La parenthèse enchantée du pompidolisme — Brice Teinturier pour Le 1

A l'occasion des 50 ans de la mort de Georges Pompidou, la revue Le 1 dédie son dernier numéro à l'ancien président. Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos en France, revient sur les racines de la nostalgie de "la France de Pompidou".

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  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
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Tribune de Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos en France, publiée dans le n°490 du 1.

Le 1 Hebdo n°490 | La France de Pompidou : c'était mieux avant ?La capacité à se projeter dans l’avenir sur un mode positif ou heureux est une donnée qui conditionne le moral et la cohésion de la société. Et c’est bien tout le problème de la société française et, dans une moindre mesure, de nombreux pays européens. L'enquête What Worries the World, menée par Ipsos montre ainsi qu’en mars 2024, les Indiens sont 77% à considérer que dans leur pays, « les choses vont dans la bonne direction ».

En Europe, le sentiment est inverse. 28% seulement des Allemands pensent que les choses vont dans la bonne direction, 72% dans la mauvaise. En Angleterre, ces chiffres sont de 21% et de 82%. La palme revient à la France, avec 82% de nos concitoyens qui estiment maintenant que les choses vont dans la mauvaise direction et 18% seulement dans la bonne. 

Les peurs des Français

De quoi les Français ont-ils peur ? On est tenté de dire de tout ou presque. Certitude d’être dans un déclin puissant (82%) et quasi irréversible, peur d’être dissous dans la mondialisation (pour 60%, elle est une menace), peur d’un conflit nucléaire depuis l’invasion de l’Ukraine pour près des deux tiers d’entre eux, peur quasi majoritaire de ce que certains présentent comme une submersion migratoire à venir, de la dénatalité, d’une nouvelle possible crise sanitaire depuis le traumatisme de la Covid 19, du réchauffement climatique, de l’effondrement du système de protection sociale et maintenant, des déficits colossaux auxquels la France doit faire face. 

Le trait d’union de toutes ces peurs est simple : il s’agit d’angoisses de disparition. Une petite partie de la population est certes dans un tout autre registre – une France aisée, diplômée, confiante, positive, ouverte - et il ne faut pas l’ignorer mais elle est minoritaire.

De Gaulle, Giscard d'Estaing... une France aux multiples facettes

Cette France d’aujourd’hui, angoissée, repliée, fracturée, fatiguée – une des émotions les plus citées par les Français pour s’auto-décrire – est le miroir inversé de la France pompidolienne.

La France de De Gaulle était puissante mais elle était aussi à bien des égards grandiloquente voire surannée, figée et bloquée. La statue du commandeur, le poids de l’histoire, l’obsession de la grandeur et la geste gaullienne écrasaient tout. Le plaisir enfin ne rimait pas particulièrement avec le Général, plus enclin à une forme d’austérité ! Cette France du devoir va donc globalement bien, elle panse ses blessures, se reconstruit, sort de la crise algérienne mais elle est corsetée. De Gaulle nous rassure et nous tire vers le haut. De Gaulle a raison et nous redonne de la fierté. Mais on n’a pas toujours raison d’avoir raison et De Gaulle nous fatigue aussi. Mai 68 est en partie une réaction à cette situation.

La France de De Gaulle était puissante mais elle était aussi à bien des égards grandiloquente voire surannée, figée et bloquée

Bien plus tard, la France de Valerie Giscard d’Estaing sera une autre France. Pas encore dans les fractures contemporaines mais déjà marquée par l’angoisse de la montée du chômage, la crise pétrolière et un Président certes réformateur mais dont la morgue est devenue insupportable à de nombreux Français, a fortiori au bout de 23 ans d’exercice du pouvoir par la droite. La France de Giscard d’Estaing n’est donc pas une France heureuse et la moitié du pays considère que sans alternance politique depuis l’avènement de la Vème République, ce régime n’est pas démocratique.

La France sous Pompidou : une parenthèse enchantée

La France de Pompidou est au contraire une parenthèse enchantée. Même s’il s’oppose à la Nouvelle Société de son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas, qui lui estime que la France est encore trop verrouillée, Pompidou incarne le changement dans la continuité par rapport à De Gaulle. Il est conservateur et moderne. Il propulse le pays dans l’avenir et l’industrialisation, apporte ce qu’il faut de modernité, est lui-même épris d’art contemporain et cela se sait, roule en Porsche et ne dissimule pas qu’il adore cela, bref, n’a pas, comme le Général, un pied dans le XIXème siècle et accepte au contraire le plaisir. Autoritaire et bonhomme tout à la fois, il rassure sans être ni dans la hauteur gaullienne, ni dans le mépris ou la condescendance giscardienne. La crise de la représentation n’est pas encore là ...

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