La force de la seconde dynamique du Non

A une semaine de l'échéance, la seconde dynamique du Non est devenue incontestable. Crédité de 53% des intentions de vote, le Non progresse de deux points par rapport à la dernière enquête, de six points depuis début mai.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
Get in touch

Les principaux chiffres à retenir de la vague 11 de l'Observatoire Ipsos

  • Le Non est crédité de 53% d'intentions de vote, en progression de deux points
  • Le Non atteint 54% d'intentions de vote chez les proches du Parti Socialiste, en hausse de quatre points
  • 71% des électeurs considèrent leur choix définitif, 9% restent hésitants, 20% indécis
  • Une majorité relative des Français (45%, +1) souhaite la victoire du Non alors que 41% d'entre eux pronostiquent cette victoire (+14)
  • Le Oui incarne toujours le changement pour 48% personnes interrogées mais 45% s'inquiètent d'une victoire du Oui
  • 50% des Français ne croient pas aux conséquences négatives pour la France d'une éventuelle victoire du Non (+2)
  • 73% des Français ne croient pas à la dégradation de la situation économique de la France en cas de victoire du Non
  • 55% des Français pensent que la France obtiendra une renégociation du Traité si le Non l'emporte (-6)

La dynamique du Non se construit sur un terrain d'opinion propice, tant du point de vue du climat général que de l'impact des controverses de campagne les plus récentes. Ce mouvement s'inscrit dans un contexte de forte mobilisation électorale, nettement supérieure à celles des scrutins régionaux et européen de 2004 et équivalente à celle du premier tour de l'élection présidentielle. L'indice de mobilisation évalué par Ipsos situe la participation électorale à un niveau qui pourrait être proche de celui du référendum de 1992 (71%), preuve de l'exceptionnel intérêt suscité par le débat référendaire.

La baisse du niveau d'indécision fournit un signe attendu de la cristallisation du choix électoral et crédibilise encore un peu plus le différentiel d'intention de vote entre le Oui et Non. Si elle ne peut pas être considérée comme définitive, au regard du caractère exceptionnellement brutal des trois inversions de tendance observées en deux mois de campagne, l'avance du Non n'en demeure pas moins plus structurée et plus solide que celle qui avait marquée le début de campagne. La part d'électeurs "sûrs de leur choix" progresse de cinq points. Dans de nombreuses catégories, jusque là plus indécises que la moyenne, le niveau de fermeté du choix augmente sensiblement: c'est le cas dans l'électorat féminin, chez les jeunes et les salariés. Les niveaux d'indécision, plus élevés à gauche qu'à droite et légèrement plus accentués chez les partisans du Non sont toutefois des indices qui doivent inciter à la précaution. De toutes les sensibilités politiques, celle proche du parti socialiste demeure la moins structurée dans son choix: 60% d'intention de vote définitive, 13% d'hésitation, 27% d'indécision. Cette fragilité confirme l'importance des ultimes évolutions à venir dans cet électorat.

La nouvelle progression du Non s'appuie d'abord sur une logique politique. La présence très forte en campagne des principaux leaders du Oui de gauche, illustrée par le premier meeting de campagne de Lionel Jospin depuis la dernière élection présidentielle, ne provoque aucune amélioration de la situation du Oui dans l'électorat socialiste. Le mélange explosif de l'impopularité grandissante du pouvoir, des effets du Lundi de Pentecôte et de l'efficacité des arguments de campagne développés par les partisans du Non expliquent la nouvelle supériorité du Non chez les sympathisants P.S. La montée du Non socialiste est de quatre points depuis la dernière vague pour atteindre 54%, et de douze points en trois semaines. Cette nouvelle situation majoritaire vient consolider significativement le Non de gauche qui atteint des sommets à près de 100% chez les Français proches du parti communiste et de l'extrême gauche alors qu'il demeure majoritaire chez les sympathisants écologistes, malgré une légère baisse.

L'unanimisme des scores enregistrés à l'extrême gauche comme à l'extrême droite de l'échiquier politique (FN 93%, +7) offre l'une des meilleures illustrations du niveau de détermination et conviction des partisans du Non et de l'adversité du climat politique que doivent supporter les partisans du Oui. Mais si le Oui s'affaiblit c'est également parce qu'il semble avoir épuisé ses réserves à droite. Le niveau de Oui n'y progresse plus depuis trois semaines, à l'UMP comme à l'UDF.

Au-delà des facteurs politiques, certaines évolutions sociologiques sont également des signaux d'alerte révélateurs pour le Oui. Ainsi, même s'il y demeure majoritaire, le Oui perd une dizaine de points parmi les catégories d'électeurs âgés de plus de 50 ans. Le Oui perd également du terrain chez les cadres supérieurs. Le Non progresse fortement chez les femmes, devient dominant chez les jeunes et gagne du terrain dans l'ensemble du salariat, privé et public, particulièrement dans sa frange la plus populaire. Tout se passe comme si l'épisode du Lundi de Pentecôte avait contribué à renforcer encore un peu plus le réflexe d'opposition de catégories marquées depuis plusieurs années par l'inquiétude économique et sociale et aujourd'hui devenues les premiers contingents du socle électoral du Non.

Dans la dernière ligne droite, le pronostic devient à nouveau favorable au Non, situation qu'il n'avait pas connue depuis un mois. En une semaine, la faveur du pronostic connaît une inversion complète. Désormais 41% des Français pensent que le Non va l'emporter, soit quatorze points de progression. La réactivité de cet indicateur au climat de campagne révèle le niveau d'attention des Français à l'égard de ce référendum. L'idée désormais majoritaire d'une défaite du Oui est maintenant en phase avec le souhait des Français. A 45%, le "désir" d'une victoire du Non est au plus haut niveau depuis le début de la campagne. Le différentiel entre le Oui et le Non en matière de souhait de victoire est le plus important - 20 points - sur l'ensemble de l'électorat de gauche.

La perspective plus installée dans l'opinion d'une victoire du Non ne modifie pas la perception qu'ont les Français des conséquences du résultat du scrutin.

  1. Ils sont toujours une majorité à être d'abord "inquiets d'une victoire du Oui" (45%, contre 36% plus préoccupés des effets d'une victoire du Non). L'incapacité du Oui à construire un imaginaire de confiance autour du potentiel de changement dont il est crédité par une majorité de Français constitue aujourd'hui son premier handicap de crédibilité.
  2. Jamais les Français n'ont été aussi peu convaincus des conséquences supposées néfastes de la victoire du Non pour "la position de la France en Europe". Cette faible crédibilité en fin de campagne de l'un des arguments centraux du Oui de gauche et de droite est particulièrement nette à gauche et plus précisément au sein de l'électorat socialiste.
  3. L'argument de la renégociation du traité développé de manière intensive par les partisans du Non de gauche continue à disposer du soutien majoritaire des Français malgré une baisse de six points. Mais cette baisse est exclusivement liée aux évolutions observées à droite. Une majorité des sympathisants UMP-UDF ne croit plus à l'hypothèse d'un texte révisée. En revanche, l'un des premiers arguments développés par Laurent Fabius continue à convaincre les deux tiers de l'électorat du PS, sans changement depuis la dernière enquête.

En cette fin de campagne, le bilan de la bataille des argumentaires apparaît ainsi nettement favorable au camp du Non. Le dernier argument présenté par Jean-Pierre Raffarin mardi dernier laissant entendre qu'une victoire du Non pourrait provoquer des difficultés économiques pour la France est balayé par trois Français sur quatre, par la majorité des électeurs de gauche comme de droite, qu'ils aient l'intention de voter Oui ou Non.
Alors que le président de la République et son ancien Premier ministre socialiste ont décidé d'intervenir une nouvelle fois à la télévision durant la dernière semaine de campagne, la fameuse dynamique de la dernière ligne droite est aujourd'hui favorable au Non. Pour Chirac comme pour Jospin, l'enjeu de ces interventions consiste à concentrer l'attention des indécis sur l'avenir de l'Europe afin d'éviter que cette dynamique conduise à un véritable "référendum-sanction". Au-delà de la réponse à la question posée sur le traité, la pesanteur du climat politique, illustrée par les records d'impopularité de l'Exécutif enregistrés par plusieurs instituts de sondage, devient en effet plus que jamais une variable-clé du résultat.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

Société