La dynamique du Oui en échec

La situation pré-électorale du référendum de 2005 ressemble à s’y méprendre à celle de la campagne de 1992 sur le traité de Maastricht. A trois semaines du scrutin convoqué par François Mitterrand, toutes les enquêtes d’opinion indiquaient les mêmes paramètres qui fondent aujourd’hui, comme hier, l’incertitude maximale sur l’issue du scrutin : rapport de force "50-50", forte mobilisation électorale et niveau d’indécision élevé.

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Treize ans plus tard, c'est une nouvelle fois l'image d'un pays profondément divisé que décrivent les enquêtes d'opinion. La fracture est d'abord politique avec la persistance de l'affrontement entre partis de gouvernement et formations protestataires. A la division de l'électorat de droite observée en 1992 entre pro-européens et souverainistes, succède aujourd'hui un fossé creusé à gauche entre partisans et adversaires du traité constitutionnel. Mais la fracture est également sociologique, peut-être plus encore qu'en 1992. La France aujourd'hui tentée par le Non est nettement majoritaire dans les classes d'âge actives. Bien ancré dans le monde du travail, le Non recueille la majorité des intentions de vote parmi les salariés du secteur public comme du secteur privé, dans les milieux populaires et au sein des classes moyennes marquées par l'inquiétude économique.

Le référendum de 2005 tient pourtant sa spécificité dans l'extraordinaire instabilité de la structuration du choix. La progression du Non dans cette nouvelle enquête illustre le phénomène et pourrait marquer l'émergence d'un troisième renversement de tendance, jamais observé dans l'histoire des enquêtes pré-électorales en France.

Pour l'heure, le rééquilibrage entre le Oui et le Non trouve son origine aussi bien à gauche qu'à droite. Au sein de l'électorat socialiste, le Oui est en recul de quatre points et ne confirme pas sa progression des deux dernières enquêtes. (52% d'intentions de vote contre 48% au Non). Le vote des proches du P.S. reste l'une des données clés du scrutin. Mais le recul du Oui est également imputable au reflux observé à droite. A l'UMP comme à l'UDF, la baisse est équivalente à celle mesurée à gauche. Le Oui se situe désormais à 76% sur l'ensemble de l'électorat de la majorité.

Au moment où s'engage la phase décisive de structuration du choix électoral, et bien que le pronostic de victoire se renforce en faveur du Oui, une majorité de Français souhaite à nouveau une victoire du Non le 29 mai. Les variations brutales de l'indicateur de souhait de victoire sont à rapprocher de l'instabilité des intentions de vote. Redevenu favorable au Oui la semaine dernière, un contre-effet mobilisateur pour le Non permet à l'indice de progresser de 10 points en sa faveur. Le souhait de victoire devient favorable au Non chez les salariés, en particulier parmi les ouvriers et les salariés du secteur public.

Par ailleurs, l'efficacité comparée des campagnes reste toujours à l'avantage du Non. Même si en matière de crédibilité et de clarté, les partisans du Oui engrangent les bénéfices d'une dernière quinzaine de campagne très active, le rapport de force dans ces deux registres reste favorable au Non. On assiste toutefois au rééquilibrage de la portée des argumentaires : de 16 à 5 points d'écart en ce qui concerne la crédibilité des arguments développés, de 10 à 2 points au moment de confronter leur clarté. En revanche, les partisans du Non disposent toujours d'un sérieux avantage sur le critère de proximité ; le déficit du Oui se creuse lorsqu'il s'agit d'évaluer la capacité de ses partisans à développer un argumentaire proche des préoccupations des Français.

Les électeurs ne voient pas non plus les bénéfices d'une éventuelle victoire du Oui. La majorité des Français continue d'imaginer avec pessimisme l'évolution de leurs conditions de vie en cas de ratification. Quel que soit le résultat du référendum, le déficit de confiance et les anticipations négatives l'emportent. La campagne des partisans du Oui n'a toujours pas permis de faire émerger une vision optimiste de l'avenir de l'Europe. Dans le même temps, l'argumentaire de la dramatisation s'essouffle. Si ces dernières semaines, à gauche comme à droite, les partisans du Oui étaient parvenus à convaincre les électeurs des risques pour la France d'une éventuelle victoire du Non, l'argument semble aujourd'hui perdre du terrain. Le réflexe de dédramatisation progresse de cinq points et atteint son plus haut niveau depuis septembre 2004 : 48% des Français pensent que la position de la France ne serait pas affaiblie dans l'hypothèse d'une victoire du Non, contre 47% qui pensent le contraire.

Proposé comme un temps fort de la campagne du Oui; la prestation de Jacques Chirac est finalement moins bien jugée que celle de Lionel Jospin. Après l'intervention de l'ancien Premier ministre sur France 2, une majorité de sympathisants socialistes, mais surtout UDF et UMP, considérait en effet les propos de Lionel Jospin comme un élément d'encouragement à voter Oui. Tel n'est pas le cas pour Jacques Chirac. Jugée par la plupart des observateurs comme plus convaincante que le face-à-face entre le Président et les jeunes à la mi-avril, l'interview du chef de l'Etat semble finalement fabriquer plus de controverse parmi les électeurs du camp adverse. Une majorité relative de sympathisants socialistes affirme ainsi être "plus incité à voter Non" après cette intervention. La prestation présidentielle a convaincu son propre camp, mais pas au-delà. Si la dynamique du Oui est aujourd'hui à nouveau en échec, c'est d'abord parce que la mécanique du clivage gauche-droite continue à imposer sa logique, au-delà de la question européenne.

Trois semaines nous séparent désormais du vote des Français. Les exemples ne manquent pas pour relever l'importance des mouvements observés durant cette dernière phase active des campagnes électorales. En 1992, bien que minoritaire fin août, le Oui, l'emporte le 20 septembre avec 500 000 voix d'avance, sur 25 millions de votants. A l'occasion des législatives de la dissolution de 1997, la droite devance encore la gauche à moins d'un mois du premier tour et perdra cinq points d'intentions de vote durant cette dernière séquence. En 2002, Jean Marie le Pen progressera de six points dans la dernière ligne droite de campagne... Pour mieux identifier les ressorts des évolutions à venir, il convient donc de recenser les principaux atouts sur lesquels peuvent compter les deux camps.

  • Le soutien majoritaire des seniors à la Constitution européenne se concrétisera le 29 mai du fait de la participation habituelle forte de cette génération ;
  • Le Oui est également majoritaire chez les jeunes, plus nombreux à juger le Oui porteur de changement. Cette adhésion d'une population plus " abstentionniste" est toutefois fragile ;
  • La capacité à incarner le changement est devenu le principal capital du Oui. Il reste trois dernières semaines de campagne pour lui donner une dimension plus concrète et rassurante ;
  • Le Oui peut enfin s'appuyer sur l'adhésion majoritaire des Français à la poursuite de la construction européenne. L'Observatoire Ipsos a par exemple clairement montré l'approbation de l'opinion publique à l'élargissement de l'Europe à 25 pays.

Dans l'autre camp, le climat économique et social continuera à servir le Non jusqu'à l'échéance du 29 mai

  • Le Non est fort dans les catégories sociales les plus inquiètes par les perspectives économiques et sociales ;
  • Le Non dispose d'un atout politique : le Non "d'identification", contre le gouvernement mais aussi contre tout ce qui est associé aux pouvoirs, de toute sorte. Cet atout lui a permis d'être majoritaire à gauche et de consolider son poids à l'extrême gauche comme à l'extrême droite;
  • Le Non bénéficie du soutien populaire. Ses partisans se recrutent parmi l'éventail large et diversifié de "la France d'en bas". Il n'y a guère que parmi les Français les plus aisés financièrement et les plus diplômés que le Non reste largement minoritaire. Le socle social du non explique l'atout de proximité dont bénéficient aujourd'hui ses partisans en campagne.
Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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