La moitié du corps électoral a un rôle très important à jouer dimanche prochain
Invité en compagnie de Christophe Barbier et Roland Cayrol dans l'émission C dans l'air d'Yves Calvi diffusée sur France 5, Pierre Giacometti tire les enseignements du second tourdes législatives. Retranscription de ses interventions et vidéo.
L'abstention ?
39% d'abstention : c'est un record sous la Vème République. On s'attendait évidemment à une abstention plus forte qu'au premier tour de la présidentielle : pour tout scrutin, les facteurs de mobilisation sont l'intérêt et l'incertitude sur le résultat. L'absence de suspens pour ces législatives a démobilisé l'électorat, qui souvent ne voyait pas d'alternative, ni dans la circonscription à la reconduction du député sortant, ni au niveau national à la reconduction de la majorité sortante. Qui plus est, cette élection survient au lendemain d'un débat d'idée qui a suscité beaucoup de passion, mais qui a été tranché le 6 mai, au second tour de la Présidentielle. Pour les Français, le débat a eu lieu sur le plan idéologique. Dès lors, la campagne ne pouvait être qu'atone sur le plan des idées et du débat. Ces législatives sont des législatives de ratification, d'une victoire qui a déjà été prononcée. C'est un peu la règle des législatives collées à la Présidentielle, surtout quand la victoire d'un camp est nette, cf. le vote d'adhésion au projet présidentiel proposé par Nicolas Sarkozy.
La fin du FN ?
Le Front National est passé en 5 ans du 21 avril 2002, avec une qualification pour le second tour de la Présidentielle et 17% des suffrages, à aujourd'hui moins de 5% et une seule candidate présente au second tour des législatives. Tout cela est allé très vite, trop vite pour exclure que la tendance puisse s'inverser. Il nous faut attendre un certains nombre de scrutins locaux, d'élections intermédiaires, pour savoir si dans l'hypothèse d'un climat politique tendu, moins facile que ce qu'il est aujourd'hui pour le pouvoir, la force de réaction d'une protestation de droite ne passerait pas par un retour du FN, peut-être pas au niveau de 2002 mais au moins autour des 10%. Il est vrai qu'aujourd'hui ce parti est touché, on n'a rarement atteint ce niveau d'alerte. Il y a eu des crises ces dernières années, par exemple aux élections européennes avec la fracture Mégret / Le Pen, mais qui étaient moins graves qu'aujourd'hui. D'autant plus que le problème actuel renvoie à la succession de Jean-Marie Le Pen, autant qu'à l'orientation politique du parti. Avec des municipales qui se profilent, qui ne sont pas des élections nationales de protestation, le tunnel pourrait être plus long que les précédents. La question clé tient évidemment dans le succès de Nicolas Sarkozy. S'il le Président de la République réussit son premier mandat, le Front National aura du mal à résister.
Droitisation de la société française ?
Le scrutin majoritaire a cette capacité de faire en sorte que les choses peuvent bouger du tout au tout en très peu de temps. Alors qu'avec un scrutin proportionnel, les déplacements de majorité ne se font pas de façon violente, le scrutin majoritaire a tendance à amplifier les dynamiques d'opinion favorables ou défavorables à un camp ou à un autre. La déroute des socialistes et de la gauche en 1993 précède la cohabitation de 1997, la correction s'est faite en très peu de temps. Ce n'est pas parce qu'aujourd'hui la droite est idéologiquement dominante dans l'opinion qu'elle est préservée pendant longtemps de toute déconvenue. L'opinion est le vrai contre-pouvoir qu'il ne faut pas ignorer ; elle est extrêmement libre, cf. les 25% d'électeurs qui se disent de gauche, et qui ont voté pour un candidat de droite au premier tour de la présidentielle.
L'alliance PS/Modem ?
L'alliance tactique pour des raisons de morale démocratique – inciter les électeurs à voter pour des raisons de pluralisme à l'Assemblée Nationale – ne fonde pas à terme quelque chose de très solide. L'orientation politique des électeurs du Modem est hétérogène : il y en autant de gauche que de droite, avec en outre une frange de vrais centristes "purs et durs". Les consignes de vote fonctionnent de moins en moins, qui plus est pour des électeurs centristes. Un tiers de l'électorat de François Bayrou a choisit Nicolas Sarkozy au second tour de la présidentielle, malgré le rapprochement avec Ségolène Royal dans l'entre-deux tours. Il faut donc voir comment dans les années à venir le Parti Socialiste fait sa révolution idéologique, et construit un rapprochement vers le centre ou le centre gauche. Ce n'est qu'à cette condition qu'on pourrait envisager une alliance de long terme avec une formation de type Modem. Entre les deux-tours d'une déroute électorale, l'impact est beaucoup plus limité.
Les Verts et le PC ?
Pour les Verts, avec les réélections probables de Noël Mamère et Yves Cochet, plus difficile pour Martine Billard, on en restera au niveau actuel. Même si on peut parler de stabilité, les législatives ne remettront pas en cause la profonde crise de l'écologie politique, et les difficultés des Verts à s'organiser pour apparaître comme un parti crédible. Le problème est moins leur représentation à l'Assemblée Nationale – le mode de scrutin ne les favorise pas, ce devrait être plus favorable aux municipales – qu'une question de leadership et d'organisation, voire de participation éventuelle à une refondation de la gauche, puisque que c'est l'un des scenarii possibles.
En ce qui concerne le Parti Communiste, il semblerait qu'une petite quinzaine de circonscriptions soient peut-être sauvables. Auquel cas, avec encore deux élus des DOM-TOM, on peut rêver place du Colonel Fabien à sauver in extremis quelque chose. Mais il faut toutefois une vraie dynamique de baisse d'abstention favorable à la gauche dimanche prochain pour que se produise ce scenario miracle.
Voter dimanche ?
Il y a 577 circonscriptions. 110 élus au premier tour, dont 109 qui appartiennent à la majorité actuelle, 200 circonscriptions où la droite est assurée de l'emporter : on est à 300, la droite a d'ores et déjà la majorité absolue à l'Assemblée Nationale. 70 circonscriptions semblent acquises à la gauche, le plus souvent au Parti socialiste – une dizaine de communistes. Il reste donc 200 circonscriptions –c'est beaucoup - où les choses sont serrées, à plus ou moins 2,5 points près. Dans ces 200 circonscriptions, le différentiel de mobilisation entre gauche et droite sera un élément décisif. Il y a là un véritable enjeu pour les deux camps mais surtout pour la gauche. Quand on sait que ces circonscriptions sont plus urbaines que rurales, la moitié du corps électoral a un rôle très important à jouer dimanche prochain.
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