Italie : la stratégie de communication politique de Berlusconi

La télévision joue un rôle prédominant en Italie. Cela s’explique en partie par la faible pénétration de la presse: il se vend aujourd’hui moins de cinq millions de journaux par jour, soit 10 % de moins qu’il y a dix ans.

Or on le sait, dans le paysage audiovisuel européen, l’Italie fait figure d’exception : le Premier Ministre, Silvio Berlusconi, contrôle une grande partie du réseau télévisuel italien, hors satellite. Berlusconi détient à, titre personnel, trois chaînes de télévision privées, et le gouvernement, via le Ministère de l’Economie, possède les trois chaînes de télévision publiques.



Le contrôle des médias est un enjeu important lors de campagnes électorales et plus généralement, pour influer sur l’opinion ou sur l’agenda politique. Le contrôle quasi monopolistique de Berlusconi sur la télévision et son pouvoir politique donnent lieu à des critiques qui vont bien au-delà des allégations de simple conflit d’intérêt. Berlusconi est parfaitement conscient du pouvoir de la télévision et ce n’est pas un hasard s’il a contesté récemment la loi par condicio qui réglemente l’accès des hommes politiques aux médias lors de campagnes électorales.


La victoire en 2001 de la coalition de centre-droit emmenée par Berlusconi doit beaucoup à une communication maîtrisée sur des thèmes clés :


1. La fin des sacrifices

L’Italie a traversé une grave crise économique dans les années 1990 et la dette publique s’était fortement aggravée. Les mesures adoptées alors ont souvent été mal vécues, surtout en 1992. Les efforts pour intégrer l’Union Européenne et s’aligner sur les critères de Maastricht ont été conduits sous l’impulsion d’un gouvernement de centre-gauche, en l’occurrence Carlo Azeglio Ciampi, Giuliano Amato et Romano Prodi. Berlusconi a promis aux électeurs que cette période était révolue et que s’ouvraient désormais les années du développement, de la relance de la consommation et des réductions d’impôts.


2. L’anti-politique

La défiance envers les partis politiques est fermement enracinée en Italie : seuls 20 % des Italiens déclarent leur faire confiance. Berlusconi s’est toujours présenté comme l’anti-politicien par excellence, proposant son modèle de réussite entrepreneuriale d’autodidacte comme une alternative à une classe politique inefficace, bureaucratique et malhonnête.


3. L’anticommunisme

Depuis la chute du mur de Berlin, Berlusconi a opté pour une tactique fortement anticommuniste. Lors d’une récente campagne, il expliquait que les communistes représentent toujours une menace pour l’Italie et pour l’économie libérale (appelée par ailleurs en renfort pour conforter son emprise sur la télévision).

Grâce à cette stratégie de communication, Berlusconi a bâti une relation directe avec l’électorat, en s’adressant directement aux Italiens, sans filtre politique ou bureaucratique.

Berlusconi incarne cette approche politique. Même après avoir remporté les élections, le rôle institutionnel du Premier Ministre est toujours relégué au second plan, occulté par son charisme. Son attitude est à l’image de sa stratégie. Les exemples sont nombreux : son geste obscène sur la photographie officielle d’un sommet international (il tend son index et son petit doigt) ; l’utilisation de ses résidences privées pour les réunions officielles (même en pleine crise Fiat, il a rencontré les dirigeants de l’entreprise en dehors des bâtiments officiels) ; ses tenues décontractées (la veste en velours qu’il portait lors de sa réunion avec Bush, ou le bandana qu’il arborait en août lors de sa rencontre avec Tony Blair dans sa villa de Sardaigne).

Tout ceci contribue à véhiculer une image très différente de celle des hommes politiques traditionnels : Berlusconi est un homme d’affaires qui a réussi et qui se présente à tous les Italiens comme un modèle à suivre. Ce comportement lui permet, de façon souvent très efficace, de détourner l’attention des médias, afin d’atténuer les critiques et de masquer les failles.

Pourtant, au fil des années, cette stratégie de communication a perdu de son efficacité. Les Italiens sont persuadés qu’on leur ment sur la réalité de l’inflation des prix ce qui influe sur leur état d’esprit. À mesure que la perspective d’un déclin du pays gagne du terrain, les Italiens exigent des solutions politiques. Ils ne croient plus aux promesses d’une croissance mirifique. Ceci pèse sur la perception des électeurs, bien plus que n’importe quel conflit d’intérêt, ou éventuelle menace pour la démocratie.




C’est ainsi que depuis l’automne 2002, l’image de Berlusconi décline à mesure que les Italiens prennent conscience de la gravité de la situation économique et de l’inflation grandissante.

De plus, les querelles au sein de la coalition de centre-droit et l’impuissance de du Premier Ministre à régler les conflits internes ternit l’image de Berlusconi.

Dans ce contexte, les élections européennes marque un échec pour Forza Italia, et donc pour Berlusconi, étant donné la forte identi- fication du parti à son dirigeant. Le parti a en effet perdu huit points par rapport aux élections générales de 2001, soit près de quatre millions de voix. Surtout, Forza Italia a reculé au sein de son électorat. Ceux qui ont voté pour Forza Italia en 2004 étaient essentiellement des personnes âgées, des individus faiblement diplômés, et des femmes au foyer. On est loin du cœur de cible identifié par le Premier ministre lors des élections de 2001, avec la maîtrise qu’on lui connaît des techniques marketing et de segmentation. Cette cible comprenait les actifs diplômés de l’enseignement secondaire, des femmes au foyer, des retraités, des travailleurs indépendants et des dirigeants de PME.

Et pourtant, Berlusconi persiste à personnaliser sa communication. Ce qui pourrait, à première vue apparaître comme une grave erreur. La stratégie la plus évidente consisterait en effet à recomposer le parti pour renforcer l’image de la coalition, inciter à une plus grande solidarité face à la crise et relancer les relations institutionnelles.




Le défi que se lance Berlusconi semble au contraire de regagner les votes en ne comptant que sur lui-même.Or l’histoire électorale de l’Italie le démontre, les sondages sont difficilement perméables. Les électeurs italiens changent rarement de coalition : il évoluent au sein d’une même coalition ou s’abstiennent. Pour autant, ce défi n’est pas encore totalement perdu.


Nando Pagnoncelli est Président d’Ipsos Public Affairs en Italie. Avec près de quinze années d’expérience au service des études politiques, il a occupé des fonctions de direction générale, notamment au sein du groupe Sofrès en Italie. Nando Pagnoncelli est le vice-président de l’Assirm (Institut italien des études de marché). Il est membre du conseil scientifique de plusieurs grandes institutions. Il a publié plusieurs essais politiques et enseigne à l’Università Cattolica de Milan.

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