Gouverner à l'ère du numérique : la démocratie est-elle soluble dans le digital ?

En question : l’adaptation des règles de la démocratie dans un monde digitalisé. Les notions de représentativité, de légi­timité sont de plus en plus bousculées, à l’heure où, par exemple, les réseaux so­ciaux permettent à chacun de se mobiliser autour de ses revendications propres. Ce premier débat, animé par Brice Teinturier réunissait Anne Hidalgo, Maire de Paris, Gilles Finchelstein, Président de la fondation Jean Jaurès et Laure Belot, Journaliste et auteure de l’ouvrage « La déconnexion des élites.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
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« DANS UNE SOCIÉTÉ QUI AVANCE PLUS VITE QUE DES ÉLITES DÉPASSÉES, LES CITOYENS VEULENT ÊTRE ACTEURS LÀ OÙ ILS SONT. »

« Crise du résultat, de la représentation… » Brice Teinturier, Directeur Général Délégué France d’Ipsos, confirme les turbulences qui secouent de manière inquiétante notre démocratie. « Le haut ne représente plus le bas. À quoi servent désormais les élus ? », soulève notamment l'expert en pointant deux attitudes fortes « de contestation et d’indifférence » observées chez nos concitoyens. Pour autant, « la politique continue d’intéresser les Français ». Confirmation de Laure Belot qui, malgré le titre de son ouvrage « La déconnexion des élites » (1), note qu' « il n'existe pas de désintérêt pour la chose publique ». Ce qui change, c'est la nature de l'engagement. « Dans une société qui avance vite, bien plus vite que des élites dépassées, les citoyens veulent désormais se passer des intermédiaires et être acteurs là où ils sont ». L'observatrice conseille ainsi aux responsables politiques de « ne pas négliger les initiatives à la marge du système et de tenir compte des signaux faibles qui deviennent de plus en plus fort. Ceux émanant des jeunes notamment. »

BUDGET PARTICIPATIF DE LA VILLE DE PARIS : CLICS ET DECLIC DEMOCRATIQUE

Un sentiment partagé par Anne Hidalgo qui ne croit pas à une dépolitisation. La maire de Paris dit au contraire « croiser beaucoup de citoyens, jeunes et moins jeunes, affichant une réelle envie d’implication. Des personnes animées par le désir de bousculer les codes de la politique ». Internet est un vecteur majeur de ce changement. « Le fait de cliquer devient un acte politique au sens citoyen du terme », note Anne Hidalgo qui poursuit l'idée d’« élaborer des projets émanant de la population. » Illustration à travers la mise en œuvre par la Ville de Paris d'un « budget participatif » permettant aux Parisiens d'affecter 500 millions d'euros à des projets qu'ils ont eux-mêmes portés. Cette initiative collaborative assez unique par son ampleur dans le monde (5 000 projets émis), est vue comme « une formidable aventure démocratique » par la maire de Paris qui devine dans cette démarche collaborative une « occasion unique d'apprentissage de la chose publique ».

« LE ROLE DES HOMMES POLITIQUES NE SERA-T-IL PAS DEMAIN D'ACCOMPAGNER LA SOCIETE, AVEC DES ELUS QUI POURRAIENT DISPARAITRE ? »

Si elle est une bonne façon, comme le souligne Brice Teinturier, « de faire revenir dans le jeu politique des catégories délaissées et en particulier les jeunes, cette perspective de décision co-produite, facilitée par la démocratie numérique, ne pourrait-elle pas être amenée encore plus loin ? Si on la pousse jusqu'au bout, le rôle des hommes politiques ne sera-t-il pas demain d'accompagner la société, avec des élus qui pourraient disparaître au profit d'une société agile et d'une administration qu’elle mettrait en œuvre ? » « Je pense qu'il faut conjuguer la démocratie représentative et la démocratie participative, explique Anne Hidalgo. Surtout, insiste la maire de Paris, il faut rompre avec la vision verticale dans laquelle nous étouffons tous. L’avenir est à des formes plus collaboratives. Là où la décision est décentralisée, il y a de la place pour que chaque citoyen maîtrise un peu plus son destin et intervienne dans les processus démocratiques. Nous sommes à la croisée des chemins ».

OUI A L'E-DEMOCRATIE MAIS ATTENTION QUAND LA TECHNIQUE DU DIGITAL SE SUBSTITUE AU DEBAT...

Les défis ne manqueront pas, comme le rappelle Gilles Finchelstein, Directeur Général de la Fondation Jean-Jaurès, qui souligne toute « l'ambivalence du digital, à la fois solution et problème ». « L'anonymat du digital dégrade la qualité de l'échange, c'est particulièrement vrai sur les réseaux sociaux », souligne ainsi l'expert en précisant que le respect est la valeur la plus demandée par les Français - cf. le Baromètre Jean Jaurès/Ipsos sur les fractures françaises) (2). « Il se pose un problème quand le digital se substitue au débat. Attention à ce qu'il ne devienne pas un alibi même s'il est par ailleurs un réel espace d'engagement. » Pour lui, « la connexion entre la démocratie et le digital offre un double défi : le premier, consistant à démocratiser le digital en évitant que certains ne participent plus que d'autres à la vie publique selon qu'ils soient des experts ou des exclus du digital. Le second défi consistant à digitaliser la démocratie qui évolue par nature sur un rythme beaucoup plus lent. Nous devons aller vers une démocratie plus liquide, rapide et horizontale. » Tel n'est pas le cas à en croire la journaliste Laure Belot pour qui « en France tout coule du haut alors que là au contraire, c'est le bas qui est en train de pousser. Il faut que les gens se saisissent des questions à l'instar de ce qui se fait sur FixMyStreet (3) », un logiciel libre permettant aux internautes d'informer leurs autorités locales des problèmes dans leurs quartiers. « Il y a du bien commun créé par les gens grâce au digital. Et les autorités publiques peuvent devenir des animateurs de ces communautés », imagine la journaliste. « Le digital débouche quand on le prend au sérieux sur une transformation des organisations et pas seulement des usages, de l'expertise ou même du principe de décision. Très vite, c'est l'organisation de la société qui est touchée », conclut Brice Teinturier.

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  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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