Jospin refait surface
Si l'image du Premier ministre s'est légèrement dégradée au cours des dernières semaines, son bilan et sa méthode ne sont pas remis en cause ; il reste même très largement soutenu dans son propre camp. L'enquête Ipsos / Le Point montre qu'en revanche, Jacques Chirac semble davantage contesté à droite.
Suite aux différents conflits sociaux qui ont jalonné cette rentrée 2000, Lionel Jospin enregistrait une forte baisse de popularité : moins 12 points d'opinions favorables selon le baromètre Ipsos / Le Point de septembre. L'étude détaillée de l'image du Premier ministre montre que la situation n'a rien d'alarmante. Si le chef du gouvernement est affaibli, ni le bilan ni la "méthode Jospin" ne sont fondamentalement remis en cause. Une large majorité des personnes interrogées jugent toujours "le bilan de Lionel Jospin depuis sa nomination en tant que Premier ministre" positif (62%). Surtout, son bilan est toujours très largement approuvé dans son propre camp (80%). Autre indicateur, 57% des Français, et 70% des proches de la gauche plurielle ne le jugent pas "usé". Certes, la crise relative aux prix des carburants n'est pas tout à fait effacée. Plus de six Français sur dix ont été, ces derniers mois, "déçu par le Premier ministre". Cette déception tient pourtant plus aux "actions et décisions qu'il a prises" (65%) qu'à "sa personnalité ou sa manière d'agir" (33%).
Incontestablement, le départ de Jean-Pierre Chevènement, et celui, annoncé, de Martine Aubry, œuvrent en défaveur de Lionel Jospin. Ces départs constituent "plutôt un handicap pour le Premier ministre", selon 58% des personnes interrogées. Ils sont toutefois compensés, au moins partiellement, par l'arrivée de Jack Lang (vue comme un atout par 62% des Français), le départ de Claude Allègre (atout pour 51% des Français) ou l'arrivée de Laurent Fabius (47% estiment que c'est un atout, mais 37% estiment plutôt que c'est un handicap). Interrogés en pleine affaire Méry, les Français sont un plus nuancés concernant le départ de Dominique Strauss Kahn : 45% jugent que c'est "plutôt un atout pour le Premier ministre", 40% "plutôt un handicap".
Globalement cependant, les changements survenus ces derniers mois dans la composition du gouvernement n'ont pas terni l'image du Premier ministre. Les Français estiment toujours qu'il donne "l'impression d'être entouré" (62%) plutôt que d'être "isolé" (30%). Même si son image se dégrade un peu par rapport au niveau, particulièrement élevé, relevé en décembre 1998, elle reste forte. Ainsi, la majorité des interviewés (57%, -7 points par rapport à décembre 98) considèrent encore qu'il est "plutôt à l'écoute des Français" (contre 35% qui le jugent "plutôt éloigné") ; 53% (-8) pensent qu'il est "plutôt déterminé" (contre 40% qui le jugent "plutôt hésitant"). La part des personnes qui estiment qu'il "respecte ses engagements de campagne" progresse même (47%, contre 44% en décembre 1998). Les Français sont en revanche plus sévères quand ils se replongent dans les conflits de rentrée : 47% estiment "qu'il ne sait pas gérer les périodes de crise", alors que 40% trouvent "qu'il a l'attitude qui convient". Une part encore plus large (52%) regrette "qu'il n'avance pas sur les réformes nécessaires", contre 37% d'avis contraires. Cette impatience renvoie certainement aux dossiers encore non abordés par le gouvernement, régime de retraites voire grande réforme fiscale par exemple.
Bien que légèrement affaibli, Lionel Jospin peut toujours s'appuyer sur un socle électoral remarquablement stable et solide pour aborder sereinement l'automne et les prochaines échéances électorales. Comparativement, Jacques Chirac apparaît plus sévèrement touché. Moins exposé à la "rentrée sociale", mais au cœur de "l'affaire Méry" le chef de la cohabitation a tout de même déçu au cours des derniers mois un Français sur deux, et 47% des sympathisants de droite.
Il perd 6 points par rapport à mai 2000 en intentions de vote présidentielle au premier tour (27%). Certes, Lionel Jospin en perd quatre (il passe de 32% en mai 2000 à 28% aujourd'hui), mais cette diminution est essentiellement due à l'arrivée comme candidat potentiel de Jean Pierre Chevènement (qui recueille 6% des d'intentions de vote exprimées pour un premier tour, hypothèse non testée en mai dernier). En revanche, la baisse du score de Jacques Chirac n'est pas imputable à une augmentation des candidats à droite, et profite parallèlement à François Bayrou (6%, +3) et à Charles Pasqua (10%, +3).
Le chef de l'Etat peut envier le leadership de Lionel Jospin à gauche. Du côté de la droite parlementaire en général, des sympathisants UDF en particulier, l'opportunité d'une candidature Chirac est de plus en plus remise en cause. La part des sympathisants de droite qui souhaitent que "Jacques Chirac se représente lors de la prochaine présidentielle de 2002" chute en effet de 16 points, (61%, contre 77% en mai dernier). A titre de comparaison, la candidature de Lionel Jospin est quant à elle soutenue par plus de huit sympathisants de la gauche plurielle sur dix (81%, contre 82% en mai dernier). La légitimité d'une candidature Chirac tient aujourd'hui plus à l'absence d'alternative qu'au consensus.
Si le Président de la République ne se représentait pas, la lutte serait sévère pour désigner le candidat de l'opposition. Aujourd'hui, 24% des sympathisants de la droite parlementaire choisiraient Philippe Séguin, 21% Charles Pasqua et 21% pencheraient plutôt pour François Bayrou. A gauche, la situation est nettement plus claire : en l'absence de Lionel Jospin, Martine Aubry serait toute désignée pour défendre les chances de la gauche plurielle (35% de citations chez les sympathisants de gauche, loin devant Fabius, 19% et Chevènement, 18%). Certes, si l'on prend en compte l'avis de tous les inscrits, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité est devancée par Jean-Pierre Chevènement (25%, contre 22%), mais c'est surtout grâce au capital sympathie de l'ex-ministre de l'intérieur chez les proches de la droite plus important que celui dont pourrait bénéficier Martine Aubry.
Jacques Chirac est aujourd'hui fragilisé. Moins soutenu par ses partisans, il perd aussi du terrain dans son face à face avec Jospin. A part sur le critère de la proximité, où le Président devance, comme d'habitude, le Premier ministre (+5 points, 39% jugent que "Chirac est plus proche des gens que Jospin", contre 34% qui estiment que c'est l'inverse), Jospin fait mieux que Chirac sur les domaines de la confiance, de la compétence et de la morale. Il "inspire le plus confiance" (38%, contre 31% qui désignent Jacques Chirac), il "comprend mieux les besoins de la société française" (40%, contre 26% pour le chef de l'Etat), et "représente le plus une certaine rigueur morale" (43%, contre 29% pour Jacques Chirac).
Dans la course à l'élection présidentielle de 2002, Lionel Jospin est à présent le mieux placé. Si l'élection avait lieu aujourd'hui, il devancerait Jacques Chirac de deux points (51%, contre 49%). Rappelons qu'en mai dernier, Chirac était en tête de 4 points (52%, contre 48% pour Jospin). Nul doute que le chef de l'Etat paie ici au prix fort sa mise en cause dans "l'affaire Méry". D'ailleurs, 62% des Français sont opposés à "une amnistie concernant les pratiques de financement des partis politiques durant la période où il n'y avait pas de loi dans ce domaine, c'est à dire avant 1990".
Comme pour le Premier ministre le mois dernier, on peut penser que la baisse de forme du Président est avant tout conjoncturelle. Le scrutin est encore trop loin pour tirer des conclusions définitives. Les Français sont d'ailleurs toujours très attachés à la cohabitation, et ne souhaitent pas d'élection anticipée (66% des personnes interrogées souhaitent que "la cohabitation aille jusqu'à son terme", contre 28% qui seraient favorables à "une élection anticipée"). A l'instar du sprint final pour la présidence des Etats-Unis, la course s'annonce relativement serrée.