La mobilité en Europe : un enjeu politique, économique mais aussi démographique

Le 23 Mai 2001, la Commission européenne a adopté une proposition de directive visant à renforcer le droit des citoyens de l'Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Celle-ci permet à près de 375 millions de personnes de circuler et faire circuler sans entrave des marchandises à usage personnel. Principe fondateur de l'Union européenne, la mobilité est au cœur des préoccupations de l'Union tant pour des raisons économiques que démographiques. Dans ce contexte, l'Observatoire Thalys International a souhaité dresser un bilan des pratiques des Européens en matière de déplacements en Europe : combien de voyages ont-ils réalisés ? Dans quels pays ? Seraient-ils prêts à s'installer ailleurs et quels seraient selon eux les facteurs d'incitation à la mobilité et aux échanges entre pays ?

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Les Européens se déplacent peu souvent en Europe… mais le voyage d'agrément domine

Premier constat de l'enquête réalisée par Ipsos pour l'Observatoire Thalys International : les Européens s'avèrent relativement mobiles dans l'espace européen. 46% des interviewés déclarent en effet avoir voyagé au moins une fois dans l'un des pays de l'Union au cours de l'année passée, tous motifs de déplacement confondus. Toutefois, si ces voyagent concernent près de la moitié des interviewés, leurs comportements sont assez inégaux (1,8 voyage réalisé en moyenne). La grande majorité concerne des voyages d'agrément, et plus particulièrement à des fins touristiques (39% devant la visite "à des proches, la famille" : 16%). Les déplacements professionnels ne concernent que 9% des interviewés (soit 14% des actifs). Pour important qu'il puisse paraître, ce résultat est d'autant plus décevant que selon la Commission européenne, les pendulaires (réalisant la navette entre deux pays) représenteraient plus du tiers des flux de personnes voyageant à des fins professionnelles (incluant donc les expatriations). La mobilité professionnelle est donc en retrait, alors qu'elle peut constituer un excellent vecteur "d'européanisation" des ressortissants.

Dans la mesure où les voyages d'agrément dominent, le classement des destinations les plus prisées par les Européens correspond en fait à celui des destinations touristiques, avec un fort attrait du sud : l'Espagne, la France et l'Italie figurent en tête devant l'Allemagne et l'Autriche. En revanche, ce classement se redessine lorsqu'on s'attache aux déplacements opérés pour des raisons professionnelles : si la France conserve sa place dans le peloton de tête (21%), l'Autriche et l'Allemagne gagnent des voix (12% de citations) pour se positionner devant l'Espagne (10%), moins prisée pour le travail que pour les loisirs.

Les Européens favorables à l'expatriation… sous conditions

Au delà de leurs comportements, les Européens manifestent une attitude assez positive face à l'expatriation même si les résultats sont très inégaux selon les pays. Dans l'ensemble toutefois, les deux tiers des interviewés (68%) accepteraient de s'installer dans un autre pays de la communauté, indépendamment du motif. L'enthousiasme est plus marqué auprès des jeunes, des interviewés de niveau socio-culturel supérieur et par ailleurs déjà mobiles. Dans le détail, 42% des interviewés seraient candidats au départ pour poursuivre leurs études ou travailler dans un autre pays (dont 22% répondant "oui, certainement") et l'idée d'une expatriation pour la retraite réunit tout de même un tiers des répondants (33%), même si 48% s'y opposeraient fermement (au total 65% refuseraient).

Ces résultats doivent toutefois attirer l'attention sur le décalage qui existe entre la réalité des flux migratoires et la bonne intention manifeste des Européens : interrogés sur les facteurs qui leur apparaissent comme des incitations supplémentaires à l'expatriation, on observe que le nombre de conditions énumérées est quasi proportionnel au souhait de quitter son pays. Le phénomène est particulièrement marqué auprès des Français, qui tout en se déclarant plus que les autres prêts au départ, sont aussi ceux qui citent le plus de facteurs "restrictifs". En dépit de l'hétérogénéité des réponses selon les pays, on note que les Européens sont en fait très attachés à la préservation de leur acquis : la conservation de leur niveau de vie (40% de citations) et l'harmonisation des systèmes de santé, de fiscalité et de retraite sont les deux facteurs qui apparaissent le plus à même d'inciter au départ, devant même la maîtrise d'une langue commune aux pays de destination. Viennent ensuite la reconnaissance des qualifications et diplômes et la possibilité de disposer d'une agence pour l'emploi européenne.

Les Néerlandais, les Belges se positionnent en tête des Européens les plus mobiles… et les moins enclins à l'expatriation

En termes d'habitudes de déplacement en Europe, ces disparités sont proches de celles observées les années précédentes pour des destinations étrangères où l'on observait un fort clivage nord / sud. Ainsi, les Néerlandais, les Belges et les Allemands se positionnent toujours en tête des plus mobiles, à la fois par le nombre d'habitants concernés et par la fréquence des déplacements, quand les Français, les Italiens et les Espagnols se placent en retrait de la moyenne européenne. En réalité, les plus mobiles sont tout à la fois ceux qui totalisent le plus de miles, mais aussi qui cumulent les motifs de déplacements. La configuration territoriale du nord de l'Europe (petits pays continentaux et centraux) et la bonne maîtrise des langues de leurs voisins rendent les ressortissants de ces Etats plus mobiles. Ainsi, les Néerlandais et les Belges sont respectivement 14 % et 12 % à s'être déplacés au moins une fois pour des raisons professionnelles au cours des derniers mois. Pour autant, ce ne sont pas ceux qui aspirent le plus à s'expatrier ; au contraire, ils se positionnent plutôt en retrait de la moyenne européenne derrière les Français, champions des bonnes intentions, les Allemands et les Britanniques. Les Italiens et surtout les Espagnols font figure de forts réfractaires, alors qu'ils sont déjà relativement sédentaires.

Créer une culture de la mobilité : former la jeunesse aux voyages

L'ensemble de ces résultats met aussi en évidence l'impact des voyages, et peut-être surtout, des voyages d'agrément, sur la création d'une culture de la mobilité. Peut-être plus conscients de ce lien qu'ils n'en ont l'air, lorsqu'on interroge les Européens sur les moyens à mettre prioritairement en œuvre pour encourager les échanges entre pays, trois propositions recueillent des scores proches. Un cinquième préconise l'harmonisation des niveaux de vie entre pays (22%), une proportion similaire, l'intégration des séjours à l'étranger dans les cursus scolaires ou universitaires (21%) ou l'apprentissage obligatoire d'une langue européenne commune (17%). Rien ne vaudrait donc, selon eux, une immersion in situ ou linguistique pour rapprocher les Européens et stimuler les échanges. En revanche, les aspects plus théoriques tels que la sensibilisation aux cultures nationales à l'école (13%) ou, ce qui peut apparaître plus tardif pour vraiment créer une culture de la mobilité, le développement des possibilités d'expatriation dans le cadre de l'entreprise (8%) se positionnent en retrait.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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