La crise ? Je me soigne.

Les Français, dans leur grande majorité, se sentent personnellement touchés par la crise. Conséquence : les comportements évoluent. Les individus, autant comme consommateurs que comme salariés, déploient des stratégies d’adaptation pour faire face à ce durcissement sans renoncer aux nouveaux standards de vie. Quelles sont ces stratégies ? A qui profitent-elles ? Quelles tendances durables annoncent-elles ? Réponse de Dominique Lévy-Saragossi, Directeur Général, Ipsos Marketing.

Une croissance à l‘arrêt. Un chômage qui s’envole. Une consommation qui montre des signes de faiblesse (- 0,5% en 2011, du jamais vu depuis longtemps) [1]. 6 Français sur 10 jugent « la crise grave ». Pour eux, « elle aura des conséquences directes sur leur situation personnelle » [2]. Seuls 7% pensent que la génération à venir vivra mieux. [3] Le moral des ménages est plombé (l’indicateur Insee flirte avec la barre des 80, record historique depuis l’apparition de la mesure). Leur porte-monnaie n’est pas mieux.

Erosion du pouvoir d’achat

80% des Français, tous CSP confondus, estiment ainsi que leur pouvoir d‘achat s‘est dégradé au cours des 12 derniers mois [4]. Le poids des dépenses pré-engagées (loyer, chauffage, etc.) a en effet doublé en 50 ans (15,7% à 33,1% d‘après l‘Insee), réduisant leur marge de manœuvre. Leur pouvoir d’achat arbitrable (revenu à la disposition des ménages pour consommer moins les dépenses pré-engagées) a lui aussi souffert. L’évolution des standards de vie (53% de possesseurs de micro-ordinateur portable, etc. [5]) et l’apparition constante de nouveautés incitant à la consommation, n’ont fait que renforcer cette impression (justifiée) de baisse du pouvoir d’achat. En 2012, ce sont ainsi les dépenses de base (logement, énergie) qui posent problème pour les Français. 78% d’entre eux (91% des Franciliens) estiment qu’il est aujourd’hui difficile de se loger [6].

Comportements dadaptation

Face à cet environnement devenu plus dur pour les classes moyennes, les consommateurs français déploient des stratégies d’ajustement. C’est le renforcement des problématiques personnelles : succès du low-cost (18% sont prêts à acheter une voiture low-cost, vs 5% en 2006 [7]), quête de bonnes affaires (68% des consommateurs sont des « chasseurs » réguliers de promotions [8]), se soigner soi-même, être son propre employeur… C’est aussi l‘émergence de remèdes anti-crise : recherche de plaisir, rapprochement de la famille et multiplication des systèmes d‘entraide (Garage Solidaire, L’Accorderie, Zilok…). On observe en parallèle un certain retour à la rationalité : succès des marques reconnues qui rassurent les consommateurs et du consommer local, prudence et bonne gestion... Le taux de détention de crédit a ainsi baissé (49,4% des ménages détenait au moins un crédit en 2011, un des niveaux les plus bas depuis plusieurs décennie [9]). Les salariés ont également de plus en plus de mal à se projeter. S’ils restent dans leur entreprise, c’est plus par fatalité que par fidélité [10]. On constate également un recul des « nouveaux modèles » comme ceux de la décroissance ou de l‘écologie, au profit de sujets plus immédiats et proches des préoccupations personnelles des Français. Parmi les principaux sujets qui les préoccupent [11], on note ainsi que l‘environnement (10%) ou l‘avenir de l‘énergie nucléaire (4%) arrivent loin derrière le pouvoir d‘achat (56%) et les retraites (36%). Pour autant, les consommateurs n’ont pas abdiqué leur plaisir (ventes de confiseries, de jouets, de cosmétiques en hausse, records de fréquentation des salles de cinéma…). Ils sont prêts à se sacrifier pour y accéder. 33% se disent ainsi prêt à se serrer la ceinture pendant plusieurs semaines pour pouvoir s‘acheter des produits chers qui font vraiment plaisir [12]. Le premium et le luxe qui associent plaisir et statut, connaissent ainsi un essor sans précédent [13].

Tendances et enjeux d’avenir

Si l’impact de la crise sur les finances des ménages est réel, l’évolution des conditions de vie pèse également dans le sentiment des Français de ne plus pouvoir joindre les deux bouts. Hi-fi, téléphonie, nouvelles technologies, voyages : ce qui relevait jusqu’ici du confort et de l’exception, s’est mué en norme. Continuer à évoluer dans ces standards de vie est devenu un enjeu social, cristallisant pour les ménages un standing atteint. Y renoncer est vécu, au contraire, comme un signe de paupérisation. Par ailleurs, la contraction du revenu brut disponible a transformé durablement la consommation. Pour les individus sensibilisés aux prix, et ce quelle que soit leur CSP, elle est devenue quelque chose de conscient. Plus encore, la consommation est désormais l’enjeu d’une « chasse », impliquant prudence, calcul, réflexion et arbitrage entre plaisir et capacité financière.

Si cette crise a modifié durablement les habitudes des individus, rappelons toutefois que la plupart des tendances désignées comme conséquences ou réponses à la crise (quête de promotions, essor du low-cost et du premium, triomphe des marques installées et des valeurs refuges, etc.) existaient déjà avant 2008. Plus qu’une rupture brutale, la crise a accéléré les changements profonds qui sourdaient depuis la première moitié des années 2000.

1 Insee

2 Baromètre Ipsos d’intentions de vote pour l’élection présidentielle, vague 5, oct. 2011

3 Observatoire des 4500, vague 2010

4 Ipsos LSA, déc. 2011

5 Observatoire des internautes, Ipsos MediaCT 2011

6 Enjeux du logement, enquête Ipsos Nexity, sept. 2011

7 Obs. Cetelem Automobile 2010

8 Ipsos LSA, déc. 2011

9 Observatoire des crédits aux ménages

10 Baromètre Ipsos du moral des salariés, fév. 2011

11 Présidoscopie, Ipsos, fév. 2012

12 Ipsos LSA, avril 2011

13 Ipsos Wolrd Luxury Tracking, vague 2011

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