus et 62% des personnes les plus diplômées), soit de catégories relativement " gay friendly ". On observe par ailleurs que les résultats sur cette question ne varient pas vraiment en fonction de la perception de l'homosexualité. Mais l'existence d'un lobby homosexuel est-elle perçue positivement ou négativement ? En réalité, une majorité des personnes pensant qu'il existe un lobby homosexuel (53%) estime que c'est une bonne chose car cela permet de faire avancer les droits des homosexuels. Cette idée rassemble davantage les femmes (59%), les jeunes (71% des moins de 35 ans) et les sympathisants de la gauche (62%). A l'inverse, 39% des personnes pensant qu'il existe un lobby homosexuel pensent que c'est une mauvaise chose car cela donne une mauvaise image des homosexuels.

Les résultats de cette enquête reflètent donc la persistance de certaines barrières au sein de l'opinion française concernant l'homosexualité et révèlent des sentiments et des comportements ambigus, flirtant parfois avec une homophobie franche et ostensible. Les Français eux-mêmes sont conscients de cette ambiguïté. A tel point qu'une majorité des personnes interrogées (57%) estime que, d'une manière générale, les Français sont plutôt homophobes. Un quart seulement des sondés (25%) pense au contraire que les Français sont plutôt gay friendly. Le sentiment que les Français sont homophobes apparaît plus répandu chez les jeunes (69% des 20-24 ans et 60% des 15-19 ans), les personnes les plus diplômées et chez les femmes, c'est-à-dire au sein des catégories les moins homophobes justement. Mais on peut se dire que cette prise de conscience est déjà un premier pas vers une évolution des mentalités.

Un autre chiffre témoigne de cette prise de conscience des Français : une personne sur deux (50%) a aujourd'hui le sentiment qu'il y a une augmentation en France des actes et des attitudes homophobes (+3 points par rapport au résultat enregistré lors de l'enquête de février). Une fois encore, on observe que les femmes et les plus jeunes sont les plus sensibles au problème de l'homophobie. Toutefois, 44% des personnes interrogées jugent qu'il n'y a pas d'augmentation des actes et attitudes homophobes, et ce malgré la multiplication récente des affaires judiciaires sur le sujet (outre le procès des meurtriers de François Chenu, on peut citer également le procès de Pierre-Yves Grall, Gardien de la paix, comparaissant en octobre pour avoir outragé par " écrits homophobes " un collègue). Par ailleurs, si 58% des Français déclarent avoir entendu parler des agressions homophobes violentes qui ont eu lieu en France au cours des derniers mois, 41% n'en ont pas entendu parler. Ce chiffre reste très élevé. Mais d'autres résultats réclament une attention particulière : il s'agit de l'interprétation que font les Français de ces agressions homophobes. 25% des personnes interrogées pensent que cela relève d'un problème plus général d'insécurité en France (on peut se demander si cette interprétation, plus répandue chez les hommes que chez les femmes, est sincère ou hypocrite). 43% des Français estiment que ces agressions montrent que l'homophobie est encore importante en France. Cette idée est plus prononcée au sein des catégories les plus " gay friendly " : les femmes (48% contre 38% des hommes seulement), les plus jeunes (59% des moins de 35 ans et, plus précisément, 68% des 20-24 ans), les personnes les plus diplômées (59%) et les sympathisants de la gauche (50%). Enfin, et c'est le plus grave, 28% des personnes interrogées pensent que ces agressions homophobes sont le résultat d'une visibilité trop grande des homosexuels qui devraient être plus discrets. Ce chiffre s'élève à 63% chez les personnes âgées de 70 ans et plus, à 44% chez les 60-69 ans et 50% chez les personnes non diplômées. Ces résultats montrent qu'il reste vraiment du chemin à parcourir en France en matière de droit à la différence.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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