Jean-Marie Le Pen ne fait plus l’unanimité dans son électorat

La violente crise interne qui secoue actuellement le Front national ne reste pas sans conséquences dans l’opinion. La popularité de Jean-Marie Le Pen en souffre et les sympathisants du FN eux-mêmes sont troublés par l’affrontement de leurs deux principaux leaders.

Auteur(s)
  • Stéphane Zumsteeg Directeur du Département Opinion et Recherche Sociale, Public Affairs
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Depuis les élections régionales du mois de mars et le rôle joué par l’extrême-droite dans l’élection de quatre présidents de région jusqu’à la récente lutte interne entre Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret pour la tête de liste aux élections européennes, rarement le Front National aura focalisé autant l’attention des observateurs de la vie politique. En outre, avec l’émergence de Bruno Mégret, l’univers frontiste n’est plus, comme autrefois, celui d’un parti représenté par un seul homme, omnipotent et omniscient.

Pour un parti politique comme le Front National, situé à l’extrême sur l’échiquier politique, les indicateurs politiques les plus pertinents sont ses performances électorales bien plus que les cotes de popularité des sondages d’opinion. Néanmoins, l’évolution des résultats du Baromètre de l’action politique Ipsos / Le Point depuis deux ans, permet de tirer un certain nombre d’enseignements quant à la structuration de l’image du Front National et de son président.

L’image de Jean-Marie Le Pen se dégrade nettement depuis les élections législatives de 1997

L’image de Jean-Marie Le Pen auprès de l’ensemble des Français frappe par son évolution négative depuis plus d’un an. En 1996 et jusqu’aux élections législatives de 1997, 20 % environ des Français approuvaient son action. Depuis quelques mois, jamais Jean-Marie Le Pen n’avait rencontré un tel niveau de désapprobation. Dorénavant, entre 13 et 15 % de Français seulement portent un jugement positif sur son action. Toutes les catégories de Français lui accordent aujourd’hui moins de 15 % d’opinions favorables quel que soit leur sexe, leur âge ou leur catégorie sociale. Seuls les ouvriers le créditent d’un score un peu plus important mais c’est justement auprès de cette catégorie que la dégradation est la plus spectaculaire. Si de 30 à 40 % des ouvriers approuvaient son action en 1996 et au premier trimestre 1997, Jean-Marie Le Pen voit son assise sociale se dégrader fortement, les ouvriers n’étant plus que de 18 à 25 % à le juger positivement ces six derniers mois.

L’examen des résultats d’ensemble démontre également que pour le grand public, l’image du Front National et celle de Jean-Marie Le Pen restent étroitement associées. La popularité du parti et de son leader présentent de très fortes similitudes et s’effritent parallèlement. Depuis le début de l’année, la différence entre les opinions, qu’elles soient favorables ou défavorables, à l’égard de l’action du Front National et de Jean-Marie Le Pen n’excède jamais 1 %.

Il n’en est pas de même de l’image de Bruno Mégret, présent seulement depuis le mois d’avril dernier dans le baromètre. Le niveau de ses soutiens est comparable à ceux du parti et de Jean-Marie Le Pen (2 ou 3 points de plus en moyenne) mais sa popularité reste stable. Cependant, si le pourcentage de Français hostiles à son action est nettement moins important (un peu moins de 70 % en moyenne) que pour Jean-Marie Le Pen, c’est parce qu’il souffre encore d’une moindre visibilité dans l'opinion.

Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret voient leur popularité auprès de leur propre électorat s’éroder

Après ces fortes baisses enregistrées par rapport à 1996 et 1997, la stabilité d’ensemble des cotes de popularité du parti et de ses deux principaux responsables depuis quelques mois n’est cependant qu’apparente. En effet, l’évolution des réponses des sympathisants frontistes laisse apparaître de forts mouvements, notamment depuis qu’a éclaté de façon ouverte la querelle pour le choix de la tête de liste aux élections européennes. Jusque là, Jean-Marie Le Pen bénéficiait d’un soutien quasi-unanime de la part de sympathisants très légitimistes, les bonnes opinions oscillant autour de 90 %, parfois plus. En revanche, le délégué général bénéficiait d’une popularité nettement moins importante que celle de son président mais tout aussi stable que ce dernier (autour de 75 % d’opinions favorables, de 15 à 20 % d’opinions défavorables).

La forte exposition médiatique des dissensions entre les deux clans a entraîné, ces trois derniers mois, une érosion des opinions favorables des sympathisants frontistes à l’égard des deux rivaux. Jean-Marie Le Pen voit ainsi l’approbation à l’égard de son action baisser assez sensiblement, dégradation qui ne traduit pourtant pas une remise en cause de sa légitimité (95 % d’opinions favorables en août, entre 80 et 86 % depuis septembre). Logiquement, les opinions négatives progressent également (5% en août, de 15 à 19 % depuis).

Mais c’est Bruno Mégret qui, au sein de son propre électorat, fait le plus les frais de ce conflit. Déjà largement distancé par son président auprès de l’électorat FN, il enregistre lui aussi une forte baisse : les sympathisants frontistes ne sont plus aujourd’hui que 60 % (contre environ 75 % au printemps et durant l’été) à approuver son action, alors que près d’un quart la désapprouve. Tout semble donc indiquer que la " mégrétisation " des cadres du Front National n’a pas, pour l’instant, trouvé de traduction concrète auprès de l’électorat frontiste.

Même si la progression des jugements négatifs à l’encontre des deux personnalités s’explique par un électorat partiellement désorienté à la suite de cette querelle et le brouillage qui s’ensuit, l’image du parti auprès de ses propres sympathisants ne pâtit pas autant que celles de Jean-Marie Le Pen et de Bruno Mégret. La perception du parti, tout en s’érodant également mais dans une moindre mesure, tend de plus en plus à gagner en autonomie, à exister par elle-même auprès d’un électorat dont la loyauté et la fidélité à l’étiquette FN ne sont plus à démontrer.

L’électorat de droite demeure hostile aux leaders du Front National

Enfin, la politique du " cordon sanitaire " mis en place par les principaux responsables de la droite classique semble avoir porté ses fruits. En effet, l’opinion des sympathisants de l’UDF et du RPR à l’égard du Front National et de Jean-Marie Le Pen ne diverge pas de celle de l’ensemble des Français : la désapprobation massive et croissante de l’électorat de droite à leur égard est la même que celle de la population globale.

En dépit de son profil plus " policé ", Bruno Mégret ne parvient pas à susciter la bienveillance des sympathisants de droite : quand seulement 16 % des Français approuvent l’action de Bruno Mégret au mois de novembre, les sympathisants de droite ne sont que 20 % à le faire, les personnes proches du RPR manifestant toutefois un niveau d’approbation légèrement supérieur à celles proches de l’UDF.

Sans pour autant parler de prémisses d’un recul du Front National aux prochaines élections européennes, l’évolution de l’image de Jean-Marie Le Pen et la difficulté de Bruno Mégret à capter la sympathie de l’électorat UDF / RPR sont préoccupantes pour le parti. Les séquelles laissées par l’antagonisme pour le leadership interne auprès de ses propres sympathisants et la moindre mobilisation de l’électorat frontiste lors des dernières élections partielles en témoignent. En devenant peu à peu un parti comme les autres, le Front National génère lui aussi ses déçus et ne parvient plus à susciter la même loyauté et à mobiliser plus que les autres formations ses électeurs.

Auteur(s)
  • Stéphane Zumsteeg Directeur du Département Opinion et Recherche Sociale, Public Affairs

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