La crise un an après : rupture ou continuité des discours publicitaires ?
Les consommateurs sont désormais partie prenante de la vie des marques. Crise et Internet aidant, ils influent de plus en plus directement sur leur communication. Marie-Odile Duflo, Directeur Général d’Ipsos ASI et Isabelle Milgrom, Directeur du Département Qualitatif d’Ipsos ASI, décrivent et analysent cette nouvelle réalité en passe de dynamiser, voire de révolutionner, le discours des marques.
La crise a-t-elle changé la relation entre les marques et les consommateurs ?
Marie-Odile Duflo : La crise est en train de modifier en profondeur le lien entre la marque et le consommateur. Ce dernier se situe désormais au cœur de la relation (on peut parler de "consumer centricity"), ce qui amène ou doit pousser les marques à trouver une autre façon de communiquer. On peut même dire qu’une relation inédite d’acteur-marque à acteur-conso est en train de voir le jour, ouvrant la voie à un discours radicalement nouveau, plus foisonnant et forcément plus complexe à appréhender.
Dans quelle direction nous pousse cette nouvelle communication ?
Isabelle Milgrom : Elle nous entraîne vers une refondation du modèle. En réalité, les crises financière et économique n’ont fait que précipiter le changement. L’enjeu est désormais autant l’innovation produit que la relation entre consommateur et marque et l’environnement de cette relation.
MOD : Le discours a davantage tendance à s’axer sur la marque et sur ce qu’elle peut apporter au consommateur. La notion de service prend alors le pas sur le produit. Dans cette nouvelle approche, le sujet n’est plus tant le but que le chemin. L’enjeu devient la relation.
Être à l’écoute du consommateur, ce n’est pourtant pas si nouveau…
IM : C’est vrai. C’est même l’essence du marketing. La différence, c’est que le modèle préexistant a littéralement explosé en très peu de temps. Chez Starbucks, par exemple, on n’hésite plus à entretenir un dialogue permanent entre les consommateurs et la marque qui propose désormais d’imaginer le Starbucks de demain (http://mystarbucksidea.force.com/). On est dans la co-création. Un phénomène qui s’appuie sur l’amplification considérable des moyens, à commencer par l’explosion d’Internet et du User Generated Content. Rendez-vous compte : en début d’année, aux Etats-Unis, la marque de chips Doritos a laissé aux internautes le soin de concevoir le spot publicitaire diffusé lors du Super Bowl. Ils ont reçu plus d’un millier de vidéos (http://www.crashthesuperbowl.com/) !
MOD : C’est aussi l’esprit de la démarche participative Nespresso initiée en 2008. La marque est aujourd’hui en train de tisser une relation très forte avec sa communauté d’amateurs. Du coup, elle peut envisager de faire intervenir son Club sur différents aspects. L’intéressant, c’est que les consommateurs sont vraiment partie prenante de la vie de la marque. On peut aussi citer Nike avec son fameux site Nike+. Grâce à un système de capteur, les membres de la communauté sont pluggés partout dans le monde, pouvant ainsi comparer en direct leurs performances, se mesurer les uns aux autres, etc… (http://nikerunning.nike.com/nikeos/p/nikeplus/fr_FR/plus/#//dashboard/). On entre alors dans un principe de groupe qui va se fédérer et communiquer au travers d'une passion et au bénéfice de sa relation à la marque. Les membres de Nike+ appartiennent à une communauté, la font vivre en l’alimentant en permanence. On est bien dans la relation « one to one » fédérée par une communauté, par une vision, par une marque… C’est très fort et extrêmement puissant.
La crise, au lieu d’être un inhibiteur de solutions et de talents, pousserait donc les marques à innover ?
MOD : L’hyper choix a généré de la saturation. Il s’agit là d’innover autrement que par la nouveauté produit. Cela passe en particulier au travers d’un renouvellement de discours. La chose importante, c’est le déplacement qui doit s’opérer dans le discours de la marque. C’est sur cela qu’un institut comme Ipsos peut énormément aider. Il faut chercher d’autres ressorts et souvent des ressorts psychologiques parfois enfouis !
IM : Aujourd’hui, nous prêtons une attention particulière aux propos consommateurs car « Ils peuvent nous parler de la marque, mais en général, ils nous parlent de leur vie et comment d’une certaine façon, la marque peut s’insérer dans leur vie. C’est cet élément qui est important à capter, car c’est une facette importante du changement de discours.
MOD : La situation de crise a ouvert le champ de questionnement et donc de défiance par rapport aux marques. C’est donc une opportunité pour nos annonceurs et certaines marques en ont d’ailleurs bien pris conscience en proposant immédiatement certaines choses telles que des services. Je pense à l’offre Nextyear d’Afflelou http://www.alainafflelou.fr/produits/offres/nextyear) qui permet aux gens de mieux assumer la crise. Autre exemple fort avec Hyundai qui a récemment permis à l’acheteur de ne rien payer pendant un an s’il venait à perdre son emploi ! La réponse de la marque ne peut plus s’en tenir au prix. Elle doit proposer d’autres solutions. C’est un mouvement qui induit des changements fondamentaux dans la relation et le discours que la marque entretient avec le consommateur. La chose passionnante, d’ailleurs, c'est que la crise, doublée d’une certaine défiance vis-à-vis des marques, sur fond de révolution Internet, condamne ces dernières à réinventer leur communication.
Va-t-on retrouver là des ressorts connus du discours publicitaire, à commencer par la séduction ?
IM : « Nous pensons qu’il y a un mot clé pour les marques dans le futur, c’est l’addiction, le fait d’extrémiser le désir pour ressortir. C’est ce que fait très bien Apple. Les produits Apple ne sont pas technologiquement forcément supérieurs à ceux des concurrents mais ils arrivent à créer le désir par leur façon de communiquer, par le design… Tout est signe chez eux. Ils ont une vraie personnalité de marque. C’est comme le lancement réussi d’Uniqlo en France : voici une marque de prêt-à-porter assez basique (le Gap Japonais) qui arrive grâce à un corner éphémère à la Défense, grâce au buzz et à un plan de RP organisé autour de la rareté à susciter le désir.
Quand on voit les files d’attente devant l’ouverture d’Uniqlo, on se dit clairement que le désir de consommer existe toujours.