La fiscalité auprès de chefs d'entreprise européens

Ipsos a réalisé pour le compte de la CCIP une enquête sur la fiscalité auprès de chefs d’entreprise de dix pays de l’Union européenne. Loin de révéler un mécontentement uniforme sur un sujet traditionnellement sensible, les résultats de cette étude mettent en évidence des différences significatives de perception quant à la situation des entreprises dans les dix pays étudiés, aussi bien en matière de pression fiscale que de démarches administratives et de contrôles fiscaux.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
  • Federico Vacas Directeur de département - Public Affairs
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Les indicateurs présents dans l'enquête permettent ainsi de constituer des regroupements de pays selon leur attractivité : le Royaume-Uni, la Pologne , la Hongrie et les Pays-Bas apparaissent comme des pays bénéficiant d'un cadre fiscal globalement plus favorable pour les entreprises que leurs voisins européens. La France , l'Italie et, dans une moindre mesure, l'Allemagne et la Belgique semblent en revanche faire partie des pays où le contexte fiscal est perçu comme le moins attractif. La note qui suit présente les principaux enseignements de l'enquête.

Les prélèvements obligatoires

Des différences significatives de perception en matière de pression fiscale

Premier enseignement de cette enquête, la pression fiscale dont font l'objet les entreprises n'est pas perçue de la même façon par les dirigeants des différents pays concernés par l'enquête. En moyenne, presque la moitié (48%) d'entre eux considèrent que le niveau des prélèvements obligatoires pratiqués sur les entreprises dans leur pays est très élevé , l'autre moitié (47%) le jugeant seulement plutôt élevé (et 5% déclarent qu'il est faible). Mais ces résultats d'ensemble masquent en effet de fortes différences géographiques. Ainsi, la proportion de dirigeants estimant la pression fiscale dans leur pays très élevée  grimpe jusqu'à 74% en France (contre une moyenne européenne de 48%), 62% en Belgique et 59% en Italie contre, à l'autre extrême, seulement 24% au Royaume Uni. D'ailleurs, dans ce dernier pays et, malgré une pression fiscale importante, en Suède, une part non négligeable de dirigeants (respectivement 18% et 14% contre seulement 5% pour l'ensemble des pays concernés par l'enquête) va jusqu'à dire que le niveau des prélèvements obligatoires pratiqués dans son pays est faible …

Ce niveau de prélèvements obligatoires –perçu majoritairement comme élevé, voire très élevé- constitue un frein au développement économique du pays de l'avis de 78% des chefs d'entreprise européens, seulement 17% d'entre eux considérant en revanche qu'il a un effet positif sur l'économie de leur pays. On observe ici une corrélation très étroite entre la perception du niveau des prélèvements obligatoires d'une part et l'impact de ce dernier sur le développement économique du pays de l'autre. Ainsi, c'est dans les cinq pays où le niveau des prélèvements obligatoires est perçu comme le plus élevé ( la France , la Belgique , l'Italie, l'Allemagne et la Pologne ) que les répondants sont les plus nombreux à considérer la pression fiscale dont les entreprises font l'objet comme un frein pour le développement économique.

Pour deux tiers des chefs d'entreprises européens (66%), la pression fiscale dans leur pays est non seulement élevée dans l'absolu mais elle est aussi plus élevée que généralement ailleurs en Europe. Un chef d'entreprise sur cinq (20%) estime que le niveau des prélèvements obligatoires dans son pays est similaire à celui pratiqué généralement ailleurs en Europe, seuls 8% estimant qu'il est inférieur. Là encore, la Belgique et la France se démarquent des autres pays européens, avec respectivement 84% et 83% des répondants jugeant la pression fiscale dont les entreprises font l'objet plus forte qu'ailleurs dans le continent. Le Royaume-Uni est quant à lui le seul pays où une majorité relative de chefs d'entreprise déclare que le niveau de prélèvements obligatoires pratiqué dans le pays est moins élevé que chez ses voisins européens.

La Pologne , la Hongrie et le Royaume-Uni, les trois pays les plus attractifs ; la Belgique , l'Italie et… la France , les moins attractifs en termes de prélèvements

L'introduction de la notion « d'attractivité » (comparée ou non) laisse apparaître des différences encore plus marquées entre les dix pays concernés par l'enquête. Dans quatre d'entre eux, une majorité de dirigeants considère son propre pays comme étant attractif pour une entreprise souhaitant s'y installer du point de vue des prélèvements obligatoires: la Pologne (66%), le Royaume-Uni (63%), la Hongrie (57%) et les Pays-Bas (56%). En revanche, seule une faible minorité de chefs d'entreprise belges (18%), allemands (16%), italiens (14%) et français (12%) partagent cette vision de leur propre pays. Le manque d'attractivité de la France est souligné de façon encore plus nette par les chefs d'entreprise de plus de 100 salariés (la totalité des personnes interrogées déclarant que le pays n'est pas attractif sur ce point).

On retrouve un classement très similaire lorsqu'il est question d'évaluer l'attractivité du pays par rapport à celle des voisins européens. Une part non négligeable des dirigeants des entreprises implantées aux Pays-Bas (44%), en Pologne (37%), au Royaume-Uni (33%) et en Hongrie (31%) estime que son pays est dans ce domaine plus attractif que les autres pays européens en général. Cette proportion chute à 10% ou moins chez les chefs d'entreprise français, belges et italiens…

Tableau récapitulatif n°1 :

« Perception de l'attractivité des différents pays »

CLASSEMENT L'attractivité « dans l'absolu » (1) L'attractivité « comparée » (2) L'attractivité « vue par les autres » (3)
1 er Pologne Pays-Bas Pologne
2 ème Royaume-Uni Pologne Hongrie
3 ème Hongrie Royaume-Uni Royaume-Uni
4 ème Pays-Bas Hongrie Espagne
5 ème Suède Espagne Pays-Bas
6 ème Espagne Suède Allemagne
7 ème Belgique Allemagne Suède
8 ème Allemagne France France
9 ème Italie Belgique Belgique
10 ème France Italie Italie

(1) Perception de l'attractivité de son propre pays (Classement selon % de réponses « attractif »)
(2)  Perception de l'attractivité de son propre pays par rapport aux autres pays européens (Classement selon réponses « plus attractif »)
(3)  Pays européen le plus attractif (Classement selon les réponses données par l'ensemble des chefs d'entreprise)

Comme le montre le tableau ci-dessus, on n'observe pas de décalage important entre, d'une part, la perception qu'ont les chefs d'entreprise de la pression fiscale dans leur propre pays et, de l'autre, l'image véhiculée par ce même pays à l'étranger. Ainsi, les chefs d'entreprise européens situent la Pologne (citée par 26% d'entre eux) en tête du classement des pays les plus attractifs en termes de prélèvements obligatoires, suivie d'assez loin par la Hongrie (14%) et le Royaume-Uni (14% également, dont 38% chez les chefs d'entreprise français). Viennent ensuite, l'Espagne (citée par 7% des répondants), les Pays-Bas (6%), l'Allemagne (6%) et la Suède (5%). Tout en bas de l'échelle d'attractivité, on retrouve la France avec 3% des réponses, juste devant la Belgique (2%) et l'Italie (2%).

Au total, trois groupes de pays semblent se dessiner en matière d'attractivité fiscale .

    •  Le premier est constitué des pays jugés attractifs , à la fois dans le pays même et à l'étranger. La Pologne , la Hongrie et le Royaume-Uni (plus, dans une moindre mesure, les Pays-Bas) appartiennent à ce premier ensemble de pays.

    •  Le deuxième groupe est composé des pays considérés les moins attractifs , là encore aussi bien par les chefs d'entreprise « nationaux » qu'« étrangers » : c'est le cas de la France , de l'Italie et de la Belgique. L 'Allemagne, qui peut être associée à ce deuxième groupe, affiche pourtant une particularité : on observe un léger décalage entre d'une part la perception locale de la pression fiscale allemande, jugée très forte, et l'image de celle-ci chez ses voisins européens, plus nuancée.

    •  Enfin, l'Espagne et la Suède , qui se situent à un niveau intermédiaire entre les deux groupes précédents, constituent le troisième ensemble de pays.

La perception qu'ont les chefs d'entreprise de l'attractivité des différents pays en termes de prélèvements obligatoires est par ailleurs globalement en accord avec les données statistiques recensées par l'Observatoire Européen de la Fiscalité des Entreprises. Néanmoins, deux exceptions sont à signaler : le cas de la Suède et celui de l'Allemagne. En effet, le pays scandinave dont le TPOE est, avec celui de la France , le plus élevé de la zone étudiée, ne fait pourtant pas partie du groupe de pays considérés par les dirigeants européens comme étant les moins attractifs (les dirigeants Suédois eux-mêmes sont par ailleurs loin d'être les plus critiques à l'égard de la pression fiscale subie). A l'inverse, l'Allemagne, qui affiche depuis de nombreuses années un TPOE sensiblement inférieur au TPOE moyen de la zone étudiée, est perçue (de façon très marquée par les dirigeants allemands et plus nuancée par ceux des autres pays européens) comme l'un des pays les moins attractifs d'un point de vue de la pression fiscale.

Les charges sociales et la stabilité juridique et réglementaire, les deux aspects les plus importants de la fiscalité (en cas d'installation à l'étranger)

Les résultats concernant la perception du niveau des prélèvements obligatoires sont d'autant plus importants que la pression fiscale joue un rôle central dans l'attractivité globale d'un pays. Interrogés sur les aspects de la fiscalité déterminants dans le choix d'un pays pour une éventuelle implantation à l'étranger, les chefs d'entreprise citent ainsi en premier « les charges sociales » (citées par 45% des répondants), suivies de près par « la stabilité juridique et réglementaire » (40%). 32% des dirigeants mettent en avant « l'impôt sur les sociétés », 26% « l'impôt sur le revenu », 23% « la fiscalité locale », « la qualité des relations entre les entreprises et l'administration » arrivant en dernier avec 19%.

L'analyse détaillée des résultats fait émerger ici une frontière géographique . D'une part, on retrouve la Belgique et les pays situés au sud de celle-ci ( la France , l'Espagne, l'Italie), pays dont les chefs d'entreprise mettent d'abord en avant les charges sociales. L'autre groupe est composé des pays situés au nord et à l'est de la Belgique ( la Suède , le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Allemagne ainsi que la Pologne et la Hongrie ), qui quant à eux font de la stabilité juridique et réglementaire le critère le plus important dans le choix d'un pays pour s'y implanter.

Une qualité de services publics qui ne correspond pas toujours au niveau des prélèvements obligatoires pratiqués

Seuls 38% des chefs d'entreprise européens estiment que le niveau de prélèvements obligatoires pratiqués dans leur pays correspond à une qualité satisfaisante de service public, une majorité d'entre eux (61%) étant de l'avis contraire. Là encore, les résultats d'ensemble masquent de fortes disparités géographiques, le taux de satisfaction variant très fortement d'un pays à l'autre : ainsi, la majorité des chefs d'entreprise néerlandais (70%) et belges (58%, malgré une pression fiscale perçue comme particulièrement forte) se disent satisfaits du rapport « niveau des prélèvements / qualité des services publics » dans leur pays. A l'autre extrême, seuls 24% des Hongrois, 20% des Italiens et 9% des Polonais partagent cette opinion. Soulignons ici le cas de la Hongrie et, surtout, de la Pologne , où se conjuguent pression fiscale perçue comme relativement faible et insatisfaction à l'égard des services publics qui y sont « associés ». La France , quant à elle, se situe sur ce plan à un niveau très proche de la moyenne européenne (36% de satisfaits des services, contre 64% d'insatisfaits). Les résultats d'ensemble français masquent également des différences significatives selon la taille de l'entreprise interrogée. Ainsi, le taux de satisfaction dans ce domaine est notablement plus élevé chez les entreprises françaises de plus de 100 salariés (47%) que chez celles de plus petite taille (35%).


Démarches administratives et contrôles fiscaux

Une réglementation fiscale de plus en plus compliquée

Deux tiers environ des chefs d'entreprises européens (65%) jugent le degré actuel de complexité de la réglementation fiscale de leur pays excessif, contre en revanche seulement 32% qui le considèrent normal, compte tenu du sujet. De l'avis d'une large majorité des répondants (70%), cette réglementation devient même de plus en plus compliquée, seuls 20% estimant qu'elle a tendance à se simplifier. Là encore, les chefs d'entreprise français se situent, avec leurs homologues allemands et polonais, parmi les plus critiques. A l'inverse, on notera qu'en matière de complexité de la réglementation fiscale les dirigeants suédois, néerlandais, hongrois et espagnols se montrent moins insatisfaits que la moyenne .

 Des obligations déclaratives pesantes en termes de coût et de temps  

Plus de deux chefs d'entreprise européens sur trois estiment que le poids des obligations déclaratives est important aussi bien en termes de coût (70%) que de temps (67%). Là encore, les chefs d'entreprise français mais aussi belges, italiens et allemands se montrent plus critiques que la moyenne. Par ailleurs, le développement des téléprocédures semble avoir eu un impact très direct sur le temps consacré à ces démarches. En effet, c'est en Suède et aux Pays-Bas, les deux pays où les répondants sont les plus nombreux à considérer le niveau de développement des déclarations et paiements en ligne satisfaisant, que les chefs d'entreprise estiment moins important le temps consacré aux obligations déclaratives. Quant à la France , moins d'un répondant sur deux (48%) juge les téléprocédures suffisamment développées : il s'agit du score le plus faible parmi les dix pays concernés par l'enquête.

Des contrôles fiscaux jugés fréquents et, surtout, sévères

Les chefs d'entreprise européens jugent majoritairement « fréquentes » (61%) et surtout « sévères » (83%) les procédures de contrôle fiscal des entreprises (sur place) dans leur pays. On notera que les Allemands, avec des scores de respectivement 78% et 96% arrivent en tête du classement sur ces deux points. Les chefs d'entreprise français se situent en revanche légèrement en-deçà de la moyenne européenne. Quant à la modalité de contrôle fiscal préférée, moins d'un tiers (30%) des répondants européens préfèrerait faire l'objet d'un contrôle fréquent mais portant sur un ou quelques aspects de leur activité, la majorité d'entre eux (64%), à la seule exception des Italiens (et des dirigeants des entreprises françaises de plus de 100 salariés), penchant pour des contrôles plus espacés dans le temps mais portant sur l'ensemble des aspects de leur activité.

Des avis partagés concernant la simplicité des procédures de ruling et le statut légal des réponses fournies par l'administration

Environ quatre chefs d'entreprise sur dix (41%) considèrent qu'il est aujourd'hui facile d'interroger l'administration avant de s'engager dans certaines opérations ou certains montages (procédures de ruling), 54% d'entre eux exprimant l'opinion contraire. Là encore, les résultats varient sensiblement selon les pays. Une majorité de Suédois, de Britanniques, de Néerlandais et de Hongrois juge facile cette démarche contre, à l'autre extrême, 29% des Belges, 23% des Allemands et seulement 16% des Français (dont 34% des dirigeants d'entreprises françaises de 100 salariés ou plus). Selon une majorité relative de chefs d'entreprise européens (48%), les réponses données engagent légalement l'administration. Cet avis est particulièrement répandu aux Pays-Bas, en Suède, en Belgique, en Allemagne et en Hongrie mais n'est partagé que par 27% des Espagnols et 24% des Français (dont 31% des chefs d'entreprises françaises de 100 salariés et plus). Ce dernier résultat met en évidence un manque d'information de la part des dirigeants français mais sans doute aussi une certaine méfiance de leur part à l'égard de l'administration fiscale.

Tableau récapitulatif n°2 :

« Points forts ( + ) et points faibles ( - ) de chacun des pays »
(Evaluation par les chefs d'entreprise de la situation dans leur propre pays)

  Complexité de la régle
mentation fiscale (1)
Poids des obli
gations décla
ratives (coût et temps) (2)
Sévérité et fréquence des contrôles (3) Facilité de contact pour les procédures de ruling (4)
Suède + + + +
Royaume-Uni + + = +
Pays-Bas + + = +
Hongrie + + - +
Espagne + - + +
Pologne - + = -
Belgique + - = -
Italie - - + -
France - - + -
Allemagne - - - -

(1)  Codification : % de réponses « normal » supérieur (code +) ou inférieur (code -) à la moyenne européenne.
(2)  Codification : % de réponses « pas important » supérieur (code +) ou inférieur (code -) à la moyenne européenne (reconstitution des variables « temps » et « coût »).
(3)  Codification : % de réponses « pas fréquentes » et/ou « pas sévères » supérieur (code +) ou inférieur (code -) à la moyenne européenne (reconstitution des variables « fréquence » et « sévérité »).
(4)  Codification : % de réponses « facilement » supérieur (code +) ou inférieur (code -) à la moyenne européenne

Comme le montre le tableau ci-dessus, la Suède , le Royaume-Uni et les Pays-Bas apparaissent comme les pays les plus « accueillants » pour les entreprises sur les registres testés autres que le niveau des prélèvements obligatoires.

A l'inverse, l'Italie, la France et l'Allemagne se démarquent de la moyenne par le jugement particulièrement critique de leurs dirigeants à l'égard de la situation dans leur pays sur la plupart de ces indicateurs.

Enfin, d'autres pays tels que la Hongrie , l'Espagne, la Pologne et la Belgique alternent ici points forts et points faibles.

Au final, les résultats de l'enquête mettent en évidence des perceptions très différentes quant à la situation des entreprises dans les dix pays. La Pologne , la Hongrie et le Royaume-Uni émergent comme les pays les plus attractifs sur un registre central : le niveau des prélèvements obligatoires. La Suède , les Pays-Bas et, là encore, le Royaume-Uni apparaissent comme les plus « accueillants » en termes de démarches administratives. La France , de même que l'Italie et dans une moindre mesure l'Allemagne et la Belgique , conjuguent quant à elles manque d'attractivité sur le plan de la pression fiscale et complexité des démarches administratives…

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
  • Federico Vacas Directeur de département - Public Affairs

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