Internet fascine et inquiète les européens

Ipsos Insight a réalisé une vaste enquête européenne sur l'image et l'usage d'Internet. Les notions d'infini et d'absence de contrôle suscitent curiosité et craintes.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Phénomène de société bouleversant les attitudes et les comportements des individus, Internet est néanmoins aujourd’hui un sujet sur lequel on dispose en Europe de très peu d’éléments pour apprécier la nature et les fondements des motivations et des freins à son égard.
Afin de répondre à des besoins internes à Ipsos, tant en matière de développement de sites sur Internet que d’intégration de l’outil dans les études qualitatives, Ipsos-Insight, the Worldwide Qualitative Research Company a réalisé une étude qualitative intitulée "Image et Usage d’Internet : Attitudes, motivations et attentes " dans 7 pays européens (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Hongrie).

Menée de juin à août 1999, cette étude exclusive a associé la méthode des réunions de groupe classiques, auxquelles ont été conviés des hommes et femmes âgés de 25 à 40 ans, utilisateurs et non utilisateurs d’Internet, à celle des réunions de groupe on-line, pour partie animées à l’échelle nationale, et pour partie à l’échelle transnationale.

Un dépassement des clivages culturels entre pays européens

Dans une étude de ce type, les clivages culturels entre la tendance " nordique " et la tendance " latine " sont accentués par des éléments objectifs tels que le taux d’équipement en informatique domestique, le taux de pénétration d’Internet, le mode de vie, l’utilisation majeure de la langue anglaise et de fait par les degrés d’utilisation et d’expertise.
Mais au delà de ces éléments factuels, l’étude révèle que face au phénomène Internet, l’implication de l’individu et son degré d’expertise, les valeurs communautaires auxquelles il réfère, définissent les contours d’une nouvelle culture qui transcende les effets de contexte (sauf sur quelques aspects particuliers, par exemple le e-commerce).
L’usage de plus en plus courant, la mise en place de systèmes mieux organisés, plus simples, plus conviviaux contribueront au lissage des contrastes culturels et à la démystification du phénomène.

Un maître-mot : l’absence de limites

De manière transversale, l’image et la "perception" d’Internet s’organisent de la même façon dans les pays étudiés. Autour des mots clés que sont : "infini", "absence de limites et de règles", s’articulent deux "dimensions" importantes :

la " nature de l’information ", son caractère éducationnel ou distractif, qui polarise les "perception"s :

  • dans le versant noble du phénomène : un espace éducationnel et de communication mais potentiellement dangereux du fait de la non authentification des contenus ;
  • dans un versant plus ludique : un espace de divertissement où le plaisir du " surfing " prime sur le contenu et peut exposer l’individu à des utilisations perverses ;

la " structure de l’information " :

  • son caractère organisé qui construit, à travers le marketing direct, l’e- commerce, l’image d’un accès et d’une utilisation où rien n’est laissé au hasard ;
  • son caractère dispersé où la difficulté de trouver les informations recherchées, la perte de temps, projette l’utilisateur dans un zapping insatisfaisant.

 

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Globalement, Internet apparaît comme une structure multidimensionnelle complexe, qui nécessite un certain degré d’initiation pour accéder à toutes les possibilités qu’elle promet. La non limitation de cet espace, son absence de règles impliquent un savoir faire individuel mais aussi une posture " morale " sur les dérives possibles de son usage, aussi bien dans les conduites addictives qu’il suscite, que dans l’ouverture à des utilisations perverses ou manipulatoires.

Dans ce contexte, certains aspects ou contenus d’Internet sont perçus de façon particulière.

Ainsi la publicité est perçue à la fois comme intrusive, ralentissant les accès et les téléchargements, et discrétionnaire, laissant à l’individu la possibilité ou non d’activer les messages et d’établir un rapport ludique renforcé par des mises en forme originales.

Une légitimité plus forte accordée à la fonction information

Parmi les 4 fonctions principales attribuées à Internet : communiquer, s’informer, se divertir, acheter ou vendre, la fonction informative est la plus largement consensuelle.
En effet, l’étude montre que la fonction communication est très largement sous-estimée, voire contestée par les non utilisateurs, qui associent à l’usage du média, solitude, isolement, froideur, en bref l’"anti communication".

Quant aux fonctions de divertissement et d’échange commercial, elles suscitent des craintes, aussi bien auprès des utilisateurs que des non utilisateurs. Ainsi, le divertissement évoque très rapidement des "dimensions" subversives, voire illicites, face auxquelles l’individu craint de céder à la tentation et de se corrompre.

L’e-commerce suscite, à l’exception du Royaume Uni, des résistances très fortes en Europe. Le manque de confiance lié à la sécurisation des transactions, l’inflation des sites, l’image de froideur associée à ce style d’achat, déstabilisent pour l’heure les utilisateurs et les non utilisateurs d’Internet. Ces résistances ne sont sans doute pas incontournables - même si elles constituent un noyau dur - à condition que des garanties techniques et éthiques atténuent progressivement la crainte d’utilisations abusives.

Des profils d’attitudes qui s’organisent en 4 catégories : les " Hédonistes ", les " Rationnels ", les " Suiveurs " et les " Réfractaires "

Un premier profil est constitué par ceux que ni la complexité, ni l’ambivalence du phénomène n’effraient. Bien au contraire, l’absence de limites est vécu comme grisant, ils ont pris goût au jeu, et plus rien ne les arrête. Nous les avons nommé les " Hédonistes ".
Les " Rationnels ", tendent à rester plus prudents. Face au danger de se laisser submerger par le phénomène, ils cherchent à garder le contrôle d’un outil avant tout utile et efficace sur un terrain qui n’échappe ni à la raison, ni aux règles de prudence basiques.
S’il semble a priori possible d’établir un contact fructueux via Internet avec ces deux types de cibles, elles ne sont, de toute évidence pas sensibles au même langage ni aux mêmes arguments !
Quant aux non utilisateurs, à ce jour, il y a d’une part les " Suiveurs " — ceux qui semblent prêts à franchir le pas demain, mais n’ont pas encore " osés ", sur lesquels s’exercent la fascination de la nouveauté et le poids du mythe largement entretenu du pouvoir illimité de l’usager, et d’autre part les " Réfractaires ".
Résolument " anti utilisateurs " ces derniers associent technologie à oppression et aliénation, soulignent la prédominance du modèle américain, dénoncent une nouvelle forme d’impérialisme. Il est fort à parier que malgré l’évolution rapide du phénomène, sa banalisation, et son omniprésence future dans la vie quotidienne, Internet continuera à se heurter à des îlots de résistance construits sur un discours de type idéologique. 

 

Un imaginaire puissant, où se projettent des craintes de chaos et dont l’enjeu est l’autonomie de l’individu.

Les scenarii du futur imaginés par les interviewés mettent en évidence un imaginaire puissant où se projettent les attentes et les craintes.

Dans ces scenarii, une seule issue apparaît positive : celle où l’individu conscient de l’irréversibilité du phénomène, à la recherche d’une juste façon d’en exploiter les possibilités, accepte de nouvelles règles qui organise le phénomène tout en préservant son autonomie et son libre arbitre.

Les autres scenarii, illustrent les conséquences d’une soumission de l’individu à un ordre totalitaire qui lui échappe ou, au contraire, définissent un univers chaotique et transgressif où tout est permis et plus rien n’est contrôlable.

On le voit, l’enjeu est l’autonomie de l’individu, sa capacité à maîtriser de nouvelles règles et à les influencer, même si la tentation de toute puissance et de permissivité reste un moteur fort de l’usage actuel.

En guise de conclusions provisoires :

Au delà des résistances dues aux différences culturelles et matérielles, Internet est perçu comme un processus irréversible. Il engage les différents intervenants (annonceurs, sites, portails...) dans des opérations de facilitation de l’accès et de l’usage et de sécurisation des échanges. Ces aménagements déjà initiés et pour certains largement développés ne sont pas suffisants. Ils doivent être accompagnés de la définition de règles " universelles " qui régissent l’organisation de l’accès et de la circulation et posent les fondements d’une nouvelle éthique.

 

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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