La fragilisation personnelle de Lionel Jospin
Dans un contexte d'opinion toujours favorable à la gauche (les cotes de popularités du PS et de ses leaders sont en hausse), la popularité de Lionel Jospin est pourtant sensiblement orientée à la baisse ce mois, tombant à un de ses plus bas niveaux depuis juin 1997. A l'inverse, dans un contexte d'opinion toujours aussi peu porteur pour la droite (l'impopularité perdure pour la plupart de ses leaders), la popularité du président de la République se maintient à un bon niveau. Tels sont les paradoxes apparents du baromètre politique Ipsos/Le Point du mois de juin.
La popularité du Premier ministre se dégrade assez nettement ce mois : à 49%, les opinions favorables à son égard reculent de 5 points alors que les jugements défavorables progressent, eux, de 7 points (42%). Après la remontée du mois de mai, la popularité de Lionel Jospin se retrouve donc à nouveau dans un trend à la baisse. Depuis février 2001, le Premier ministre a ainsi perdu 11 points d'opinions favorables. Il retrouve ce mois son plus mauvais niveau de popularité depuis juin 97, égalant sa contre performance de septembre 2000, en pleine crise des carburants.
Cette baisse de popularité intervient pourtant dans un contexte d'opinion qui reste favorable à la gauche. D'abord, les personnalités politiques de gauche continuent de truster les premières places du baromètre de popularité. On trouve ainsi toujours en tête Bernard Kouchner (64%), suivi de Jack Lang (55%), Martine Aubry (55%) et Elisabeth Guigou (53%), la première personnalité de droite (Alain Juppé) n'apparaissant qu'en 9ème position. Toutes ces personnalités voient en outre leur popularité progresser ce mois. Ensuite, avec 53% d'opinions favorables (+3 points), le PS demeure un parti populaire, seulement devancé par une autre composante de la majorité plurielle, les Verts (59%, +1 point).
Au vu de ces indicateurs, cette baisse de popularité traduit donc bien plus une fragilisation du Premier ministre qu'un discrédit plus large de la gauche gouvernementale. Empêtré dans les divisions de sa majorité, notamment sur le projet de loi de modernisation sociale, critiqué par une pluralité de voix à gauche (du MDC à LO), obligé de s'expliquer sur son passé politique et d'avouer à demi-mot avoir menti (l'enquête a été réalisée aux lendemains de ses " aveux " sur son passé trostkyste), le Premier ministre s'expose aujourd'hui beaucoup plus qu'au cours de ses premières années de mandature et est donc logiquement plus atteint. Sa popularité accuse les plus fortes pertes au sein des classes populaires (-14 points chez les ouvriers, -13 points chez les bas revenus et -7 points chez les employés), effet probablement de propositions sur les licenciements jugées insuffisantes, et chez les sympathisants de droite (-8 points), peut-être choqués par le passé trotskyste du Premier ministre. Il est clair en tous cas que le grippage de la majorité plurielle et la croissance des dissensions à gauche affecte désormais directement et en premier lieu le Premier ministre, sans pour autant profiter à ceux qui les suscitent : la popularité de Robert Hue est par exemple en recul de 3 points ce mois.
La situation d'opinion est inversée à droite. Ses principaux leaders continuent de stagner dans les eaux de l'impopularité. Avec 38% d'opinions favorables (contre 45%), Alain Juppé jouit de la meilleure popularité des personnalités de l'opposition, devant Philippe Douste-Blazy (37%), Edouard Balladur (36%), François Bayrou (34%) et Alain Madelin (32%). Les autres personnalités (Michèle Alliot-Marie, Nicolas Sarkozy ou Charles Pasqua) recueillent moins de 30% de bonnes opinions. Avec 42% de jugements favorables (-2 points), la popularité du RPR est de surcroît loin d'égaler celle du PS. Dans ce contexte, la popularité de Jacques Chirac se maintient pourtant remarquablement bien : 57% (-1 point) des Français portent un jugement favorable sur son action, 32% (+2 points) émettant un jugement inverse. Le président conserve une structure de popularité consensuelle : un sympathisant socialiste sur deux le juge favorablement.
Au final, la fragilisation actuelle du Premier ministre provient bien plus de l'engrenage des divisions à gauche que d'une vigueur retrouvée de l'opposition. A un an de l'élection présidentielle commence à se dessiner un état des forces et faiblesses en présence. Le Premier ministre dispose de forces (parti, personnalités) populaires dans l'opinion mais sa popularité semble commencer à plier sous l'effet de l'usure du pouvoir et d'une majorité aux tentations de plus en plus centripètes. En ce sens, la capacité de Lionel Jospin à ressouder une majorité dans un contexte préélectoral délicat sera déterminante. Le président, lui, ne dispose que peu de forces (sa difficulté à trouver un " premier ministrable " en témoigne) mais peut en revanche compter d'une part sur une popularité robuste, qui jusqu'à présent s'est montrée particulièrement résistante aux affaires, et d'autre part sur l'exploitation des difficultés de " son " Premier ministre dans sa dernière année de gouvernement. Un Premier ministre " bien entouré " mais fragilisé face à un président populaire mais isolé : telle est la situation politique à un an du probable duel entre les deux têtes de l'exécutif.