La question Haider divise les opinions européennes

L'enquête Ipsos - Le Monde - L'opinion européenne(*) menée dans les cinq principaux pays européens sur l'entrée de l'extrême droite autrichienne au gouvernement met en évidence de fortes disparités de réaction de l'opinion selon les pays. Les Allemands notamment sont particulièrement tolérants à l'égard du parti de Jörg Haider.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
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Les sanctions politiques et diplomatiques décidées par l'Union européenne contre l'Autriche après l'arrivée au pouvoir du FPO de Jörg Haider dans le cadre de la nouvelle coalition avec les conservateurs sont loin de faire l'unanimité dans les opinions publiques européennes. Interrogées par Ipsos dans les cinq principaux pays de l'Union, la stratégie de fermeté opposée par Bruxelles au changement politique intervenu en Autriche recueille le soutien de moins de la moitié des citoyens européens de ces pays. La réaction de désapprobation, bien que minoritaire, concerne 38 % des personnes interrogées, alors que près d'un Européen sur quatre préfère ne pas prendre position, malgré la très forte couverture médiatique dont la question Haider a fait l'objet. 

Les décisions de Bruxelles sont créditées d'un soutien légèrement plus marqué parmi les jeunes générations, les actifs salariés et les Européens les plus instruits. Le scepticisme est plus net dans la population masculine et surtout parmi les Européens âgés de plus de 50 ans. Il devient même majoritaire parmi les plus de 65 ans. Ce clivage de .génération renvoie logiquement à des clivages politiques particulièrement significatifs et, ce qui est plus intéressant encore, à de profonds clivages internes à la gauche et à la droite. 

Le point de vue de l'opinion allemande apparaît dans cette enquête comme le plus clairement critique. A gauche comme à droite, on rejette en majorité les mesures de l'Union européenne : c'est le cas de 64 % des sympathisants de la CDU/CSU et de 52 % des électeurs du SPD. Seuls les sympathisants écologistes rejoignent le point de vue moyen de leur alter ego en Europe: deux tiers d'entre eux approuvent les sanctions. A bien des égards, la position de l'opinion française se situe à l'exact opposé de celle de nos voisins. Les sympathisants socialistes et écologistes français sont, en Europe, ceux qui, à gauche, apparaissent comme les plus déterminés dans leur soutien aux décisions de l'Union. La fermeté chiraquienne peut compter sur l'appui majoritaire des électeurs de l'UDF et du RPR, même si l'on doit noter la profonde division de cet électorat sur cette question. Elle est également la marque de l'attitude de l'électorat des tories en Grande-Bretagne. En revanche, les réactions de l'opinion italienne montrent un clivage politique très prononcé. Si, en Italie, une courte majorité de sympathisants du PDS approuvent les mesures qui ont été prises, l'électorat de droite se distingue par son opposition majoritaire aux initiatives bruxelloises. Le point de vue espagnol rejoint la situation de consensus relatif observée en France. Dans ces deux pays, les prises de position des deux dirigeants de droite, Chirac et Aznar, semblent avoir été décisives.

On retrouve l'ensemble de ces clivages dans la question qui mesure la perception du risque représenté pour la démocratie du parti de Jörg Haider. Un Européen sur deux se dit préoccupé par le phénomène, alors que 38 % d'entre eux doutent de sa capacité à mettre en cause les fondements de la démocratie européenne. Le clivage entre générations apparaît ici plus net, alors que les Européens les plus aisés financièrement sont les plus dubitatifs sur cette question. A droite, c'est une nouvelle fois la division qui prédomine : une courte majorité des électorats de droite ne voit pas en Haider " un danger pour la démocratie ", notamment chez les plus jeunes d'entre eux.

La question Haider fait irruption dans le débat politique européen, alors que les attitudes des citoyens de l'Union sur les questions de souveraineté continuent à évoluer de manière significative. En Allemagne, ils sont désormais 55 % à souhaiter voir privilégier les pouvoirs nationaux au détriment d'un renforcement des pouvoirs de l'Europe, soit une progression de 7 points depuis la dernière campagne des élections européennes. Cette évolution est d'autant plus remarquable qu'elle s'inscrit, en Allemagne, dans un mouvement d'opinion hostile à l'euro. A l'image des clivages sociologiques observés dans les autres pays, le réflexe d'opinion souverainiste est particulièrement saillant chez les personnes âgées, les catégories sociales modestes ou de faible niveau d'instruction et parmi les électeurs de la CDU/CSU. Seule l'Italie fait figure de pays modèle de l'" européisme ". En France, en Grande-Bretagne et en Allemagne, l'attachement aux pouvoirs de l'Etat-nation reste majoritaire alors qu'il progresse nettement en Espagne.

(*) L'Opinion Européenne, sous la direction de Bruno Cautrès et Dominique Reynié, Presses de Sciences Po.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs

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