La démocratie numérique est-elle possible ?

Le 12 octobre 2015, Ipsos célébrait ses 40 ans, à la Gaîté Lyrique, entouré de quelques centaines de clients. L'occasion de débattre sur différents sujets. La table-ronde, "Gouverner à l'ère numérique : la démocratie est-elle soluble dans le digital ?" était animée par Brice Teinturier qui a posé les jalons de ce premier débat.

Nous le savons tous, la démocratie représentative telle qu’elle fonctionne actuellement suscite de plus en plus de critiques. Celles-ci sont de 3 ordres :

Une crise du résultat, de l’efficience, massivement ressentie depuis le début des années 2000. Les alternances et les promesses se succèdent, les problèmes demeurent ! Depuis 30 ans, l’alternance, les alternances, ont progressivement tué l’espérance. "Le changement, ce n’est jamais maintenant", voilà ce que pensent les Français !

Une crise de la représentation : 88 % de nos concitoyens estiment que les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens. 66% que la plupart, pas quelques-uns, la plupart sont corrompus. On parle là d’une fracture, d’une déconnexion massive.

Une crise enfin fondamentale, celle de son utilité : la société est agile, élabore des solutions, les politiques sont à la peine pour en trouver. La société va vite, le monde va terriblement vite, la décision politique est lente, et sa mise en œuvre encore plus. Finalement, à quoi servent les élus, quelle est leur utilité ?

Cette triple mise en tension de la démocratie génère 2 attitudes : la contestation, ce qu’on appelle « the Voice », largement incarnée aujourd’hui par un vote FN puissant. Et l’indifférence. Ce qu’on appelle les stratégies « d’exit », dont la montée de l’abstention électorale est une des manifestations. Je ne sais d’ailleurs pas quelle est la menace la plus redoutable pour la démocratie : la contestation ou l’indifférence. En amour, il vaut mieux la contestation…

Ça, c’est le constat. Mais il ne signifie pas que la politique est finie. D’abord parce que les individus, plus que jamais, veulent peser. Ensuite, et c’est là notre affaire, parce que le numérique leur en donne la possibilité et fabrique d’autres formes de liens entre les individus et entre les citoyens et les élus.

Tout le monde sent donc qu’il y a là une transformation majeure, des opportunités à saisir mais peut être aussi des risques. Et il y a aussi un profond clivage entre les politiques qui ont peur de cette révolution digitale et ceux qui s’appuient sur elle. Dans une tribune publiée dans le Monde il y a déjà quelques temps, Anne Hidalgo déclarait : 

"La concertation est la condition essentielle de la gouvernance. Le débat au risque de la controverse, la consultation au risque du contraste et la différence au risque de la divergence sont aussi indispensables à la démocratie que les élections. La démocratie n’a pas peur d’écouter les citoyens, elle a peur de ne pas suffisamment les entendre" 

Pour autant, 4 grandes questions se posent :

- D’abord, de quoi parle-t-on ? Quelles sont ces formes de démocraties numériques qu’on évoque de plus en plus ? Il va falloir préciser les choses.

- Ensuite, en quoi renouvèlent-elles la notion d’expertise ? Jusqu’ici, le peuple était considéré comme expert uniquement pour choisir et adouber des projets très largement élaborés par d’autres considérés comme les véritables « experts », même si des Français "de base" pouvaient être associés ou consultés dans la phase d’élaboration de ces projets/solutions. Le pari démocratique initial est là et il a fonctionné pendant longtemps : l’expertise vient d’en haut mais le bas est suffisamment expert pour juger de ce qui est bon pour lui. Il donne alors une habilitation à certains. La crise du résultat et la crise de la représentation (quand le haut ne représente plus le bas) sont venus détruire ce contrat accepté par tous. Le bas pousse, revendique et possède une expertise dans l’élaboration, le suivi et l’implémentation de projets ou de politiques publiques. Comment faire avec ça ? Comment en tirer parti ?

- Troisème question : que devient alors la décision politique ? Là encore, dans la démocratie représentative, l’élu prend des décisions et sera sanctionné ou reconduit sur la base de ces décisions et de leurs effets. La décision reste-elle / doit-elle toujours rester l’apanage du politique, sa majestas, ou se partage-t-elle ? Quelle est alors le temps de la décision ? La démocratie numérique ouvre-t-elle l’ère d’une démocratie de l’émotion et de l’instant ou peut-on réconcilier des temporalités aussi différentes ? Et si la décision est partagée, quelle est la responsabilité du politique ? Comment faire pour qu’elle ne soit pas diluée et que le vote ait encore un sens ?

- Quatrièmement enfin, les nouvelles formes de participations politiques permettent-elles de capter des couches qui s’étaient éloignées de la politique, notamment les jeunes et les milieux populaires, ou consacrent-elles et vont-elle accentuer le divorce de plus en plus grand entre ces catégories et la démocratie représentative classique ?


Retrouvez la synthèse de la table ronde :
Gouverner à l'ère du digital

Auteur(s)

  • Brice Teinturier, Directeur Général Délégué France, Ipsos
    Brice Teinturier
    Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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