La cote de Jospin en zone de turbulences
A deux ans du rendez-vous électoral législatif et présidentiel, la popularité de Lionel Jospin devient une des variables décisives du climat politique. La confiance exceptionnelle dont est aujourd'hui crédité le vainqueur des législatives de 1997 représente un formidable bouclier.Parce que toujours légitime dans l'opinion, il continue à complexer l'opposition et limite la capacité d'intervention présidentielle. Il apparaît moins fragile face à la critique médiatique et rend le plus souvent anecdotique aux yeux des Français les impatiences de sa majorité.
C'est dans ce contexte favorable qu'intervient, quelques jours après l'épisode de "la cagnotte", une baisse significative de la popularité du Premier Ministre, mesurée pour l'instant à partir de deux baromètres : l'enquête publiée par le Journal du dimanche (moins 4 points d'approbation selon l'IFOP, baisse équivalente pour Jacques Chirac) et le dernier baromètre Ipsos pour le Point (moins 7 points d'opinions favorables et de 3 points pour le président). A partir de l'examen attentif des principales tendances décrites par ce baromètre depuis juin 1997, il serait toutefois excessif de conclure à une dégradation décisive de l'image de Lionel Jospin.
En réalité, comme pour beaucoup de ses prédécesseurs, les débuts d'année sont difficiles. En janvier 1998, le mouvement des chômeurs avait mis en cause sa crédibilité en matière sociale. La cote Ipsos-Le Point connaissait alors trois mois consécutifs de dégradation, douze points de popularité perdus pour ce qui reste jusqu'à présent son plus mauvais score, 48 % d'opinions favorables ! Le climat social dans l'Education Nationale et les violences dans les villes expliquent pour une bonne part la baisse de dix points enregistrée il y tout juste un an. A chaque fois, Lionel Jospin est parvenu à rétablir la situation, grâce notamment à des interventions médiatiques réussies. Chaque fois, des événements exceptionnels liés à la conjoncture internationale ont contribué à limiter la durée des mécontentements intérieurs : la crise irakienne en 1998, la guerre au Kosovo le printemps dernier. Le climat électoral a par ailleurs joué en sa faveur. La campagne des régionales de 1998 et l'épisode des alliances entre la droite et le Front National ont permis de mieux rassembler les soutiens à gauche. Le scrutin européen, souvent dangereux pour les gouvernants, ne l'a pas pénalisé.
En apparence, le troisième hiver de Lionel Jospin n'est pas moins bon que les deux premiers. Avec 57% de jugements positifs, il retrouve ses niveaux de début mars 1999, bien supérieurs à ceux de 1998. Un électeur de droite sur deux continue à le juger favorablement.
Pourtant, en l'espace de douze mois, la cote du Premier Ministre s'est détériorée chez les femmes, les jeunes actifs, les personnes âgées et les Français issus de milieux populaires. Il concerne des catégories de population qui pourraient manifester une déception plus rapide à l'égard d'un Jospin s'éloignant de leurs préoccupations, à l'image de la représentation qu'ils ont du pouvoir politique. Bien sûr cette tendance renvoie à une mécanique politique. Jacques Chirac est lui aussi victime de cette érosion et les niveaux respectifs des deux hommes restent encore très proches. Plus s'éloignent les épisodes internationaux porteurs de consensus, plus on s'approche des rendez-vous électoraux, plus les images des deux protagonistes de la cohabitation seront associées à celle de candidats. Lionel Jospin a plus à y perdre qu'à y gagner : les gains de popularité liés à la mobilisation électorale prévisible des siens ne compenseront pas la dégradation logique de sa cote à droite, toujours très élevée. Il perd ainsi logiquement 15 points de jugements favorables auprès des sympathisants RPR-UDF.
Au-delà de cet effet de structure, l'infléchissement de la cote du Premier ministre intervient quelques jours après la communication hasardeuse du gouvernement sur le thème du surplus de recettes fiscales. La séquence est révélatrice de la nature de la relation entretenue par les Français avec Lionel Jospin. En terme d'opinion, le débat sur la "cagnotte" a momentanément mis en cause deux éléments majeurs du capital d'image du Premier Ministre: l'efficacité et la confiance. Une impression de cafouillage est venue parasiter son image de professionnalisme. Le sentiment de vouloir cacher la réalité rompt avec les qualités de transparence et d'honnêteté que les Français lui reconnaissent depuis deux ans.
Si cette situation apparaît nouvelle, c'est également parce que le contexte économique a changé. Avec un moral économique en nette amélioration, les Français, convaincus à tort ou à raison que l'Etat dispose de nouvelles marges de manœuvre financières, se montreront toujours plus sévères lorsque le pouvoir donnera l'impression de ne pas savoir indiquer clairement ses orientations en matière économique et sociale. La communication "financière" du Premier ministre constituera donc dans les mois à venir l'une des clés de l'évolution de son image. Après le départ de Dominique Strauss-Kahn, celui de Martine Aubry annoncé pour l'après-municipales de 2001, et alors qu'aujourd'hui seule Elizabeth Guigou conserve le bénéfice du soutien largement majoritaire des Français, le Lionel Jospin devra, plus que jamais, ne compter que sur lui pour préserver sa popularité et se montrer capable de "savoir parler d'argent aux Français".
L'épisode de la cagnotte a confirmé une règle : le Premier ministre est moins soutenu par les Français lorsqu'il apparaît absent des crises. Il restaure ses niveaux exceptionnels de popularité lorsqu'il s'investit personnellement dans les débats. Ce face-à-face obligé avec l'opinion va progressivement changer de nature au moment où, pour mieux se convaincre de son authenticité, les Français chercheront à distinguer la parole du gouvernant de celle du candidat.